L’argent de la corruption et des détournements, la Suisse veut les restituer aux populations qui en ont été privées par des dirigeants cupides sur le continent africain ou ailleurs. Le passage du secret bancaire à la chasse aux biens mal acquis, sa quinzaine d’années d’expérience de réussites ( comme l’affaire Sani Abacha au Nigeria) et d’échecs, la Suisse veut les partager au profit du développement et de la lutte contre la pauvreté.
« Ce n’est pas une question d’image, c’est une question de justice », dixit Micheline Calmy-Rey, chef du département fédéral des Affaires étrangères de la Confédération suisse. Depuis une quinzaine d’années, la Suisse réforme un système bancaire qui a permis aux dictateurs du monde entier d’amasser des sommes colossales dans ses banques au détriment de leurs populations. Entre 1993 et 1998, l’ancien président nigérian Sani Abacha détournera entre 2 et 5 milliards de dollars d’euros, soit 27% du PIB moyen de ce pays. L’Etat nigérian parviendra à récupérer plus d’un demi-million grâce à la coopération judiciaire de la Suisse. Cette success-story, et bien d’autres, la Confédération helvétique compte bien les multiplier. D’autant que des pays comme Haïti, après le terrible séisme survenu en janvier, aurait bien besoin des avoirs de l’ancien chef d’Etat Jean-Claude Duvalier bloqués en Suisse et qui ne peuvent être rendus à ce jour.
La Suisse se veut pionnière
Ce sont 20 à 40 milliards de dollars qui échappent ainsi aux pays en voie de développement, notamment africains, parce qu’ils sont détournés ou captés par d’autres formes de corruption. A l’origine du forum sur le recouvrement des biens mal acquis qui s’achève ce mercredi, la Suisse compte faire profiter de son « expérience » en la matière. Pour preuve de sa détermination et de sa volonté politique, les autorités suisses rappellent qu’1,7 milliard (sur 5 milliards au total, selon la Banque Mondiale) ont été rapatriés par la Confédération helvétique. Ce qui fait de la 7e place financière au monde un pionnière. Selon l’initiative pour la restitution des avoirs volés (Star), fruit de la collaboration entre la Banque Mondiale et l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (Onudc), chaque 100 millions de dollars d’avoirs rapatriés permettraient, par exemple, à 250 000 ménages d’être raccordés à l’eau.
« Les temps sont durs », a rappelé ce mardi Ngozi Okonjo-Iweala, directrice générale de la Banque Mondiale, partenaire de la rencontre, au lancement du forum. Au moment où les pays riches serrent les cordons de la bourse pour faire face à la crise, dont celle de l’aide publique au développement, le recouvrement des fonds détournés constitue une source de financement « qui doit être prise au sérieux ». Cependant, c’est encore une fois les pays industrialisés qui doivent donner le ton en ratifiant les différentes conventions existantes, mais surtout en les appliquant. » Pour Mo Ibrahim, l’entrepreneur soudanais qui a fait de la bonne gouvernance son cheval de bataille à travers sa fondation qui distingue les leaders africains, la société civile « doit faire pression pour que les gouvernements agissent ». « Les gouvernements européens parlent mais ils ne font rien ».
La « lenteur » des procédures de recouvrement laisse perplexe, y compris la directrice de la Banque mondiale, quant à la volonté politique des nations industrialisées. Ngozi Okonjo-Iweala note que le sujet mobilise moins les pays développés que la question de l’évasion fiscale en ces temps de crise. Peut-être parce qu’il est perçu comme « un problème qui affecte seulement les pays en voie de développement ». Le cas grec apporte pourtant la preuve que non. La corruption est préjudiciable au développement partout dans le monde. Ngozi Okonjo-Iweala se fait volontiers écho du Premier ministre grec Georges Papadréou, reconnaissant que la corruption systémique est à l’origine de l’actuelle crise qui secoue son pays.
Rien de politique
Cependant, recouvrer les produits de la corruption suppose une action concertée qui a fait défaut dans les cas Duvalier (Haïti) et Mobutu (République Démocratique du Congo). Dans le second cas, la Suisse a dû clore le dossier après avoir gelé les fonds incriminés durant des années. Pour ce qui des avoirs Duvalier, l’implication récente des autorités haïtiennes pourrait permettre de rendre quelque 5,7 millions de dollars. Les difficultés rencontrées dans la restitution des fonds par les autorités suisses du fait « d’Etats défaillants », indique Micheline Calmy-Rey, devrait être surmontée dans un avenir proche grâce à un projet de loi à l’examen au Parlement. Elle permettra de passer outre la coopération judiciaire de ces Etats, indispensable dans la plupart des procédures judiciaires de recouvrement.
Larissa Gray de la Banque Mondiale en distingue quatre. La première consiste à obtenir une condamnation au pénal (dans le pays victime), qui permettra la confiscation des avoirs incriminés grâce à une entraide juridique entre le pays d’origine et le pays de destination. C’est celle qui a permis de récupérer les avoirs de Sani Abacha en 2005. La deuxième modalité consiste à une confiscation sans condamnation juridique. L’Afrique du Sud a mené les investigations nécessaires pour permettre, une fois encore au Nigeria, de récupérer les gains illicites accumulés dans ce pays par Diepreye Alamieyeseigha, le gouverneur de l’Etat pétrolifère de Bayelsa. Une action peut être également menée au civil. C’est un avocat privé qui recherche alors les fonds illicites. Une telle procédure a abouti au gel des avoirs du président zambien Frederik Chiluba en Grande-Bretagne en 2005. Le 4e cas de figure consiste à laisser le pays de destination lancer une procédure judiciaire. La Suisse ouvre fréquemment des enquêtes dans des affaires de blanchiment sur son territoire. Et une fois les avoirs rapatriés, elle espère ne plus les revoir en s’attachant les services d’ONG et de la Banque mondiale qui s’assureront que les fonds vont bien à ceux qui auraient dû en bénéficier. La Suisse s’est appuyée sur l’une des institutions de Bretton Woods dans le cas nigérian qui reste un exemple de coopération entre Etats. « Il y avait une forte volonté politique, affirme Ngozi Okonjo-Iweala, ministre des Finances du Nigeria à l’époque. Le président Obasanjo et ses prédécesseurs ont tout fait pour retrouver les traces de ces fonds (Abacha) et répondre à toutes les obligations juridiques dans le cadre de la coopération avec le Suisse ». A cela, il faut selon la responsable de la Banque Mondiale, ajouter une bonne dose de « courage ». « Les gens qualifieront votre démarche de politique. Ce n’est pas le cas. C’est une question de développement et de lutte contre la pauvreté ».
Et ces acteurs entendent se focaliser sur l’essentiel : « Les sommes recouvrées », insiste Adrian Fozzard, coordonnateur de Star qui aide actuellement 22 pays à se doter des outils juridiques nécessaires pour se lancer dans la bataille du recouvrement des biens mal acquis. Car les sommes englouties par la corruption et les avoirs illicites restent un mystère insondable dans le monde de la finance internationale.
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