Après la mise en lumière des affaires de biens mal acquis, beaucoup croyaient que ces scandales allaient s’arrêter. Il n’en est rien puisque de nouvelles affaires ont été révélées récemment. Dans cette contribution, Sali Bouba Oumarou, analyste sur UnMondeLibre.org, nous explique les raisons derrière la persistance de ce mal.
Les scandales ayant entouré la mise en lumière des affaires des biens mal acquis ont laissé penser que les élites africaines incriminées allaient faire profil bas sur ces pratiques qui contribuent à appauvrir les Etats. Malheureusement il n’en est rien. Le mal est toujours aussi profond. En témoigne la saisie le 14 février dernier, de près de 200m3 d’objets de valeurs appartenant au fils du président de la Guinée équatoriale. La même personne chez qui la justice française avait saisi quelques mois plutôt 11 voitures de luxe. Ces pratiques consistant à user des ressources publiques à des fins privées dans la sphère interne ou externe contribuent inlassablement à fragiliser la gouvernance des Etats Africains. Des facteurs endogènes et exogènes nous permettent d’avancer l’idée que la saga des biens mal acquis est loin de connaître une fin.
Au niveau endogène, force est de constater que les détournements de biens publics à des fins privées par l’élite au pouvoir restent favorisés par l’absence de véritable contrepouvoir, de mécanisme de reddition de compte, et des hésitations de la société civile à jouer son rôle de dernier rempart contre les abus des détenteurs de l’autorité de l’Etat.
Jusqu’ici les pays africains, régulièrement cités (Angola, Gabon, Guinée Equatoriale, Congo) dans le cadre du scandale des « biens mal acquis » partagent certaines similitudes. Ils disposent tous d’une économie rentière (pétrole) et se caractérisent par un déficit de gouvernance institutionnelle. Il reste constant que, dans l’ensemble des États touchés par ce phénomène, les institutions censées jouer le rôle de contre-pouvoir légal et légitime, et représenter les aspirations du peuple, ressemblent davantage à des boites d’enregistrements qu’à des véritables contre-pouvoirs.
Il en est ainsi par exemple des parlements et des appareils judiciaires qui restent largement inféodés à l’exécutif. En Guinée Équatoriale, le parti au pouvoir avec ses alliés disposent de 99 sièges sur 100. L’opposition est représentée par un seul député. Dans une telle configuration, à laquelle il convient d’ajouter le mandat impératif implicite (la désobéissance aux instructions et aux directives du parti sont considérées comme fautes graves) qui découle de la pratique législative depuis l’avènement de l’indépendance, comment imaginer le parlement s’opposer au désir du prince ou jouer son rôle de contrôle de l’action du gouvernement, et partant, de l’élite au pouvoir ? Il va de soi alors que le prince dispose d’un pouvoir absolu sur les moyens de l’Etat.
Du coté du Congo Brazzaville, le système judiciaire reste marqué par une forte corruption. La justice est classée avec le secteur des douanes parmi les services les plus corrompus du pays (2009-2011). En outre, l’exécutif, par le biais du ministère de la justice et du président de la république, assure une tutelle injonctive sur l’appareil judiciaire. C’est ainsi par exemple que le président de la République du Congo en 2008 a mis à la retraite des magistrats sans respect des critères légaux de mise à la retraite. Ainsi donc, les institutions censées jouer le rôle de contre-pouvoir ressemblent plus à des huiles essentielles qu’à autre chose. Dès lors, il est facile pour l’élite au pouvoir de faire main basse sur les richesses du pays, la rente du pétrole en l’occurrence. Les révélations de l’Affaire Elf en disent long à ce propos.
Le second élément au niveau endogène, qui nous fait dire que l’affaire des biens mal acquis a encore de beaux jours, est l’hésitation de la société civile africaine à jouer son rôle de dernier rempart contre les abus des détenteurs de l’autorité de l’Etat. Sans la vigilance et l’activisme des ONGs du Nord et d’associations africaines basées hors du continent, jamais la lumière n’aurait été faite sur ces pratiques. La braise a été allumée par le rapport de l’ONG CFFTD Terre solidaire dont le titre à lui seul donnait le ton : « Biens mal acquis… profitent trop souvent – La fortune des dictateurs et les complaisances occidentales ». Et depuis lors, aucun mouvement d’organisation de la société civile dans les États incriminés par le scandale des biens mal acquis n’a joué le rôle ou ne joue le rôle « d’état de veille » contre ce phénomène. Ce sont toujours les ONGs du Nord qui continuent à défendre une cause qui devrait être défendue d’abord par les peuples concernés. Ce qui n’est pas sans apporter de l’eau au moulin de la thèse de l’exceptionnalisme occidental en matière d’organisation et de fonctionnement de la société civile.
Enfin, au niveau exogène, les pratiques de détournement des biens publics à des fins privées par l’élite au pouvoir restent favorisées par les complaisances occidentales, les soutiens politiques dont bénéficient les personnes incriminées dans les hautes sphères des États où ils investissent une part importante des sommes ainsi détournées. C’est ainsi que via la fameuse nébuleuse « Françafrique », les élites des pays francophones pointés du doigt dans le cadre des « biens mal acquis » ont toujours bénéficié d’un soutien implicite au niveau des hautes sphères de décision française. Concrètement, ces soutiens se sont traduits par les entraves au processus judiciaire enclenché depuis 2007. Le Parquet, qui n’est rien d’autre que le prolongement de l’exécutif au sein de l’appareil judiciaire, mettra fin aux poursuites par deux fois. Ce qui soulève ici une autre question : celle de l’indépendance de la justice française. Une indépendance affirmée, mais de moins en moins vécue, à en juger par le projet de réforme de la justice, il est vrai, actuellement gelé, visant à supprimer le juge d’instruction (magistrat disposant de plus d’indépendance par rapport aux magistrats du Parquet qui restent liés à l’exécutif).
En 2007 le Président Sarkozy avait promis une « rupture » dans ces relations opaques entre la France et l’Afrique, rupture qui n’a pas vraiment eu lieu. La possible alternance politique en mai en France changera-t-elle la donne ?
Sali Bouba Oumarou est analyste sur www.UnMondeLibre.org.
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