Depuis la réélection de Delphine Ernotte à la présidence du groupe France Télévisions, un vent nouveau semble souffler sur le groupe audiovisuel français. Après la diffusion des documentaires « Décolonisations : du sang et des larmes » sur France 2 et « Modèles noirs, regards blancs » sur France 5, c’est au tour de France 3 d’annoncer la diffusion prochaine de « Black and White », une fiction historique inspirée de la période de l’empire colonial français.
En reconduisant pour 5 ans Delphine Ernotte à la présidence de France Télévisions, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a voté en faveur d’un projet stratégique et “d’engagements en matière éditoriale pour élever la place de la création, développer l’offre culturelle et éducative, renouer les liens avec la jeunesse et assurer une information de référence”. Taclée par les sages pour le manque de diversité à France TV, lors de son mandat précèdent, la native de Bayonne a tenu à rectifier le tir dès sa nomination, avec “la volonté de s’adresser à tous les Français et de les représenter dans la richesse de leur diversité, en prenant en compte l’ensemble des territoires, et constituer des équipes qui reposent sur un principe de parité et de diversité.”
Il faut dire qu’aujourd’hui les missions et objectifs culturels, pédagogiques, historiques et sociétaux sont colossaux pour le service public. En France, comme ailleurs, il existe une véritable quête d’identité et un besoin de repères chez les populations « de couleur ». De plus, l’onde de choc du mouvement américain « Black Lives Matter » se fait sentir jusque dans l’Hexagone, où il devient de plus en plus difficile d’ignorer l’appétence du public pour des thématiques liées à l’esclavage, la condition afro, ou encore la colonisation. Jadis relativement cantonnés à des cercles intellectuels ou radicaux, ces sujets ont pris une nouvelle ampleur sous l’impulsion d’internet.
France Télévisions, porte-voix de la France plurielle ou poudre aux yeux ?
Delphine Ernotte avait promis de “faire mieux en matière de diversité et d’inclusion” en cas de réélection à la tête de l’audiovisuel public, allant jusqu’à reconnaitre que “les choses ne progressent pas assez vite”, et que “l’heure est à la mise en œuvre d’un plan d’action concret pour l’inclusion et la représentation”. La seule dirigeante réélue de l’histoire du groupe audiovisuel public a pris l’engagement devant le CSA de “mieux prendre en compte la diversité des problématiques sociales dans les contenus choisis et les histoires racontées.”
Suite à la diffusion tonitruante du documentaire « Décolonisations : du sang et des larmes » de David Korn-Brzoza, en prime time, sur France 2, mardi 6 octobre 2020, on peut dire que le service public a frappé un grand coup. Les deux films choc : la fracture (1931-1954) et la rupture (1954-2017), réalisés à partir d’images d’archives inédites et mises en couleur, ont donné la parole, comme jamais auparavant, aux témoins, acteurs, victimes, et descendants d’une page douloureuse de l’Histoire de France. Une histoire commune taboue qui n’en finit pas de faire débat, comme l’ont prouvé les échanges tendus aperçus sur les réseaux sociaux.
« Modèles noirs, regards blancs » réalisé par Aurélia Perreau et Elise Le Bivic et diffusé mercredi 14 octobre à 20h53 sur France 5, dans l’émission Stupéfiant, s’intéressait quant à lui à la représentation des Noirs dans la culture populaire française. Entre caricatures et racisme, le documentaire dresse le constat qu’en France le regard sur l’homme noir est rempli de mythes, de stéréotypes et d’allégories. Au cours de l’émission, Léa Salamé et son équipe sont allées à la rencontre d’artistes et de personnalités qui font avancer les mentalités, et aident à penser ces représentations et ces clichés. Une première, autant saluée par le public, que décriée par la réacosphère et la fachosphère (extrême droite).
Avec la fermeture incompréhensible de la chaîne France Ô par l’État, on était en droit de s’interroger quant à la sincérité des intentions de Delphine Ernotte, s’agissant de la mise en place d’actions réelles en faveur de plus d’inclusion et de diversité dans les contenus et programmes du groupe qu’elle préside. S’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, force est de constater qu’un élan commence à se dessiner.
Une série sur la colonisation tournée entre le Sénégal et la France
En cohérence avec les engagements pris par sa présidente lors des auditions devant le CSA, France TV a coproduit une mini-série inédite intitulée « Black and White ». Pensée et écrite par le producteur engagé Jacques Kirsner (JEM Productions) cette série de 4 x 52 minutes sera diffusée dès décembre 2020 sur France 3, la chaîne de télévision généraliste française de service public, avant d’être programmée sur TV5 Monde, la chaîne internationale de télévision francophone.
Tournée au Sénégal et en France, entre 2019 et 2020, « Black and White » est une saga romanesque qui raconte l’histoire du premier couple mixte au Sénégal. Tout en décrivant les passions d’une époque rythmée par les amours, les haines, les guerres, ce nouveau feuilleton raconte surtout une époque où colons et militants indépendantistes sénégalais résistent ensemble ou s’affrontent, jusqu’au 4 avril 1960, jour de l’indépendance du pays de la Téranga.
À l’affiche de ce divertissement d’inspiration historique réalisé par le sénégalais Moussa Sène Absa (Madame Brouette en 2004), on retrouve la prometteuse Marème N’Diaye (vue dans Amin de Philippe Faucon en 2018), Olivier Chantreau (Les Lyonnais d’Olivier Marchal en 2011), Dominique Labourier, Laurent Grévill, Isabelle Gélinas, Aurélien Wiik et Dimitri Storoge. Le burkinabè Moustapha Sawadogo (Duga, Les charognards en 2019) est le producteur délégué de la série, tandis que la sénégalaise Angèle Diabang en est la productrice exécutive. Pour rappel, on doit à cette dernière « Congo, un médecin pour sauver les femmes » (2014), un film documentaire mettant en exergue l’action du docteur gynécologue et militant des droits de l’homme congolais Denis Mukwege, Prix Nobel de la paix 2018.
Pour l’heure, pas de date de diffusion pour « Black and White », mais quelques images de tournage disponibles sur le site de la société de production (JEM Productions) du scénariste, dialoguiste, et producteur Jacques Kirsner. Et en guise de piment sur le thiéboudiène, c’est Mamadou « Zulu » Mbaye qui signe l’affiche de la série. Rendez-vous en décembre…
NB : les illustrations sont extraites de la mini-série « Black and White »