Bienvenu Mbutu Mondondo, qui a porté plainte en 2007 pour faire interdire Tintin au Congo en Belgique, sans succès, s’apprête à saisir le ministre de la Culture de la République démocratique du Congo. Après avoir menacé, début septembre, de porter l’affaire devant la justice française. Bienvenu Mbutu Mondondo, qui demande pourtant le retrait de l’album du marché, se dit pour le dialogue.
Après l’Angleterre, les Etats-Unis, la Belgique et la France, voici l’affaire Tintin au Congo sur le point de rebondir… au Congo-Kinshasa. Bienvenu Mbutu Mondondo, l’étudiant congolais qui n’a de cesse de dénoncer le caractère « raciste et xénophobe » de l’album, compte saisir le ministre de la Culture de son pays, Esdras Kambale. Cela prendra la forme d’une question orale que lui posera la semaine prochaine un député au parlement. Mondondo avait porté plainte en juillet 2007 contre Moulinsart, la société qui commercialise l’œuvre de Hergé, réclamant en vain l’interdiction de l’album. Deux ans après, début septembre, c’est le très médiatique avocat Gilbert Collard qui se voit confier le dossier en vue de porter l’affaire devant la justice française. Retiré des rayons dans certaines librairies pour enfants en Angleterre en 2007, placé dans une chambre forte en août dernier à la Bibliothèque de Brooklyn à New York, boudé par l’éditeur sud-africains de Hergé qui refuse de le traduire en afrikaans, Tintin au Congo, publié pour la première fois en 1931 dans un contexte colonial, est de plus en plus contesté aujourd’hui. Mais Bienvenu Mbutu Mondondo, qui demande pourtant le retrait de l’album du commerce, ne semble pas réfractaire au compromis.
Afrik.com : Deux ans après avoir porté plainte contre Moulinsart en Belgique, vous envisagez de le faire en France. Pourquoi la France ?
Bienvenu Mbutu Mondondo : Nous avons porté plainte le 24 juillet 2007 en Belgique. Deux ans après, nous avons demandé au juge d’instruction de nous laisser accéder au dossier. Il a refusé notre requête, et nous a répondu, le 3 septembre, que celle-ci était « prématurée ». Nous avons tout de suite introduit un appel avec Me Jean-Claude Ndjakanyi, avec mon avocat en Belgique. Si les choses ne bougent pas, je porterai plainte en France. C’est Me Gilbert Collard qui se charge du dossier. Mais entretemps, je vais saisir le ministre de la Culture de la RDC. Un député est en train de préparer une question orale qu’il va lui poser la semaine prochaine au parlement. Si une solution n’est pas trouvée, nous saisirons la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Afrik.com : Pourquoi faire interdire Tintin au Congo ? Cela ne vous dérange pas de censurer un livre ?
BMM: Un artiste a le droit de s’exprimer, il a le droit d’écrire sur tout. Mais il ne faut qu’on lui impose ce qu’il doit écrire. Au départ, Tintin au Congo n’était pas dans les plans de Hergé. C’était une commande des pères catholiques, de la propagande pour faire venir la main-d’œuvre au Congo. C’est un document qui ne reflète pas les pensées de Hergé.
Afrik.com : Mais l’interdire ne va pas régler le problème du racisme
_ BMM : Je sais que supprimer Tintin au Congo ne va jamais résoudre le problème. Il faut au contraire s’en servir pour combattre le racisme, en faisant de la pédagogie. Mais pour cela, il faudrait que Moulinsart accepte de discuter.
Afrik.com : Vous avez essayé de parler avec Moulinsart avant de porter plainte ?
BMM : J’ai contacté Moulinsart pour leur poser le problème. Ils m’ont dit : « ça ne vous regarde pas ! ». J’ai saisi le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme en Belgique, et j’ai eu la même réponse. Ils ne m’ont même pas laissé déposer un dossier.
Afrik.com : Si vous êtes partisan du dialogue n’est-ce pas paradoxal de demander l’interdiction ?
BMM : Nous sommes sur un terrain juridique. Quand je demande l‘interdiction de BD, je n’ai pas forcément raison. Mais c’est la démarche que j’ai choisi pour obliger Moulinsart à s’asseoir à la table de discussion. C’est ce qui se passe en général. La justice écoute les deux protagonistes et on finit par trouver un compromis. Si je demande l’annulation, c’est pour aller à un compromis.
Afrik.com : Quelle forme pourrait prendre ce compromis ?
BMM : En Belgique, je pense qu’on peut régler le problème autrement. Voir dans quelle mesure profiter de cette BD pour faire de la pédagogie, expliquer aux gens comment et dans quel contexte elle a été réalisée. Peut-être faut-il insérer un texte. En tout cas, on ne peut pas laisser les choses comme ça. Tintin est une œuvre d’art magnifique. J’en suis conscient. Elle fait partie du patrimoine national belge. Mais cette apologie de la supériorité de la race blanche dans Tintin au Congo est choquante. On doit trouver une solution.
Afrik.com : Qu’est-ce que vous pensez de la démarche du Conseil représentatif des associations noires (Cran), qui a demandé au ministre de la Culture français Frédéric Mitterrand, il y a quelques jours, de donner son avis sur le sujet ?
BMM : Je ne vois pas à quoi va servir l’avis du ministre français de la Culture ? Je pense que c’est une diversion. Je préférerais avoir l’avis du président de l’Union africaine ou celle du parlement congolais qui, je pense, sont plus concernés par le sujet.
Afrik.com : Comment avez-vous découvert Tintin au Congo ?
BMM : Je suis tombé par hasard, en feuilletant mon journal, sur un article qui racontait qu’un avocat, David Enright, avait saisi la Commission pour l’égalité raciale (CRE) en Angleterre parce qu’il était choqué par la manière dont les Africains étaient décrits dans Tintin au Congo. La Commission avait jugé, c’était le 12 juillet 2007, que l’album était « raciste » et présentait les Africains comme des « imbéciles». Et l’éditeur britannique de Hergé, Borders, a fini par le retirer des rayons pour enfants. L’histoire m’a intriguée. Je voulais me faire une opinion. J‘ai acheté la BD le 20 juillet en me disant que si elle n’était pas raciste, j’allais l’offrir à mes neveux. Je ne l’ai pas offerte à mes neveux. J’ai porté plainte quatre jours plus tard..
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