Blaise Compaoré « s’est collé à Thomas Sankara pour prendre le pouvoir »


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Blaise Compaoré et Thomas Sankara

Ce jeudi s’est tenue une nouvelle audience consacrée à l’audition des témoins dans le cadre du procès de l’assassinat de Thomas Sankara et de ses camarades. La particularité des auditions de cette journée, c’est que les procès-verbaux de la déposition de certains témoins absents ont été lus.

Comme l’ont déjà montré plusieurs témoignages depuis le début de l’audition des témoins dans le cadre du procès de l’assassinat de Thomas Sankara, Blaise Compaoré et Gilbert Diendéré apparaissent comme les principaux responsables, les maîtres à penser du coup d’État sanglant du 15 octobre 1987.

Blaise Compaoré, le commanditaire…

La première déposition à être lue est celle du commandant pharmacien Abdou Salam Kaboré, ministre des Sports au moment des faits. Il était à son bureau à l’intérieur du stade du 4 août lorsque le drame s’est produit. De la déposition du témoin, il ressort clairement que le coup a été perpétré par les éléments du Centre national d’entraînement commando (CNEC), avec pour commanditaire, leur chef, c’est-à-dire Blaise Compaoré. Pour Abdou Salam Kaboré, Blaise Compaoré « s’est collé à Thomas Sankara pour prendre le pouvoir, car il savait ce qu’il voulait (…) Et c’est pour cela que dès leur formation au Cameroun, il n’a plus lâché Sankara ».

Le témoin décrit Blaise Compaoré comme un homme, un militaire qui n’avait pas de cran, contrairement à Thomas Sankara qu’il présente comme un guerrier, un vrai militaire dans l’âme : « Thomas Sankara conçoit et se met devant pour exécuter. Alors que Blaise conçoit et envoie quelqu’un d’autre exécuter à sa place. Je n’avais pas confiance en lui », souligne M. Kaboré. Un autre élément ressortant du témoignage de l’ancien ministre des Sports : Blaise Compaoré s’est laissé avoir par des personnalités extérieures comme Félix Houphouët-Boigny, Jacques Chirac, Denis Sassou N’Guesso, etc. parce qu’il ne croyait pas en la révolution.

Par ailleurs, Abdou Salam Kaboré a indiqué dans sa déposition qu’un hélicoptère venu du Togo était prêt à emmener Blaise Compaoré au cas où le coup allait échouer. Mais, il n’a pas échoué en grande partie à cause de Thomas Sankara lui-même qui n’était pas un fou du pouvoir. Pour preuve, le témoin rapporte une question que le Président du Faso lui aurait un jour posée : « Comment allaient-ils faire après tout ça pour redevenir des citoyens lambda ? »

… et Gilbert Diendéré, l’homme clé du coup

Le rapport des événements du 15 octobre 1987 montre que l’assaut qui a coûté la vie à Thomas Sankara et ses douze compagnons s’est déroulé avec une facilité déconcertante. Le commando assassin a surgi, agi et disparu du lieu supposé comme étant le plus sécurisé du pays comme dans une maison ordinaire. Une telle facilité ne peut avoir son explication logique que dans la complicité active du chef de la sécurité des lieux et ses éléments, en l’occurrence Gilbert Diendéré. Et c’est ce que la déposition du caporal Bafassé Siri Coulibaly, en service au Conseil de l’entente au moment des faits, montre, sans ambages.

Selon ce témoin, une assemblée générale avait été convoquée, le jeudi 15 octobre 1987, et devait réunir tous les éléments du Conseil. Sur ordre de Gilbert Diendéré qui leur avait fait dire que l’assemblée générale devait se tenir sans armes, Bafassé Siri Coulibaly et ses collègues ont déposé leurs armes au magasin. Et pendant qu’ils attendaient Gilbert Diendéré et Oumar Traoré pour commencer l’assemblée générale, un véhicule fit irruption et se dirigea vers le secrétariat du Conseil. À son bord, des militaires qui ouvrirent aussitôt le feu. Le témoin et ses collègues se ruèrent alors vers le magasin où ils avaient déposé leurs armes quelques instants plus tôt pour constater qu’il était fermé à clé.

Sous un regard impuissant, Bafassé Siri Coulibaly a vu le Président Thomas Sankara sortir de la salle de réunion et se faire aussitôt arroser. En quinze minutes, la boucherie était terminée. Et ce n’est qu’après cela que les soldats ont été invités à récupérer leurs armes au magasin qui avait été finalement rouvert. Des instructions leur ont alors été données pour assurer la défense du Conseil de l’entente au cas où il serait attaqué par l’Escadron de transport et d’intervention rapide (ETIR). Selon la déposition du témoin, Gilbert Diendéré et Oumar Traoré étaient bien présents au moment de l’attaque.

Pour Bafassé Siri Coulibaly, il ne fait aucun doute que Gilbert Diendéré les a envoyés, ses camarades et lui, déposer leurs armes au magasin pour les empêcher de réagir face aux assaillants. Il en conclut donc que le coup a été bien préparé et que Gilbert Diendéré en était parfaitement au courant, puisque Blaise Compaoré ne pouvait rien faire sans lui. « Nous étions étonnés qu’on nous dise de faire une assemblée générale sans armes. Si nous avions nos armes, on allait répliquer et ça allait être catastrophique… Si on avait nos armes, on allait les prendre et personne n’allait attaquer le Président Sankara », soutient le témoin.

« Thomas m’a dit que Blaise a tenté à deux reprises d’attenter à sa vie… »

La déposition de Youssoufou Diawara, un proche de Thomas Sankara, lue au tribunal, vient confirmer comme beaucoup d’autres témoignages la thèse de la préméditation dans le coup d’État du 15 octobre 1987. Alors qu’il avait été chargé par le commandant de la gendarmerie nationale, Ousséni Compaoré, de tenter une médiation entre Thomas Sankara et Blaise Compaoré qu’un fossé de plus en plus large séparait, le témoin eut un long entretien avec le Président du Faso, le 9 octobre 1987. Au cours de cet entretien, « Thomas m’a dit que Blaise a tenté à deux reprises d’attenter à sa vie à Bobo-Dioulasso, puis à Tenkodogo. Il m’a dit aussi qu’il ne sera jamais le premier à tirer sur Blaise », a déclaré le Youssoufou Diawara.

Toutes les tentatives de ce dernier pour rencontrer Blaise Compaoré ont, selon lui, été vaines. Même dans la famille de Sankara, indique-t-il, on savait que Blaise Compaoré préparait un coup contre le Président, puisque des militaires de Pô sont allés leur souffler l’information. À la fin des différentes auditions, l’audience a été suspendue et ne reprendra que le 4 janvier 2022.

A lire : Thomas Sankara « n’a jamais voulu qu’on prenne une arme contre Blaise Compaoré »

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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