La conférence internationale sur les biocarburants qui s’est tenue à Ouagadougou a permis de faire un point sur les connaissances scientifiques et agronomiques sur les biocarburants axées sur leurs potentiels pour l’Afrique. Les atouts des huiles végétales utilisées comme carburant ont été clairement mis en valeur. Mais, de l’avis de tous, les recherches doivent se poursuivre.
« Les biocarburants, quels potentiels pour l’Afrique ? » C’est la question qui a guidé les travaux de la Conférence internationale sur les biocarburants, dont la 3e édition se tenait à Ouagadougou du 14 au 16 novembre. Un rendez-vous qui se tient dans la capitale du Burkina Faso tous les deux ans, organisé par l’Institut international d’ingénierie de l’eau et de l’environnement (2iE), le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et le ministère burkinabè des Mines, des carrières et de l’énergie. Plus de 250 participants venus de 29 pays ont ainsi débattu pendant trois jours sur la pertinence des filières biocarburants pour le développement de l’Afrique, à l’aune des paramètres locaux. Les expériences, notamment du Brésil, du Mali, mais aussi du Kenya et Taïwan, ont été partagées.
Depuis 2007, en lançant cette grande conférence internationale, l’idée était de faire un point sur les avancées scientifiques et la recherche dans cette toute jeune discipline, afin de donner aux gouvernements et aux décideurs des pays de la Cédéao une évaluation du potentiel des énergies renouvelables en Afrique de l’Ouest, et de leur permettre de mettre en place les politiques adaptées aux contextes africains. Ce rendez-vous, au regard des enjeux du développement, est « toujours et peut-être plus nécessaire quand on mesure les défis énergétiques auquel le monde et l’Afrique doivent faire face », insiste le directeur général de 2iE, Paul Giniès. « La volatilité des prix de l’énergie fossile a mis en exergue l’orientation vers de nouvelles sources d’approvisionnement en énergie », a aussi estimé le ministre des Mines, des carrières et de l’énergie, Lamoussa Salif Kaboré.
Parmi les idées fortes qui se sont dégagées de ces discussions, l’augmentation de la demande alimentaire, sous la pression démographique particulièrement forte en Afrique, impose une croissance de la production alimentaire, qui elle-même ne peut se faire sans utiliser plus d’énergie. « L’accès à l’énergie conditionne la sécurité alimentaire, et les agriculteurs sont le premier élément pour parvenir à cette sécurité énergétique », ajoute Paul Giniès.
Depuis la première conférence, de nombreux progrès ont été enregistrés sur les questions scientifiques. Les points techniques – qualité de l’huile, nécessité de développer des standards, traçabilité – ont été abordés. L’huile végétale extraite des plantes oléagineuses (colza, soja, coton, jatropha,…) peut servir à l’alimentation des moteurs de type plateforme multifonctionnelle (décortiqueuse, moulin, chargeur de batterie…) présents dans les villages mais aussi en substitution aux hydrocarbures pour alimenter les centrales thermiques pour produire de l’électricité. De nombreux participants ont insisté sur l’intérêt de la filière courte, permettant un meilleur accès à l’énergie en zone rurale.
Le foncier et les usages
La question des terres cultivables, avec la prise en compte des problèmes fonciers et des usages locaux, a été longuement débattue. Contrairement à certains modèles d’évaluation de la disponibilité des terres, des enquêtes de terrain montrent que les terres non cultivées ne sont pas pour autant « sans usage » pour les populations, notamment en termes de cueillette, de bois de chauffe ou de pâturage.
Et la culture industrielle d’agrocarburants n’est pas possible partout. Des contraintes comme le morcellement des terres (dans le cas de Madagascar) mais aussi sociales sont à prendre en compte, précise Laurent Gazull, du Cirad. Il insiste aussi sur l’écart constaté entre les rendements théoriques et les rendements observés, plus faibles, résultant des conditions d’utilisation des intrants et d’une organisation du travail moins efficiente qu’anticipée. Ces résultats mettent en lumière la nécessité de former les petits agriculteurs et de structurer la filière.
Le jatropha perd de son aura
Le jatropha a aussi chuté de son piédestal et perdu son image de panacée. Selon les premiers résultats, les rendements sont inférieurs à ceux escomptés, les producteurs ont du mal à s’organiser, et les plantations sont victimes de ravageurs. Cette plante, qui pousse dans des régions semi-arides, a tout de même besoin d’engrais, de traitements phytosanitaires et d’eau pour produire des graines… Les expériences sont diverses. Si au Kenya, le jatropha ne fonctionne pas en association avec le bananier, qui lui fait une sévère concurrence, au Mali ou au Burkina Faso, en culture associée à d’autres spéculations, les résultats sont plus encourageants. Au Mali, une dizaine de véhicules des Grands moulins roulent déjà au biodiesel.
En outre, sur la question de la finance carbone appliquée à un projet de plantation de jatropha, François Géraudy, directeur Afrique d’Eco-Carbone, n’a pas caché les difficultés rencontrées, qu’il compare à une course d’obstacles. Si dans le projet qui le concerne au Mali, il a réussi à faire du préfinancement sur du crédit-carbone, il met en avant les coûts entraînés, les compétences et les réseaux nécessaires pour faire avancer ce type de projet. « Pour les petits projets, ce type de financement est exclu dans le contexte actuel », souligne-t-il.
Sur le développement de la filière agrocarburant, les pouvoirs publics ont été interpellés, afin qu’ils dressent un cadre politique adéquat. Amingun Bamikole, de l’université de Stellenbosch en Afrique du Sud, a souligné à ce propos le caractère souvent déclaratoire des politiques non accompagnées de stratégies concrètes. L’ensemble des participants penchent pour un développement des agrocarburants, mais précisent que cela ne doit pas se faire dans n’importe quelles conditions. Si c’est pour exporter des graines qui seront valorisées à des milliers de kilomètres, beaucoup soulignent alors les risques de concurrence sur les terres et le peu de valeur ajoutée pour les populations rurales à travers cette option, qui n’apporte pas une sécurité énergétique directe aux populations. Pourtant, certains pays tentent l’aventure, comme le Mozambique ou le Sénégal, qui a été confronté à la colère des populations locales.
Au bout de trois jours, la conclusion tombe : « Il n’existe pas de solution clé en main ». Le jatropha n’est pas une plante miracle, mais le modèle de production reste à développer en monoculture ou en association, selon les opportunités. La petite agriculture reste incontournable, notamment dans le cadre d’une orientation vers les huiles végétales brutes. Ces dernières sont plus adaptées au contexte de la Cedeao : plus simples à transformer, car demandant moins d’investissement, elles sont aussi plus rentables pour les communautés des zones rurales. Des études sur le cycle de vie, l’impact environnemental, mais aussi la rentabilité économique doivent être poursuivies. Rendez-vous dans deux ans.
Un article de Marchés Tropicaux et Méditerranéens :
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