Bénin, Léonard Wantchékon : « S’inspirer de certains aspects de notre économie dans les années 1960 pour notre développement aujourd’hui »


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Léonard Wantchékon
Léonard Wantchékon

Le premier août 2020, le Bénin a célébré le 60e anniversaire de son accession à la souveraineté nationale et internationale. 60 ans, idéal pour faire un bilan du parcours effectué par le pays depuis que Hubert Maga a lu cette fameuse proclamation de l’indépendance, aux premières heures du 1er août 1960, à Porto-Novo, capitale du jeune Etat. Pour faire ce bilan d’étape, AFRIK.COM s’est rapproché d’un Béninois de la diaspora, mais resté profondément attaché à son Bénin natal. Au point d’y implanter, il y a quelques années, une école d’enseignement supérieur, African School of Economics (ASE), dont les accomplissements transcendent les frontières nationales. Léonard Wantchékon, professeur de Sciences politiques et d’Economie à l’université de Princeton, aux Etats-Unis, par ailleurs fondateur et président de l’African School of Economics, s’est prêté à nos questions. Avec le style direct et sans fard qui est le sien.

 

Afrik.com: Quel bilan faites-vous globalement des soixante ans d’indépendance du Bénin, au plan politique ?

Léonard Wantchékon: Au plan politique, je retiens que le pays a, pendant ces 60 ans, beaucoup progressé au point de vue de ses institutions politiques, et particulièrement des institutions démocratiques. En guise de rappel, vous savez que dans les années 1960, le pays était marqué par une forte instabilité politique, et qu’il y avait même quelques cas de conflits ethniques et de violences politiques. Donc, les 10 premières années d’indépendance du Dahomey étaient caractérisées par une faiblesse institutionnelle persistante. Par la suite, le pays a connu un régime dictatorial, de parti unique, dirigé par le général Mathieu Kérékou jusqu’à la Conférence nationale.
Dans cet exercice de rappel, il faut insister sur le fait qu’avant la Conférence nationale, il y avait une mobilisation, un travail d’éducation et d’action politique notamment des jeunes qui, pendant toute cette période, luttaient pour les droits humains, les libertés et la démocratie. La Conférence nationale a donc été le dénouement des crises et des mouvement sociaux qu’il y a eu jusque-là. Et des efforts ont été faits pour gérer l’après conférence par la tenue régulière des élections, la mise en œuvre de réformes économiques, etc.

Je pense donc que la Conférence nationale est l’héritage politique majeur des derniers 60 ans au Bénin. L’idée de la convocation de cette conférence, les résultats qui en ont découlé, pour l’essentiel – je ne dis pas que tout était parfait –, ce à quoi ça a conduit par la suite, voilà ce qui cristallise le bilan politique du Bénin depuis les années 1960. A l’extérieur du Bénin, la Conférence nationale constitue un modèle qui a fait école dans plusieurs pays du continent. Cette conférence et ses résultats constituent donc un héritage, non seulement du Bénin, mais également de l’Afrique et du monde entier, en montrant comment sortir d’une crise politique, comment gérer la transition pacifique entre un régime autoritaire et un régime démocratique.
Donc le bilan politique des 60 ans d’indépendance du Bénin est globalement satisfaisant. Mais tout n’est pas rose. A titre illustratif, sur les questions de gouvernance, on pourra encore mieux faire. Il faut par exemple une réponse électorale pour sanctionner la mauvaise gouvernance ; on en n’est pas encore tout à fait là aujourd’hui, mais il faudra y venir. On peut soulever d’autres problèmes qui persistent, à l’instar de la question du financement des partis politiques, la fragmentation politique, qui ont, dans une certaine mesure, nui à la conduite des élections et plus généralement à la pratique démocratique au Bénin. Et plus récemment, il y a eu des conflits qui ne sont pas de nature à favoriser l’avancée de la démocratie dans le pays.
Bref, il y a encore beaucoup à faire pour que toutes les attentes de la Conférence nationale soient comblées. Néanmoins, le bilan est globalement positif.

Sur l’aspect économique, quels sont les principaux accomplissements ? De quoi peut-on être fier en tant que Béninois ?

Sur les questions économiques, lorsqu’on considère les chiffres, on ne peut que voir un bilan également positif ; en ce sens que le PNB du Bénin qui était d’à peu près 300 millions de dollars par an, dans les années 1970, est aujourd’hui passé à 12 milliards de dollars par an, donc pratiquement multiplié  par 40. Même lorsqu’on tient compte du ratio croissance démographique/évolution du PNB, et du pouvoir d’achat, on se rend compte que le Bénin a aujourd’hui 10 fois plus que ce qu’il aurait eu avec la même population dans les années 1970. 

