Le crépuscule vient de tomber sur Conakry, lorsque le convoi d’une délégation dont Afrik.com fait partie, arrive au cœur du célèbre camp Alpha Yaya Diallo, au siège de la présidence guinéenne. Cela fait deux jours que ces hommes d’affaires, journalistes, communicants… venus de Paris pour le Salon de l’emploi, de la formation et des métiers cherchent à rencontrer le président Moussa Dadis Camara. Installés dans le salon de l’homme fort de la Guinée, ils espèrent être enfin reçus.
Notre envoyé spécial à Conakry
Le salon du capitaine Moussa Dadis Camara, dans sa résidence du camp Alpha Yaya Diallo, grouille de monde en ce début de soirée du mercredi 27 mai. Entre ministres, hommes d’affaires, journalistes… difficile de circuler. Pour les militaires de la garde rapprochée du président, c’est une situation inadmissible. Ils s’attèlent à mettre de l’ordre dans la salle avant la sortie du capitaine qui, semble-t-il, va recevoir la délégation dont Afrik.com fait partie. Toutes les personnes qui n’ont pas été invitées sont alors priées de vider les lieux. Les journalistes doivent montrer leurs badges. Une première sélection effectuée, le salon reste plein et les visiteurs manquent toujours de place. Casse-tête pour les soldats. Des chaises plastiques supplémentaires sont ramenées. Il est 20 heures. Chacun doit pouvoir s’asseoir. C’est bien la moindre des choses quand on vient chez le président Dadis. Heureusement, « il n’y a pas cette même affluence tous les jours », glisse une jeune béret vert au visage angélique.
« Toi, lève-toi. Va te mettre là-bas »
Tant bien que mal, les militaires parviennent à trouver une chaise à tout le monde. Les journalistes de la délégation, d’ordinaire loquaces, sont silencieux. L’heure n’est pas à la rigolade dans cette ambiance très militarisée. « Toi, lève-toi. Va te mettre là-bas ». Tels sont les ordres qu’adressent parfois les soldats aux invités du président. La crispation s’installe un temps. On peut être viré à tout moment. Des caméramans parviennent à placer quelques blagues sur le discours que le capitaine a prononcé plus tôt dans l’après-midi, à l’Université Lansana Conté de Sonfonia. Dans son texte, visiblement improvisé, Moussa Dadis Camara a indiqué que l’impérialisme vient aussi de l’Afrique. La plaisanterie consiste donc à s’appeler « impérialiste » entre membres de la délégation… Mais les ministres présents sont plus détendus. Sans doute l’habitude.
Dans ce salon où est entassée une trentaine de personnes, tout le monde, ou presque, est assis face à une porte donnant accès au reste de la maison du président Dadis Camara. Un militaire, Kalachnikov au poing, est posté à l’entrée, scrutant de ses yeux inexpressifs le moindre geste suspect. A sa gauche, un grand poste téléviseur à écran plasma retransmet une intervention du président dans le journal. Au dessus de ce grand écran, un tableau géant illustrant le président Dadis, habillé en treillis, comme d’habitude, avec à ses côtés son inséparable ministre de la Défense, Sékouba Konaté (alias El Tigre). Il se raconte en Guinée que c’est ce dernier qui tient véritablement le pouvoir, et qu’il est craint du président Moussa Dadis.
« Il faut être patient quand on veut voir le président »
Une heure d’attente s’écoule. Il est 21 heures passées. Une jeune militaire apparaît, nettoie la table basse du salon, y pose un cendrier et un paquet de mouchoirs en papier. Le président ne va sans doute pas tarder se disent les membres de la délégation. Les reporters d’images s’activent, revérifient leurs caméras installées plus tôt de façon à avoir un bon angle de vue. Mais ce n’est pas encore le moment. Entre temps, une audience s’achève. Deux ou trois personnes qui ne sont pas membres de la délégation sont convoquées de l’autre côté du salon. Le président les y reçoit.
Pour la délégation, l’attente se poursuit. Entre temps, une autre jeune femme militaire, il n’en manque pas chez le président, fait le tour et sert de la boisson sucrée en cannettes aux visiteurs. Promiscuité oblige, militaires de la garde rapprochée et visiteurs finissent par échanger amicalement. La méfiance tombe. Ils se retrouvent même à griller une cigarette ensemble sur une petite terrasse réservée à la garde présidentielle. Là, un des soldats se livre aux journalistes de la délégation : « Pour voir le président, il faut être patient. Il travaille la nuit et il reçoit jusqu’au matin vers 8 heures. Après il dort jusqu’à 13 heures avant de reprendre ses activités. Tous ceux qui viennent en audience le matin n’arrivent jamais à le rencontrer ». Et vous, quand vous reposez-vous, lui demande un journaliste ? «Nous, on n’a pas besoin de beaucoup de repos, répond-il. Deux à trois heures de sommeil nous suffisent. Cinq minutes de pause et chacun retourne à son poste.»
L’attente reprend. Elle est interminable. La faim commence à se faire sentir. La journée a été longue, c’est à peine si les membres de la délégation se sont mis un morceau sous la dent. A ce moment précis, où les estomacs crient famine, des gardes traversent le salon avec une pile de pizzas, apparemment commandées en ville, et une bouteille de champagne. De l’autre côté du salon, un petit festin entre le chef d’Etat et ses invités semble s’annoncer. Les membres de la délégation n’en peuvent plus. La rencontre avec le président sera pour une autre fois. Il est près de 23 heures.