Un journal congolais proche de Denis Sassou Nguesso accuse Paul Biya d’être à l’origine d’une campagne visant à ternir l’honneur du président congolais. Selon le même journal, le président camerounais aurait financé la parution d’un livre intitulé Sassou Nguesso, l’irrésistible ascension d’un pion de la Françafrique (L’Harmattan, 2009). La présidence camerounaise a apporté un démenti. Mais une crise couve entre les deux pays.
L’affaire prend les allures d’une véritable crise diplomatique entre Yaoundé et Brazzaville. Une guéguerre à laquelle Paul Biya, le président du Cameroun, et son homologue Denis Sassou Nguesso de la République du Congo se livreraient par médias interposés. Dans ses livraisons de septembre et d’octobre, Le Choc, un mensuel brazzavillois proche de Denis Sassou Nguesso s’attaque directement à Paul Biya, qu’il accuse d’avoir orchestré une campagne médiatique contre le président congolais.
Paul Biya a ainsi droit à sept articles chapeautés d’un éditorial, dans l’édition de septembre. Des textes d’une rare violence. Où l’on voit le président camerounais associé pour la circonstance à Jean-Paul Tedga, le directeur de la publication d’Afrique Education, un mensuel paraissant à Paris, traité de « chien enragé », de « catastrophe vivante », ou encore d’ « ordure ». Un « déchaînement langagier d’une rare verdeur », souligne Joseph-Janvier Mvoto Obounou, directeur du développement des médias et de la Publicité au ministère camerounais de la Communication, qui a signé dans la presse camerounaise une tribune pour défendre Paul Biya.
Paul Biya accusé d’avoir financé un livre hostile à Sassou Nguesso
Dans son édition d’octobre, Le Choc en remet une couche : « Troublantes révélations sur le livre de la diaspora congolaise. 975 millions FCFA : Biya a financé la sortie du livre de la diaspora congolaise contre Sassou Nguesso », lit-on à la Une du magazine. Une allusion à un livre à charge contre le président congolais, Sassou Nguesso, l’irrésistible ascension d’un pion de la Françafrique, publié chez L’Harmattan par la Fédération des Congolais de la diaspora.
Pour Le Choc, c’est Yaoundé qui a déclenché le conflit. « Depuis trois ans, le Cameroun tape sur mon pays par le biais du journal Afrique Education. C’est pour cela que nous avons réagi en publiant les dossiers spéciaux », explique à Afrik.com Asie Dominique de Marseille, le directeur de la publication du Choc. Ses collègues et lui soutiennent ainsi que Paul Biya n’a de cesse de commanditer des articles dans le magazine Afrique Education pour dénigrer Sassou Nguesso. « En 2009, sur 24 publications (…), il le magazine NDLR] en a consacré 22 à insulter le chef de l’Etat congolais » écrivent-ils. Selon eux, c’est sous l’inspiration de Paul Biya que Jean Paul Tedga a pu, dans son magazine, qualifier Denis Sassou Nguesso de « tare pour la société congolaise », après avoir jugé honteuse son élection à la tête de l’Union africaine, et pointé sa responsabilité dans l’affaire des disparus du Beach.
A propos du financement du livre anti-Sassou Nguesso, ils écrivent: « C’est en mars 2007 qu’il [Paul Biya, Ndlr] dépêcha un de ses émissaires, agent évoluant à la présidence de la République camerounaise, rencontrer le journaliste camerounais Paul Tedga et lui présenter le projet de sortir un livre accablant sur le président Denis Sassou Nguesso ». Une rencontre qui sera suivie d’un deuxième rendez-vous, au cours duquel l’envoyé du président camerounais aurait remis au journaliste une mallette contenant l’équivalent de 1500 000 euros pour éditer le livre.
Conflit de leadership sous-régional
Pourquoi Paul Biya dépenserait-il autant pour décrédibiliser son homologue congolais ? Parce qu’il souhaiterait prendre la place de leader de l’Afrique centrale laissée par feu Omar Bongo, estime Le Choc. Une position que lui disputerait Sassou Nguesso.
« Le président Denis Sassou Nguesso est un rassembleur. Autour de lui, on retrouve facilement Idriss Deby du Tchad, François Bozizé de Centrafrique, Obiang Nguema de Guinée équatoriale. Cette entente fait manquer le sommeil à Paul Biya », selon le mensuel congolais.
