C’est un pavé et ça se lit comme un pamphlet : le dernier livre du journaliste Marc Endeweld, L’Emprise, publié au Seuil, contient une somme de révélations stupéfiantes sur les dessous des petites et grandes affaires économiques et politiques françaises de ces dernières années. Parmi les nombreux éclairages qu’il propose, celui qui porte sur les « Affaires africaines » a retenu toute notre attention. Au premier rang desquels l’explication du « coup de théâtre » géopolitique que constitue la vente de l’empire logistique du Groupe Bolloré en Afrique !
Quelle puissante motivation a conduit Vincent Bolloré à annoncer la vente de cet empire très lucratif, qui constitue en outre un levier formidable de contrôle et de régulation des flux de marchandises à l’arrivée et au départ du continent ? Le caractère stratégique de la détention de cette chaîne logistique n’échappait en effet à personne. Sa cohérence et son efficacité faisait de ce groupe français un acteur majeur des échanges économiques entre l’Afrique et le reste du monde. Bolloré exploite en effet dans le cadre de concessions 16 terminaux à conteneurs, deux terminaux à bois et un terminal fluvial. Il opère également trois concessions ferroviaires en Afrique et dispose d’un réseau de 85 agences maritimes. En 2020, la filiale Bolloré Africa Logistics a réalisé un chiffre d’affaires de 2,1 milliards d’euros, selon le rapport annuel du groupe… Il faut dire que le soutien de l’Élysée n’avait jamais fait défaut jusque-là au Milliardaire breton dans ses négociations africaines comme en témoignent la présence à ses côtés de Michel Roussin, ex-directeur de Cabinet de Jacques Chirac, et son amitié régulièrement affichée avec Nicolas Sarkozy.
Et pourtant il vend !
Et pourtant, il vend au groupe MSC ! Les révélations contenues dans L’Emprise de Marc Endeweld permettent de comprendre qu’il n’avait pas le choix. Car chaque maillon de cette chaîne logistique continentale comporte une faiblesse : les ports, en particulier, sont des concessions régulièrement renégociées au fil d’appels d’offres dans lesquels le groupe Bolloré faisait face, depuis quelques années, à un puissant compétiteur : le groupe TIL (Terminal Investment Limited), filiale de gestion portuaire de… MSC. La Mediterranean Shipping Company (MSC), groupe italo-suisse propriété d’une famille, la famille Aponte, qui compte dans ses rangs un homme-clef de l’entourage du Président Macron : son bras droit, Alexis Kohler, le très puissant Secrétaire général de l’Élysée.
C’est ainsi que l’enquête de Marc Endeweld révèle que ce serait sur l’intervention spéciale d’Alexis Kohler auprès du Secrétaire général de la Présidence camerounaise, Ferdinand Ngoh Ngoh, que l’État camerounais a préféré attribuer à TIL la gestion du port de Douala, assurée depuis quinze ans par Bolloré… « A lui seul, il assure 95% des échanges de marchandises avec le Cameroun, le Tchad et la République Centrafricaine »… Une position clef !
L’affaire ne s’arrête pas là, car suite à la contestation du résultat de l’appel d’offre par Bolloré, l’État camerounais a décidé de reprendre en direct la gestion de l’activité portuaire ! Interrogé par Afrik.com, une source très proche de la Présidence camerounaise rapporte la satisfaction éprouvée depuis : le volume d’affaires brassé par le Terminal portuaire de Douala serait infiniment supérieur à ce que réalisait le Groupe Bolloré… La meilleure preuve de ce potentiel en est le montant des indemnités réclamées à la Cour Internationale d’Arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale, pour ces dix-huit mois de « nationalisation », par le Groupe Bolloré, qui s’en estime lésé : 3,9 milliards d’Euros de « manque à gagner » !
Une rente de 2,6 milliards par an, 2000 milliards de Francs CFA par an ! Telle est donc la valeur de la concession de Douala. On comprend que le Cameroun ait décidé de garder les clefs du port pendant quelque temps…
Mais le feuilleton continue…
Dans la perspective de voir en 2022 Emmanuel Macron réélu, et Alexis Kohler toujours à la manœuvre dans l’ombre du Président français, défendant les intérêts de MSC, Vincent Bolloré a donc préféré prendre les devants, éviter une cascade de déconfitures successives, et annoncer la vente de l’ensemble de ses ports pendant qu’il les détient encore… « au transporteur maritime MSC, pour un montant de 5,7 milliards d’euros dette incluse ». Le pistolet sur la tempe, et faisant contre mauvaise fortune bon cœur…
Est-ce la fin du feuilleton ? Ce n’est pas certain, car Vincent Bolloré a une autre carte en main : CANAL+, et sa chaîne d’information C-News, grâce à laquelle il a patiemment fait émerger, au fil des mois, une nouvelle figure politique, populiste, virulente, située à l’extrême droite de l’échiquier : le chroniqueur et journaliste Eric Zemmour… Désormais candidat à l’élection présidentielle française, et auquel le groupe de Bolloré apporte un soutien médiatique sans équivalent… Un nouveau visage dont Vincent Bolloré voudrait bien faire, contre Emmanuel Macron, le vainqueur de la prochaine élection présidentielle !
Les lentes procédures de vente de l’empire logistique africain de Bolloré ne seront pas terminées lorsque le verdict des urnes tombera : Macron réélu, elles iront paisiblement à leur terme. Mais si Zemmour passait ? On peut gager qu’elles seraient alors instantanément abandonnées !