Ce jeudi 18 novembre, trois témoins sont passés à la barre, dans le cadre du procès de l’assassinat du capitaine Thomas Sankara. Tous les trois ont collaboré avec le régime du Front populaire et ont occupé d’importants postes de responsabilité sous le régime de Blaise Compaoré. Au cours de son audition, un des témoins a rapporté des propos glaçants tenus par Blaise Compaoré.
Les langues se délient au fur et à mesure que l’on progresse dans le cadre du procès de l’assassinat de l’ancien Président du Burkina Faso, Thomas Sankara. A la barre, ce jeudi 18 novembre, des témoins ont rapporté des propos de Blaise Compaoré juste après le drame de ce fameux 15 octobre 1987 et ont cité des noms de Présidents africains, directement impliqués dans l’assassinat de Thomas Sankara, un homme présenté comme très connu et aimé de tout les Burkinabè.
Jean-Marc Palm reconnaît l’ouverture de Sankara au dialogue
Le premier à être passé à la barre est Jean-Marc Palm, actuel président du Haut Conseil du dialogue social au Burkina Faso, et au moment du drame du 15 octobre 1987, membre du Groupe communiste burkinabè (GCB) qui faisait partie du Conseil national de la révolution (CNR). Devant le tribunal, celui qui enseignait à Bobo-Dioulasso au moment des faits a déclaré qu’il était dans cette ville quand le drame s’est produit. Il a affirmé qu’il n’appréciait pas les méthodes de travail du Président Sankara, et lui reprochait par-dessus tout, sa volonté de fédérer tous les groupes existants en un parti unique. « Le GCB n’était pas d’accord. Nous n’étions pas les seuls à ne pas être d’accord, mais je parle de mon groupe », a-t-il laissé entendre.
Malgré tout ce qu’il reprochait à Thomas Sankara, Jean-Marc Palm a reconnu que « contrairement à ce que des gens disent, au CNR, il y avait des discussions. Thomas Sankara acceptait la discussion. Ça, il faut le reconnaître. Après, il faisait la synthèse ».
Celui qui a déclaré ne pas maîtriser le fond des événements du 15 octobre a quand même été nommé ministre des Affaires extérieures quelques semaines après le coup d’Etat, et faisait des missions à l’étranger pour expliquer ce qui s’était passé. Jean-Marc Palm a également déclaré n’avoir pas été d’accord avec la déclaration lue sur les ondes de la radio parce qu’« on y traitait Thomas Sankara de misogyne et autres… Je ne sais pas qui l’a rédigée, mais je n’étais pas d’accord ».
Comment a-t-il exprimé ce désaccord pour être quand même promu par la suite au moment où tout ceux qui manifestaient le moindre désaccord avec le nouveau régime étaient systématiquement traqués. Interpellé sur la déclaration de Boukari Kaboré qui le tenait pour auteur des tracts qui circulaient à Bobo-Dioulasso, le frère aîné de Jean-Pierre Palm a protesté vivement : « C’est faux. Boukari Kaboré est un piteux menteur. Il a inventé cette histoire de toutes pièces. Je rejette totalement cette accusation. Boukari Kaboré est un esprit faible et je trouve écœurante cette attitude ».
Étienne Traoré indexe Chantal Compaoré et les Présidents Houphouët-Boigny et Gnassingbé
Cet enseignant d’université à la retraite, syndicaliste au moment des faits, a déclaré qu’il était en ville quand la fusillade a eu lieu. Le lendemain, c’est-à-dire le 16 octobre, Blaise Compaoré l’a convoqué. « Le 16 octobre 1987, le matin, Victor Sanfo est venu me chercher pour le Conseil. Arrivé, Blaise m’a tiré de côté dans une maison. À deux, il m’a dit : “hier, il y a eu des problèmes entre nous, on s’est tiré dessus et Sankara est mort” ».
Selon la déposition du témoin, « Blaise Compaoré n’était pas du tout malheureux le lendemain, contrairement à ce que certains font croire ».
Peu de temps après ces événements, Etienne Traoré a été nommé inspecteur d’État et, comme Jean-Marc Palm, effectuait des missions à l’étranger pour expliquer ce qui s’est passé au Burkina Faso, le 15 octobre. « Je suis parti en mission à Dakar et en France pour aller expliquer que la mort de Sankara était un accident, sans mal parler de Sankara. Car, j’étais convaincu que ce qui s’était passé était un accident », a-t-il confié au parquet. Mais, la lune de miel entre Etienne Traoré et Blaise Compaoré sera de courte durée. La rupture aura lieu après l’exécution de Jean-Baptiste Lingani, en 1989. « Quand j’ai appris que les gens sont exécutés avec l’affaire Lingani, j’ai cherché à voir le Président pour essayer de comprendre. Je n’ai pas réussi à le voir, et c’était la première fois qu’il me faisait recevoir par Salif Diallo ».
