Usage de prête-noms, investissement dans l’immobilier, prise de participation dans des entreprises et établissements de microfinance, transit des fonds sur des comptes anonymes… Les Camerounais débordent de créativité pour blanchir l’argent volé dans les caisses de l’Etat.
(De notre correspondant)
Les épargnants camerounais ont, depuis quelques temps, l’obligation de justifier l’origine de leurs avoirs supérieurs à un million de FCFA (1 520 euros, ndlr) à chaque versement dans une banque. Une équation facile pour les épargnants intègres mais pas pour « les voleurs de la République » dont certains croient s’en tirer en multipliant des comptes. Peine perdue. L’Agence nationale pour l’investigation financière (Anif) contrôle les transactions financières puisqu’il faut déclarer à ses services « les sommes ou tous autres biens qui sont en leur possession lorsqu’ils pourraient être liés à un crime ou à un délit ou s’inscrire dans un processus de blanchiment de capitaux ; les opérations qui portent sur des sommes ou biens qui pourraient provenir d’un crime ou d’un délit ou s’inscrire dans un processus de blanchiment des capitaux ».
Se servir de prête-noms
Les ministres, les cadres de l’administration, les directeurs des entreprises parapubliques et autres gestionnaires du budget de l’Etat redoutent désormais l’Anif. Plus question de flirter avec les banques ou prendre des actions dans des entreprises avec son nom propre. Ils recrutent des gens dans leur entourage et dans les milieux d’affaires pour leur servir de prête-nom. Jean Emmanuel [[Le nom a été changé]] ne se plaint pas de ce système. Après une licence d’université, il a été coopté par un de ses parents, un ministre encore en fonction. Le ministre l’a d’abord fait recruter comme cadre dans une entreprise publique aujourd’hui privatisée pendant qu’il y occupait les fonctions de président du conseil d’administration. Il lui a ensuite proposé de servir de prête-nom dans des entreprises locales. Ce jeune est aujourd’hui crédité des actions de plus de 200 millions de FCFA (trois cents mille euros, ndlr) dans trois entreprises locales où il siège comme actionnaire. « Vous ne vous imaginez pas seulement le bien que procure le fait de se retrouver dans de tels milieux quelquefois avec des sommités locales du monde des affaires, à boire, à échanger d’égal à égal… Par ailleurs, je peux faire recruter un des miens dans l’une ou l’autre de ces sociétés sans trop de difficultés », se vante-t-il. Il n’est nullement concerné par les bénéfices de la bonne santé de ses sociétés. Tout au plus, il est financièrement soutenu par son parrain qui lui permet toujours de conserver une mine de multimillionnaire.
Une autre astuce consiste à faire transiter des fonds dans des comptes d’anonymes, certainement avec la complicité des employés de banque. Des épargnants sont ainsi quelquefois surpris de constater un gonflement inexpliqué de leur épargne. « Le solde de mon compte logé dans une banque de Douala était de 25 000 FCFA (environs 40 euros, ndlr). De passage, un jour au guichet électronique, j’ai constaté qu’il comptait désormais environ deux millions de FCFA (environs trois mille euros, ndlr). Le lendemain, il affichait encore le même montant mais plus au troisième jour », témoigne un journaliste. Le surplus était tout simplement reparti vers une destination inconnue.
Des hommes d’affaires souvent sollicités pour blanchir de l’argent
Quand il n’est pas recyclé dans des affaires et le commerce, l’argent sale est investi dans la construction des immeubles par la suite mis en location. Le promoteur immobilier n’a nullement l’obligation de justifier l’origine des fonds investis. Des immeubles bâtis pour un coût de plusieurs milliards de FCFA écument les artères et les quartiers des villes du pays. Mêmes les zones marécageuses déclarées non viables comptent des immeubles évalués à des dizaines de millions de FCFA.
Quelques-uns sont présentés comme la propriété des établissements de microfinance. Non soumis aux mêmes contrôles que les banques, ces organismes sont désormais le refuge des adeptes du blanchiment d’argent. Des établissements de microfinance et autres coopératives se multiplient avec, pour propriétaires officiels un groupe d’actionnaires, des ressortissants d’un quartier ou d’un village donné ou encore les membres d’une association. « Mais dans les faits, c’est l’affaire d’une personne ou d’un groupe qui choisit ce milieu pour blanchir de l’argent. Ils construisent de nombreux immeubles qu’on présente comme la propriété de la microfinance qu’ils mettent en location », explique sous anonymat, un expert financier. Le Cameroun compte à ce jour plus de 500 établissements de microfinance répertoriés contre plusieurs autres qui fonctionnent dans la clandestinité. La plus grande manœuvre de blanchiment d’argent consiste à échanger des billets contre des chèques spécifiques dans une banque. Le porteur de ces chèques se fait payer dans la banque émettrice, sans procès. Deux banques locales émettent ce type de chèque.
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