Il sied d’insister également sur le fait que les infrastructures se sont améliorées, notamment les routes, de même que l’accès à l’électricité, à la téléphonie mobile et aux TIC en général. Toutes choses qui ont totalement transformé la vie sociale et économique dans notre pays, par rapport aux années 1960.

Quels sont les leviers sur lesquels il faudra davantage agir pour de meilleurs résultats ?

Ce qui reste à corriger, c’est d’abord la structure de notre économie qui ne favorise pas le développement sur le long terme ; la base industrielle du pays qui est très faible ; le fait que l’essentiel de nos activités économiques tourne autour du port autonome de Cotonou par lequel on fait de l’importation/réexportation ; le secteur agricole qui est très peu développé malgré le potentiel énorme que nous avons. Pourtant ce ne sont pas les modèles qui manquent. Par exemple dans les années 1960, on avait, en dehors du ciment, l’huile de palme qu’on produisait à partir de 4 ou 5 usines. L’une de ces usines, celle de Pobè en particulier, était aussi un centre de recherche et d’expérimentation de calibre mondial. C’est donc pour dire que dans les années 1960, on était conscient de ce que, non seulement il fallait produire l’huile de palme, mais également que cette production soit développée à partir de la recherche de pointe ; et on avait un centre qui le faisait. Imaginez par exemple qu’on fasse quelque chose de pareil aujourd’hui pour les noix d’anacarde, l’ananas, et d’autres filières encore ; imaginez par exemple qu’il y ait un peu partout dans le pays des laboratoires de contrôle de qualité comme cela se faisait dans les années 1960 par rapport à l’huile de palme… Si on fait cela, nos exportations seront, à coup sûr, beaucoup plus élevées de même que les devises étrangères y afférentes.
C’est pour dire que, même si au plan purement quantitatif, on peut noter des résultats encourageants, en ce qui concerne la structure de notre économie, on n’a pas fait de grands progrès des années 1960 à ce jour. Ce que j’aurais voulu par exemple, c’est qu’un secteur comme celui du transit joue un rôle moins prépondérant dans notre économie, au profit de ceux de la production agricole, de la production industrielle, de la transformation des produits agricoles qui méritent d’être beaucoup plus développés et soutenus, non seulement par la technologie, mais également par la recherche scientifique de haut niveau pour rompre avec l’exportation quasi exclusive de matières premières. En clair, si d’un côté, je suis satisfait, de l’autre, je suis nostalgique de certains aspects de notre économie dans les années 1960 dont on doit s’inspirer pour notre développement aujourd’hui.
Par ailleurs, il urge de développer les services, notamment les banques, les services de transport en vue de désenclaver le pays et d’avoir accès aux marchés régionaux (Togo, Nigeria, etc.). Je disais par exemple, récemment, au cours d’une réunion et je le répète donc ici : aujourd’hui, on devrait avoir à chaque 40-50 kilomètres des frontières avec le Nigeria des autoroutes pouvant permettre aux agents économiques basés au Bénin d’avoir directement et plus facilement accès au marché nigérian, au lieu de prendre par des sentiers pour s’y rendre lorsqu’on se trouve à Pobè par exemple, ou de devoir descendre à Porto-Novo et passer par Sèmè avant d’accéder au Nigeria. La même chose devrait être faite avec le Togo.
En outre, il y a la question du chômage qui reste endémique et à laquelle il faut trouver des solutions adéquates.

Il y a quelques jours, la Banque mondiale a publié sa classification annuelle des pays, et le Bénin a fait un bond qualitatif, en passant de la catégorie des pays à faible revenu à celle des pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure. Quelles analyses vous inspire cette évolution ?

