La rédaction d’Afrik a eu un coup de coeur pour le film de l’Autrichien Andreas Gruber, Bienvenue en Afrique. Une comédie satirique intelligente sur le racisme et l’expulsion d’Europe des immigrés clandestins. Chaque journaliste livre ses impressions.
Un retournement de situation habile
Le réalisateur autrichien Andreas Gruber a choisi de traiter par l’humour un sujet dur et terriblement d’actualité : l’expulsion des immigrés clandestins par les pays européens. Son scénario est basé sur un retournement de situation habile. Pour une fois, ce sont deux Blancs, dont l’un arrogant et raciste, qui se retrouvent sans papiers dans un pays africain, à la merci de toutes les arnaques et au sein d’une culture qui leur est totalement étrangère… Une idée en forme de vengeance pour les centaines d’immigrés qui ont connu des reconduites humiliantes dans leur pays ! Le réalisateur, par ailleurs président d’une association anti-raciste dans son pays, explique avoir voulu réaliser ce film après le décès, en 1999, de Marcus Omofuma, un jeune Nigérian sans papiers, mort asphyxié sur le vol qui le ramenait en Afrique parce que les trois policiers autrichiens qui l’accompagnaient l’avaient « attaché et bâillonné comme une momie ». Très concerné, mais aussi très renseigné, Andrea Gruber montre dans la première partie du film les différentes étapes de la procédure d’expulsion, dans des scènes qui font froid dans le dos… La suite du film, avec les péripéties des deux Autrichiens en terre ghanéenne, est savoureuse mais toujours tragi-comique. Jusqu’au dénouement final qui met en relief l’hypocrisie et l’indifférence des autorités autrichiennes à l’égard du jeune clandestin qui a pourtant sauvé la vie des deux policiers.
Olivia Marsaud
« Ça te plaît ici ? Alors reste ! »
Dans Bienvenue en Afrique, Andreas Gruber développe avec subtilité et justesse, flirtant avec la caricature, l’une des raisons essentielles de l’émigration. Tout le monde le sait, mais personne ne le réalise vraiment : si les gens, et ici les Africains, émigrent, ce n’est pas par plaisir, mais par nécessité. Qui va se lever, risquer sa vie et son peu de fortune pour passer en Occident si n’est pas parce que son pays ne lui offre réellement pas de quoi vivre ou faire vivre sa famille ? C’est ce qu’explique le héro noir du film aux deux policiers blancs qui le reconduisent dans un pays supposé être le sien, en leur lançant un poignant : « Ça te plaît ici ? Alors reste ! ». Court, simple, mais redoutablement efficace. Le réalisateur humaniste autrichien a parfaitement su montrer avec finesse la situation. Il ne stigmatise pour autant pas les Blancs. Car c’est parce qu’ils ne voient pas et ne vivent pas certaines réalités que les habitants des pays du Nord ne comprennent pas la misère qui peut pousser les Africains à quitter leur terre natale. Mais une fois le nez dedans, tout est différent… D’ailleurs, les deux Blancs, et plus particulièrement celui qui a brillé au départ par son racisme primaire, partagent un moment la souffrance du Noir. Comme quoi ce qui est insupportable aux uns, peut aussi l’être aux autres. Un véritable appel à la tolérance et une saisissante leçon d’humanité qui devrait inspirer certains membres du gouvernement français.
Habibou Bangré
Au delà de la compassion, l’empathie
Isaac, immmigré africain est arrêté par les autorités autrichiennes qui le reconduisent au Ghana, sa prétendue mère partrie. Là les deux policiers se retrouvent, comme lui en Autriche, sans-papiers. Les « immigrés » apprécieront d’ailleurs avec un plaisir fortement teinté de sadisme – soyons francs ! – cette inversion des rôles. Bienvenue en Afrique est donc une autre façon d’aborder le thème de l’immigration notamment africaine vers l’Europe. En invitant les Européens à se mettre dans la peau de sans-papiers, Gruber les appelle à faire évoluer, avec beaucoup d’objectivité, leur mentalité à propos de gens qui sont aujourd’hui parfois traités comme la lie de l’humanité. Mention spéciale au personnage incarné par Georg Friedrich. Nombre d’occidentaux sont souvent comme ce policier raciste : bourrés de préjugés sur les Noirs. Pourtant l’espoir est permis. Car ce film démontre, une fois de plus, qu’apprendre à se connaître en tant qu’êtres humains est de loin le moyen – mieux que les grands discours – le plus efficace de lutter contre le racisme. Aller voir Bienvenue en Afrique, c’est plus que s’offrir un bon film, c’est s’ouvrir à la possibilité d’un monde plus fraternel.
F.G
Un penchant dérangeant à l’afropessimisme
Deux flics autrichiens dont l’un ne cache pas son mépris pour les étrangers se retrouvent au Ghana pour raccompagner, « dans son pays », un jeune clandestin dont les autorités ne veulent pas croire qu’il est libérien. Une fois sur place, les deux pandores se retrouvent bloqués sans le sou et sans papiers à Accra. Le directeur de l’aéroport froissé par l’arrogance de ce flic « des forces spéciales » en civil, bloque leurs passeports… parce qu’ils n’ont pas de visa. Juste pour leur faire les pieds. Interdiction de quitter la ville. Et à eux de veiller sur leur « prisonnier » qu’ils sont chargés de remmener en Europe. Commence alors un voyage haut en couleurs où les autochtones d’hier sont les étrangers d’aujourd’hui. Inversion cocasse de situation. Si le film fait mouche sur de nombreux aspects d’une vie d’immigrer dans un pays inconnu, il reste que Bienvenue en Afrique demeure un film assez orienté. Rien, en effet, dans la toile de fond de l’histoire – le Ghana – ne respire l’optimisme. C’est un Ghana uniquement sale, bondé et pauvre que l’on voit à l’écran. Bref un pays que tout pousse à quitter. On trouve aucune chaleur dans un peuple ghanéen cantonné à un rôle de faire valoir. Bref on a l’amère impression qu’il n’y a rien de bon en Afrique. Dommage, car le film aurait assurément gagné en profondeur et en sensibilité. A voir tout de même.
David Cadasse