Benoît XVI a provoqué un tollé en affirmant, mardi, que l’utilisation du préservatif n’était pas la solution dans la lutte contre le SIDA. Theodore Kommegne, chercheur et psychologue camerounais, qui a l’habitude de travailler avec des enfants atteints de la maladie, donne son point de vue sur les propos du pape, et leur impact sur les populations.
« Choc », « indignation », « catastrophe», « ahurissement », « danger », « inquiétudes »… Gouvernements, partis politiques, ONG, personnalités médiatiques ne cessent de rivaliser de superlatifs indignés contre les récents propos du pape sur le préservatif. Benoît XVI avait estimé mardi, alors qu’il s’apprêtait à s’envoler vers le Cameroun, que l’on ne pouvait « pas régler le problème du SIDA avec la distribution des préservatifs » et qu’ « au contraire (leur) utilisation aggrave le problème ». Quelles conséquences la « petite phrase » du pape risque-t-elle d’avoir sur l’utilisation du préservatif et la lutte contre le SIDA au Cameroun ? Theodore Kommegne, chercheur et psychologue camerounais, spécialiste de la psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, a l’habitude de travailler auprès d’enfants atteints du SIDA, et de participer à des campagnes de sensibilisation à Yaoundé, où il est installé. Dans cet entretien, il analyse les causes des réticences à l’utilisation du préservatif au sein de la société camerounaise, et le rôle de la religion.
Afrik.com : Que pensez-vous des propos du pape ?
Theodore Kommegne : Je ne suis que très peu surpris par ses propos. Je suis davantage surpris que le monde en soit ému. C’est ignorer l’homme qui les tient, c’est oublier que nous avons affaire à Jean Paul II bis. Le pape Benoit XVI est un conservateur, pour ne pas dire l’un des purs et durs dont regorgeait le Vatican au début du XXe siècle. Il fait partie du socle conservateur de « l’orthodoxie » de l’église catholique romaine. N’a-t-il pas recommandé que le latin revienne avec force dans les célébrations eucharistiques partout dans le monde dès son arrivée aux commandes de l’église? Ne s’est-il pas opposé à « l’ouverture » de l’église? L’ouverture controversée que souhaitait et souhaite encore la tendance progressiste du prélat. Benoît XVI, sans surprise aucune, est l’incarnation de la foi conservatrice, de la stabilité et de l' »orthodoxie » de l’église qui ne doit pas perdre de son catholicisme, c’est dire de ses repères anciens, quelque soit le prix que cela pourrait valoir au peuple de Dieu. Son prédécesseur avait souligné avec insistance et sans arrêt jusqu’à sa mort, son opposition à l’usage du préservatif, et se justifiait bien : c’est contraire à l’éthique chrétienne, prétendait-il. Le successeur ne suit que ses pas ; il s’agit là d’une marque de conformisme. Les propos récemment tenus par le Pape sont contraires à l’effort de nombreuses organisations mondiales dont l’OMS, l’ONUSIDA, des organisations humanitaires et bien d’autres, qui face à la pandémie du siècle recommandent l’usage du préservatif comme un bouclier par excellence pour sauver l’humanité, pour réduire le nombre d’orphelins du SIDA, pour réduire les souffrances humaines.
Afrik.com : Pensez-vous que ces propos puissent avoir des conséquences sur l’utilisation du préservatif en Afrique?
Theodore Kommegne : Je vous dirais oui et non. L’utilisation du préservatif au Cameroun comme dans bien des pays dans le monde est mitigée. Ceux qui l’utilisent fréquemment et par habitude peuvent construire un discours cohérent et vont toujours le faire et même porter le message. Ils sont dans une construction rationnelle. Ceux qui sont fortement et aveuglément influencés pourront se laisser entrainer. Ce discours est de ce fait extrêmement dangereux. Pire encore, et c’est là que problème pourrait se poser, c’est la frange des populations qui est engagée dans une croyance morbide et addictive qui pourrait changer de conduite pour épouser l’enseignement papale.
Afrik.com : Vous qui avez l’habitude de participer à des campagnes de sensibilisation, pensez-vous que la foi chrétienne est le principal frein à l’utilisation du préservatif au Cameroun?
Theodore Kommegne : Les raisons d’un usage limité du préservatif dans notre société n’est pas en rapport avec la foi, mais beaucoup plus, je pense, avec les croyances sociales et, surtout, les discours de propagandes du début des années 1990, qui se construisaient sur la fatalité et renforçaient l’étiquetage. C’est dire que l’amélioration de l’usage du préservatif dans la société camerounaise comme dans de nombreux pays dans le monde doit être pensée en termes de changement de comportement : registre culturel, émotionnel, intellectuel, relationnel, représentatif, congitif, etc. Nous menons des campagnes de sensibilisations sur le terrain, étant donné que nous avons identifié dans notre campagne de dépistage de décembre 2008 que la prévalence du VIH chez nos enfants de la rue restait préoccupante. Les conduites sexuelles et délictuelles étant teintées d’une couleur de drogue qui, le temps de l’acte, les soustrait de la pensée rationnelle.
Afrik.com : Selon vous, quelle est la meilleure façon de Lutter contre le SIDA ?
Theodore Kommegne : La meilleure façon de lutter contre le SIDA est l’approche culturelle multi-axiale centrée sur le changement du comportement et des conduites sexuelles, incluant l’usage du préservatif, mais aussi et surtout l’éducation à la sexualité en milieu scolaire, associatif, familial, et religieux. Seulement, j’observe que la démarche de l’Espagne (qui vient d’annoncer l’envoi d’un million de préservatifs en Afrique, ndlr) ne peut constituer la moindre solution au problème du VIH en Afrique ; si les humains, les Africains surtout, n’utilisent pas le préservatif à ce jour, cela n’est nullement en rapport avec son inaccessibilité. Inonder les populations de préservatifs ne change en rien les comportements sexuels. Au contraire, certains sceptiques risquent de régresser davantage dans leur attitude pour croire comme, ce fut déjà le cas, qu’ils sont en train d’être piégés, « que ces préservatifs contiendraient des virus ». Je n’ai pas de crainte pour ce que deviendra la sexualité des humains après les propos du pape. Je vous suggère de ne pas en avoir peur, du moins pas trop. Dans sa dynamique de pensée, j’observe que Benoit XVI, « représentant de Dieu su terre », s’engage à sauver d’abord ce que Saint Pierre lui a laissé, c’est à dire l’église, avant de penser à sauver et protéger les ouailles du seigneur. Cela n’est pas nouveau, cela n’est pas surprenant, c’est le catholicisme classique dont se plaignent les églises nouvelles, dont se plaignait déjà en son temps Martin Luther. Si cela est mauvais, si cela est péché, que Dieu lui pardonne, car j’ose croire, peut-être qu’il ne sait pas ce qu’il fait.