Il y a deux choses essentielles à dire sur cette question. D’abord, la Banque mondiale base ses classifications sur les données statistiques macro-économiques, c’est-à-dire le PNB, les exportations, le revenu moyen, etc. Donc il n’y a pas de raison de douter des progrès notés sur ce plan. C’est dire qu’au point de vue macro-économique, les choses vont dans la bonne direction au Bénin. C’est donc une bonne nouvelle.
Mais il reste à voir si ces progrès macro-économiques se traduisent par l’amélioration des conditions de vie des populations, de la qualité des services publics notamment au niveau de la santé, de l’éducation. Il reste également à voir si la structure de notre économie qui va permettre de soutenir ces progrès a changé. De ce point de vue, comme je l’ai indiqué plus haut, notre pays a encore du chemin à faire. Il n’est pas concevable que le Bénin, qui a les atouts pour être un des plus grands marchés agricoles de toute la sous-région continue à importer des produits de première nécessité. Une telle structure n’est pas de nature à maintenir les progrès économiques accomplis. Il est donc important que nous continuions à travailler d’arrache-pied pour que ces avancées économiques induisent, non seulement une meilleure santé de l’économie elle-même, mais également un mieux-être des populations.

N’est-il pas trop tôt pour chercher à voir les effets de cette croissance économique sur l’amélioration des conditions de vie des populations ?

L’impact de ces progrès économiques sur les conditions de vie des populations peut se sentir immédiatement si les revenus dégagés sur la base desdits progrès sont utilisés pour développer un projet social de lutte contre la pauvreté, un projet économique de soutien à l’emploi, de développement du secteur industriel dans la lignée de ce que j’ai décrit plus haut. Si les choses vont dans cette direction, les effets se feront sentir rapidement dans les années à venir. Par contre, si l’Etat ne prend pas appui sur ces progrès pour mener des actions dans ce sens, il est clair qu’ils n’auront aucun effet sur la vie des populations. Prenez par exemple les Etats-Unis, il se dit partout que la croissance économique ici ne favorise que les riches ; 1% de la population contrôle plus de 70% des revenus du pays. Les quartiers pauvres le sont excessivement, tout comme les Etats pauvres. Il est donc tout à fait possible que les progrès économiques ne conduisent à rien du tout, et que la situation soit ainsi pendant longtemps. Tout dépend des politiques sociales des gouvernements. Cela signifie, en clair que dans les pays où des programmes sociaux, des programmes d’accompagnement des entreprises sont mis en œuvre sur la base des progrès économiques réalisés, l’effet est immédiat.
Donc pour revenir au cas du Bénin, si le Gouvernement se dit qu’il n’a plus l’excuse de la faiblesse endémique des revenus, que le pays est désormais dans la catégorie de ceux à revenus moyens, et qu’il faille bâtir un système de protection sociale à l’image de celui des pays à revenu moyen, qu’il faille doter nos entreprises de structures, d’un cadre économique comparable à celui des pays à revenu moyen, oui, l’effet sera immédiat. Mais si on ne fait rien, le manque d’impact peut s’étendre sur des générations. En définitive, tout dépend du projet économique que le Gouvernement met en œuvre sur la base des progrès économiques relevés par la Banque mondiale.

Parlons à présent des questions sociales, notamment l’éducation. Pendant longtemps, la qualité des produits sortis de l’école béninoise a été vantée à l’extérieur du pays. Vous en êtes d’ailleurs un, pour avoir fait tout votre cursus primaire et secondaire ainsi qu’une partie de votre parcours universitaire au Bénin. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le système éducatif béninois, non seulement en votre qualité d’enseignant, mais également en tant que fondateur et président d’une école d’enseignement supérieur au Bénin, l’African School of Economics ?