Et l’enseignant à la retraite de témoigner son désenchantement : « J’étais convaincu en son temps que Blaise était un révolutionnaire. Je ne savais pas qu’il fréquentait les milieux droitiers. Je croyais que la mort de Sankara était vraiment un accident, or c’était prémédité bien avant ». Pour Etienne Traoré, il n’y a pas le moindre doute quant au fait que depuis le début, Blaise Compaoré lorgnait le poste de Président du Faso. « C’est Blaise Compaoré qui était à la tête du commando qui est venu de Pô. Sankara les a attendus à l’entrée et il a dit de laisser, ils vont discuter pour gérer le pouvoir et les Vincent Sigué ont dit c’était trop tard. Blaise voulait le pouvoir, mais c’est Sankara qui était connu et aimé par tout le monde ».
Autres éléments importants mentionnés par Etienne Traoré : le rôle de Chantal Compaoré et des Présidents Félix Houphouët-Boigny de la Côte d’Ivoire et Gnassingbé Eyadéma du Togo. Morceaux choisis. « Chantal Compaoré a joué un rôle dans la détérioration des relations entre Blaise et Sankara. Blaise avait une fiancée qui participait aux séances débats avec nous, mais Blaise l’a laissée pour aller épouser cette Ivoirienne, sans enquête de moralité, chose qui n’était pas autorisée en son temps ». « Houphouët-Boigny n’aimait pas notre révolution. Il n’aimait pas du tout Sankara (…). Toutes les forces droitières de la sous-région étaient totalement contre Sankara. D’une source sûre, il était prévu que si Blaise Compaoré échouait dans son coup, un avion était déjà prêt à l’aéroport pour les exfiltrer. Le Président Houphouët-Boigny et le Président Eyadema étaient de mèche pour renverser notre révolution ».
Arsène Bognessan Yé confirme la forte tension entre Compaoré et Sankara
Ce médecin militaire a été le troisième et dernier témoin à la barre, ce jeudi. Ancien médecin personnel de Thomas Sankara, il était le directeur central des services de santé des forces armées nationales au moment des faits. À la barre, il déclare avoir entendu le crépitement des armes depuis son bureau et a pris les dispositions avec ses collègues pour apporter une assistance médicale si nécessaire. Finalement, il réussit à se rendre au Conseil. « J’ai joint le Conseil ; celui qui m’a répondu m’a dit que Blaise était occupé, mais que je pouvais venir là-bas pour le rencontrer. Quand je suis arrivé, il m’a introduit dans une salle. J’ai trouvé Lingani et Zongo là-bas. Quand je leur ai posé la question où est Sankara, Lingani a regardé une photo de Sankara qui était dans la salle et a dit : le pauvre ! J’ai compris qu’il n’était plus de ce monde », a-t-il déclaré.
Ce témoin est également revenu sur les divergences entre le Burkina Faso et ses voisins comme la Côte d’Ivoire. Par exemple, il indique qu’avec « les slogans comme « les hiboux au regard gluant » », Houphouët se sentait directement visé. Malgré la grande proximité entre Thomas Sankara et celui qui fut son médecin personnel, ce dernier a occupé les plus hautes fonctions sous le régime de Blaise Compaoré. Il a présidé l’Assemblée des députés du peuple du Burkina Faso, a été ministre d’État, et même premier responsable du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), le parti de Blaise Compaoré. Sur la question des tensions entre Blaise Compaoré et Thomas Sankara au moment des faits, Arsène Bognessan Yé déclare : « Si quelqu’un, membre du CNR, dit qu’il ne savait pas qu’il y avait des tensions entre Blaise Compaoré et Thomas Sankara, il ne dit pas la vérité ».
Il précise également avoir, pour sa part, tenté de régler le problème, en rencontrant individuellement les deux protagonistes. Mais son initiative fut sans effet puisque chacun des deux hommes l’a rassuré qu’il n’y avait rien. C’est sur Arsène Bognessan Yé que l’audience de ce jour a pris fin. Les assises reprendront lundi.