Bénin. Une répression post-électorale inquiétante


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Patrice Talon, Président du Bénin
Patrice Talon, Président du Bénin

Au Bénin, la répression a atteint des proportions inquiétantes où quatre personnes ont été tuées lors des manifestations post-électorales, et les familles des victimes peinent à récupérer les corps du fait d’obstacles administratifs, a déclaré Amnesty International aujourd’hui.

L’organisation a documenté entre le 28 avril, jour des élections législatives, et le 2 mai, la mort par arme à feu, d’au moins quatre personnes composées d’une mère de sept enfants, d’un jeune de 19 ans, et de deux autres hommes.

A Cotonou, la plus grande ville du pays, les forces de sécurité ont procédé à des arrestations arbitraires y compris un blessé grave. Des fouilles systématiques et des interrogatoires de simples passants sont également opérés dans le quartier Cadjéhoun où réside l’ancien président Yayi Boni.

« En multipliant les obstacles pour la récupération des corps par les familles des victimes, en arrêtant arbitrairement des personnes, y compris un blessé par balle, et en restreignant le passage dans le quartier de résidence d’un ancien président, les autorités béninoises ont fait le choix d’attaquer de front les droits humains plutôt que de les protéger, » a déclaré Samira Daoud, directrice régionale adjointe d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale.

« L’usage excessif de la force est contraire à l’exercice du droit de manifester tel que reconnu par la constitution béninoise et le droit international. Les autorités doivent veiller à ce que des enquêtes approfondies et impartiales soient menées sans délai au sujet des personnes tuées par arme à feu et des blessés. Elles doivent aussi s’abstenir de déployer des militaires dans des opérations de maintien de l’ordre public. »

Les députés issus des élections législatives du 28 avril dernier – organisées en l’absence de partis d’opposition et dans un contexte de fermeture de l’accès aux réseaux sociaux- seront installés jeudi 16 mai. Des manifestations qui se sont tenues avant et après les élections pour protester contre la mise à l’écart des partis d’opposition ont été réprimées par les forces de sécurité à coups de gaz lacrymogène, de camions lanceurs d’eau anti-émeute et de tirs à balles réelles.

Amnesty International a pu confirmer la mort de quatre personnes pendant les manifestations. Le 2 mai à Kandi, une ville située au nord du pays, Kandissounon Djayane, un apprenti soudeur de 19 ans est décédé des suites de ses blessures. La veille, il avait reçu une balle à l’abdomen lors des manifestations dans la même ville. Parmi les personnes tuées figure également une femme, mère d’un bébé de neuf mois et de six autres enfants dont le plus âgé a 17 ans.

L’organisation a pu s’entretenir avec des familles qui font face à des obstacles administratifs et de la police pour récupérer les dépouilles des victimes des manifestations.

Un proche d’une victime a déclaré à Amnesty International : « Tout ce que l’on veut c’est récupérer le corps, procéder à l’enterrement pour pouvoir faire le deuil et passer à l’étape suivante, sans quoi la douleur ne passera pas et on ne pourra pas aller de l’avant.

Amnesty International a également documenté des cas de blessés qui font l’objet de représailles et de harcèlement de la part des forces de sécurité, notamment sous la forme de surveillance et de détentions arbitraires.

Ainsi, un homme de 35 ans, a été détenu arbitrairement à la prison civile de Cotonou depuis le 8 mai pour attroupement non armé. Il a été blessé le 1er mai et sa main droite amputée, pour avoir tenté de se débarrasser d’une grenade lacrymogène lancée par les forces de l’ordre. Sans prendre part aux manifestations, il se trouvait à Cadjehoun à Cotonou non loin du domicile de l’ancien chef de l’Etat Yayi Boni.

« Aucun blessé ne doit faire l’objet ou de détention alors qu’il est en train de recevoir des soins, » a déclaré Samira Daoud. « Les autorités doivent prendre de toute urgence des mesures pour fournir toute assistance nécessaire aux victimes des violences. »

Plusieurs personnes soupçonnées d’être proches de l’opposition ou d’avoir participé aux manifestations des 1er et 2 mai derniers ont été arrêtées dans la rue, sans convocation préalable, par des agents de sécurité en civil et à bord de véhicules banalisés. Des activistes politiques sous pression ont été contraints de quitter le pays pour échapper à des arrestations. Certains d’entre eux sont accusés de ‘’participation à un attroupement non armé pouvant inciter la population à la révolte’’ ou ‘’incitation à la haine et à la violence par l’usage des réseaux sociaux’’.

Ainsi, Habib Ahandessi, un étudiant et web activiste, membre du parti d’opposition Union sociale libérale (USL) a été arrêté dans la soirée du 9 mai par trois policiers dont deux en civil, et placé en garde à vue. Selon son avocat, on lui reproche d’avoir participé aux manifestations du 26 avril sur le campus universitaire de Cotonou et des 1 et 2 mai. Depuis ce 13 mai, il est en détention à la prison civile de Cotonou pour attroupement non armé. Son procès est prévu le 28 mai prochain.

Au quartier Cadjéhoun, une vingtaine de membres des forces de sécurité procèdent à des fouilles systématiques à l’entrée des principales rues. L’avocat de Yayi Boni a d’ailleurs été empêché de le rencontrer le 8 mai dernier.

« Les autorités doivent mettre un terme aux fouilles systématiques et lever toute surveillance aux abords du domicile de l’ancien président Yayi Boni, » a déclaré Samira Daoud. « Toutes les personnes arrêtées uniquement parce qu’elles ont exercé leurs droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique doivent être libérées immédiatement et sans condition. »

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