Les autorités du Bénin et du Togo doivent veiller à ce que la lutte contre les groupes armés respecte les droits humains, a déclaré Amnesty International aujourd’hui, alors que des informations font état d’arrestations et de détentions arbitraires et de violations des droits à la liberté de réunion pacifique et d’expression, et que le président français Emmanuel Macron se rend au Bénin les 27 et 28 juillet 2022.
Selon les témoignages recueillis par Amnesty International, des personnes ont été arrêtées et détenues de manière arbitraire dans les deux pays, notamment en raison de leur appartenance communautaire.
« Les forces de sécurité commettent des violations des droits humains dans le cadre de la lutte contre les groupes armés au Bénin et au Togo, notamment contre les membres de l’ethnie peul. Le risque existe que les violations des droits humains deviennent systématiques et s’aggravent, comme c’est le cas dans les pays voisins qui combattent les mêmes groupes armés depuis plusieurs années. Les autorités béninoises et togolaises doivent maintenant mettre un terme à cette situation », a déclaré Samira Daoud, Directrice régionale d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre.
« La menace des groupes armés est également utilisée comme prétexte pour restreindre les droits civils et politiques. Dans ses prochaines discussions avec les autorités béninoises, le président français Macron ne doit pas passer sous silence ces abus au nom d’une lutte mondiale commune contre le terrorisme, ou des intérêts économiques et politiques de la France. »
Depuis la fin de l’année 2021, les régions septentrionales du Bénin et du Togo font l’objet d’attaques de plus en plus fréquentes et meurtrières attribuées à Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM), un groupe armé lié à Al-Qaïda formé au Mali qui s’étend désormais aux régions septentrionales de plusieurs pays du golfe de Guinée.
État d’urgence
Les autorités du Bénin et du Togo ont adopté des mesures exceptionnelles en réponse aux attaques des groupes armés.
Le 13 juin 2022, l’état d’urgence sécuritaire a été instauré dans la région des Savanes, au nord du Togo, pour une durée de 90 jours ; ce qui autorise « l’interdiction de circulation et de rassemblement des personnes sur la voie publique », et permet aux policiers et militaires d’interpeller toute personne dont le comportement peut laisser penser qu’il existe un risque que cette personne commette une attaque », selon les propos tenus à la télévision nationale par le ministre de l’Administration territoriale.
Le 29 juin 2022, les autorités béninoises ont annoncé que « tout refus ou abstention de collaborer avec les Forces de sécurité et de défense et les autorités locales dans la lutte contre le terrorisme sera considéré comme un soutien aux groupes armés et traité comme tel ».
« Comme réaffirmé dans une résolution sur les Droits à la liberté de réunion pacifique et d’association adoptée par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU en juillet 2022, les mesures d’urgence doivent être nécessaires, proportionnées au risque évalué et appliquées de manière légale et non discriminatoire, même en temps de crise. Elles ne peuvent être légitimement utilisées pour justifier une répression de l’exercice des droits de l’homme, en particulier dans un contexte où les personnes sont susceptibles d’être intimidées ou menacées par des groupes armés », a déclaré Samira Daoud.
Arrestations et détentions arbitraires
Dans le nord-est du Bénin, le 19 mars 2022, un homme de 70 ans a été arrêté par la police dans la ville de Tanguiéta, dans le département de l’Atacora, à la frontière avec le Burkina-Faso. Il a été libéré près de deux semaines plus tard sans avoir été inculpé. Il a d’abord été emmené pour un voyage de plusieurs jours à 587 km de Tanguiéta à Cotonou, sur la côte sud, puis a été détenu pendant une semaine dans cette ville.
« Il était venu à Tanguiéta pour emmener quelqu’un à l’hôpital. Lorsqu’il a quitté l’hôpital, la police est apparue et lui a demandé s’il était peul. Il a répondu qu’il l’était, et il a été emmené avec plusieurs autres hommes arrêtés le même jour », a déclaré l’un de ses proches, dont l’anonymat a été préservé pour garantir leur sécurité.