Les rédacteurs du Choc rappellent ainsi que Paul Biya a été le seul à ne pas voter pour Denis Sassou Nguesso lors de son élection à la présidence de l’Union africaine. Ils ajoutent que le président camerounais a snobé son homologue congolais par deux fois. Il n’est pas venu à sa récente cérémonie d’investiture. Après avoir confirmé qu’il participerait aux festivités marquant le 49e anniversaire de l’indépendance de la République du Congo, il a décidé en dernière minute de se faire représenter.
La campagne médiatique contre Sassou Nguesso participe, selon les journalistes congolais, de cette même logique d’adversité. Et pour ce faire, Paul Biya a trouvé en Paul Tedga la personne idéale. Celui-ci, expliquent-ils, nourrit depuis quelques années, une profonde animosité personnelle contre le pouvoir de Brazzaville. Et d’évoquer une sombre affaire de contrat de publireportage portant sur plusieurs centaines de milliers d’euros que Brazzaville aurait décidé d’annuler, après avoir honoré quelques échéances.
Idriss Deby médiateur ?
« La crise entre les deux capitales est bien réelle », indique un journaliste camerounais. Denis Sassou Nguesso se serait ainsi plaint auprès de plusieurs présidents africains. C’est même pour tenter une médiation qu’Idriss Deby, le président tchadien, se serait rendu à Yaoundé fin octobre dernier. Denis Sassou Nguesso aurait également dépêché Firmin Ayissa, son directeur de cabinet et ministre d’Etat à Yaoundé, pour remettre un pli fermé à Paul Biya.
La réaction officielle de Yaoundé a pris la forme d’un droit de réponse écrit par Martin Belinga Eboutou, directeur du cabinet civil de la présidence. Dans la missive qu’il écrit le 26 octobre, celui-ci regrette les manchettes et articles « désobligeants, irrévérencieux, mensongers » à l’égard de Paul Biya. Il indique que le président n’a pas financé de livre contre Sassou Nguesso. « Il est extravagant de prétendre que le président Paul Biya l’a financé, au seul prétexte qu’un journaliste d’origine camerounaise, vivant et travaillant à Paris, en a rendu compte ».
Les auteurs du livre nient tout lien avec le président camerounais
Un avis partagé par Brice Nzamba, membre du collectif à l’origine du brûlot. « Ils n’ont pas pu écrire cela sans l’aval de Sassou Nguesso. Le Président veut peut-être décrédibiliser notre livre. Mais tous ceux qui sont au courant de la genèse de l’ouvrage savent que seule l’association française Survie nous a soutenus. Nous n’avons aucun lien avec le président camerounais », assure-t-il.
De son côté, Jean Paul Tedga affirme n’avoir fait que son travail de journaliste. A l’en croire, son magazine se vend bien en République du Congo, parce qu’il ouvre ses colonnes aux opposants de Sassou Nguesso. Il n’y a donc pas eu de tentative de chantage, selon lui. « Ils [les journalistes du Choc Ndlr] parlent de contrats annulés. Qu’ils montrent donc les documents portant ma signature! S’ils les avaient, ils n’auraient pas hésité à les publier pour appuyer leurs écrits. Je suis une victime dans cette affaire. On m’a tout simplement utilisé», estime Jean Paul Tedga.
Pourtant, Asie Dominique de Marseille, le patron du Choc, persiste et signe. « Nous avons enquêté à Yaoundé et nous avons eu la confirmation que c’est Paul Biya qui a financé le livre. Je n’ai même pas reçu son droit de réponse, alors que ses collaborateurs ont mon adresse. Après chacune de mes deux publications sur le Cameroun, j’ai envoyé quinze exemplaires du journal à la présidence de Yaoundé par DHL. Et ils ont été reçus. Le directeur du cabinet de Paul Biya a tenté de me joindre par téléphone, mais c’est ma secrétaire qui l’a reçu parce que j’étais absent ».
Martin Belinga Eboutou lui a suggéré de présenter ses excuses à Paul Biya, en lui rappelant que selon la coutume, celui-ci a qualité pour le maudire. De son côté, Jean Paul Tedga a décidé de consacrer le prochain numéro de son magazine à l’affaire. « Congo Brazaville – Cameroun, la guerre n’aura pas lieu. Tel sera ma Une, avec la photo du président Sassou Nguesso », indique-t-il. Brazzaville et Yaoundé apprécieront.