« Pendant le trajet, les policiers les ont frappés dans le dos avec la crosse de leurs fusils. Ils ont conduit de nuit et sont restés en détention pendant la journée. L’un des policiers leur a dit que ce sont les Peuls qui tuent les policiers. »
Au Togo, plusieurs dizaines de personnes ont été arrêtées arbitrairement le 16 mai 2022 dans la ville de Timbou, dans la région des Savanes, en raison de leur appartenance à l’ethnie peul, selon le témoignage de deux personnes interrogées par Amnesty International. Ils ont été détenus par les forces militaires de Timbou, Dapaong, Biankouri et Cinkassè sans avoir accès à un avocat, photographiés et libérés les 20 et 21 mai 2022 sans avoir été inculpés.
A Kpinkankandi, un homme a été arrêté à son domicile par des militaires dans la nuit du 24 mai 2022 et emmené en détention à Dapaong, où il se trouve toujours.
« Les militaires lui ont dit qu’une personne recherchée était entrée dans sa maison. Ils l’ont menotté et mis dans une cellule à la gendarmerie de Mandouri avant de le transférer à la gendarmerie du Borgou, où il est jusqu’à présent », a déclaré l’un de ses proches.
« Nous ne comprenons pas la raison de sa détention, car aucun document ne nous a été communiqué. Un de nos voisins a été arrêté dans les mêmes conditions et est toujours en détention à Dapaong. »
Un tournant pour les rassemblements pacifiques et le droit à l’expression
Plusieurs rassemblements de partis politiques d’opposition ont été interdits ces derniers mois par les autorités togolaises sous prétexte de sécurité nationale, tandis que ceux du parti au pouvoir ont été autorisées.
Le 22 juin 2022, le ministère de la Sécurité et de la Protection civile a interdit une assemblée prévue d’une coalition de partis d’opposition en déclarant que » le contexte sécuritaire sous-régional et national actuel préoccupant, marqué notamment par la volatilité et l’imprévisibilité, est de nature à compromettre les efforts en cours pour préserver l’ordre public et la sécurité nationale « . Le 29 juin 2022, le préfet d’Agoe-Nyieve a interdit une assemblée prévue du parti d’opposition en invoquant le « contexte actuel de sécurité sous-régionale et nationale et la nécessité de préserver la sécurité et l’ordre public ».
Le droit à la liberté d’expression est également menacé. Le 11 juillet 2022, la Haute Autorité de l’audiovisuel et de la communication du Togo a convoqué le directeur de publication du quotidien « Liberté » suite à une Une évoquant une possible « bavure » dans la mort de sept enfants dans le village de Margba le 9 juillet 2022. L’armée a par la suite reconnu sa responsabilité dans la mort des enfants, tués après avoir été pris pour cible par un avion qui les a « confondus avec une colonne de djihadistes ».
Au Bénin, deux journalistes ont été arrêtés près du parc de la Pendjari alors qu’ils enquêtaient sur l’organisation African Parks. Suspectés d’espionnage, ils ont été arrêtés et détenus pendant quatre jours en dehors de tout cadre légal.
« Le Bénin et le Togo sont à un tournant car ils sont de plus en plus pris pour cible par les groupes armés. La communauté internationale, dont la France, doit faire comprendre aux autorités de ces deux pays la nécessité de remplir leurs obligations internationales en matière de droits de l’homme et de droit humanitaire, et en veillant à ce que le contexte sécuritaire ne serve pas les pratiques abusives/arbitraires observées ces derniers mois », a déclaré Samira Daoud
Contexte
Le Bénin a connu près d’une vingtaine d’attaques de groupes armés depuis la fin de l’année 2021, selon le vice-président, comme le rapporte l’Agence France-Presse, bien que les autorités n’aient communiqué que sur certaines d’entre elles. Le Togo a subi au moins quatre attaques visant des membres des forces de défense et de sécurité et des civils depuis novembre 2021.