Le bilan du secteur de l’éducation chez nous est quelque peu difficile à faire. Je vais, néanmoins, m’y essayer. Il faut d’abord dire que la population béninoise a quasiment quadruplé dans les cinquante dernières années ; et pour ce qui est de l’accès à l’éducation, l’inscription des enfants à l’école, les progrès enregistrés sont spectaculaires. En mon temps, le système universitaire par exemple était hyper élitiste ; à peine 10% des candidats arrivaient à réussir au baccalauréat. Ainsi, quelques milliers de personnes seulement intégraient l’Université nationale du Bénin (UNB), actuelle Université d’Abomey-Calavi (UAC), chaque année. Mais aujourd’hui, l’accès à tous les niveaux de l’enseignement, du primaire au supérieur, est beaucoup plus facile. Donc on peut se réjouir de ces avancées.
Mais le paradoxe, c’est que, au même moment où l’accès est devenu plus facile, les institutions de formation des enseignants ont été fragilisées. Alors qu’on devrait normalement créer de nouvelles écoles de formation des enseignants pour s’ajouter à celles qui existaient à l’époque, de manière à quadrupler leur nombre total, afin de répondre efficacement à l’augmentation de l’effectif des apprenants, le mouvement a été inverse. On est allé même jusqu’à fermer purement et simplement ces écoles pendant une certaine période. La fermeture des écoles de formation des enseignants a été l’une des pires décisions jamais prises au Bénin. Il avait été dit que ladite décision a été dictée par les exigences des programmes d’ajustement structurel du FMI et de la Banque mondiale. Mais elle reste une très mauvaise décision puisque ses conséquences ont été catastrophiques pour le système éducatif du pays.
Un autre élément négatif qu’il faut relever lorsqu’on s’évertue à dresser un bilan du secteur de l’éducation au Bénin, c’est le fait que la recherche qui devrait être le noyau de notre formation universitaire n’est pas soutenue.
Il y a également la grosse problématique des programmes de formation dont l’approche par compétences avec ses insuffisances, qui ne donnent pas la place qu’il faut à ce qui devrait constituer le noyau dur d’une formation de qualité : la langue – on devrait tout au moins avoir une ouverture vers l’introduction des langues nationales dans l’enseignement –, les Mathématiques et les sciences – il y a une désaffection pour les Mathématiques alors que cette discipline devrait être promue –, l’Histoire.
Le résultat de cette accumulation de failles, c’est, il faut bien le dire, la baisse de la qualité de l’éducation béninoise. On ne peut donc pas dire que les apprenants d’aujourd’hui sont moins motivés et talentueux que nous nous l’étions autrefois.
Je vais me répéter dix fois s’il le faut, les programmes de formation ont péché par la faible part qu’ils font à l’enseignement des Mathématiques, des sciences et de l’Histoire. Aujourd’hui, moi je suis ahuri de constater que très peu d’étudiants connaissent l’histoire de notre pays. Il y a des éléments fondamentaux de cette histoire qui leur échappent totalement. Des événements majeurs comme la Conférence nationale devraient être connus par cœur ; des personnages comme Kojo Tovalou Houénou, Louis Hounkanrin, l’histoire des amazones du Danxomè et celle Nah Zognidji – la mère du roi Glèlè – devraient être connus à fond par la jeunesse. Ces éléments doivent faire partir de notre ADN. Malheureusement, le constat est fort désolant. Un travail de fond reste donc à faire sur les programmes de formation pour s’assurer de former des citoyens complets.
Il y a un élément important en notre temps, mais dont on parle très peu aujourd’hui. Il s’agit des associations de jeunes comme l’UGEED (Union générale des élèves et étudiants du Dahomey) et le FACEEN (Front d’action commun des élèves et étudiants du nord), dans le cadre desquelles des élèves et étudiants plus avancés assistaient et encadraient leurs jeunes frères pour les aider à relever tant soit peu leur niveau dans leur formation scolaire ou estudiantine, à travers l’organisation d’activités comme les cours de vacances, le théâtre, etc. De la sorte, les apprenants étaient bien occupés pendant les vacances et continuaient d’apprendre sous le contrôle de leurs aînés, ce qui contribuait, par ailleurs, à l’établissement de liens forts entre des individus de différentes tranches d’âges. Ceux qui étudiaient en ces temps-là avaient donc plus de chance que les jeunes d’aujourd’hui, du point de vue de l’encadrement (enseignants bien formés et aînés encadreurs), des programmes de formation qui étaient plus stables et plus sérieux, sur le plan de l’enseignement des Mathématiques, des langues, même si on n’apprenait pas les langues nationales à l’école.
Heureusement, tout n’est pas perdu, puisqu’il y a des îlots d’excellence qui existent toujours dans le pays. Il y a toujours au Bénin des écoles où les apprenants sont très bien formés et sont compétitifs à l’international ; il y a des départements dans nos universités où tout se passe très bien. Il y a des apprenants d’aujourd’hui qui sont beaucoup plus avancés que les meilleurs de notre époque à nous.

Parmi ces îlots d’excellence, ces écoles qui continuent d’offrir une formation de qualité au Bénin, on pourrait citer l’African School of Economics (ASE)…

Je peux dire, avec fierté, oui. Parce qu’aujourd’hui, elles ne courent pas les rues, ces écoles dont les étudiants, du Bénin, sont directement admis dans les grandes universités américaines et réussissent brillamment. L’African School of Econimics réalise cet exploit-là. En quatre à cinq ans, nous avons placé une vingtaine de nos étudiants dans les programmes doctoraux des plus prestigieuses universités ici aux Etats-Unis. Nous avons une dizaine, sinon plus, d’anciens étudiants qui travaillent à la Banque mondiale, à des positions de responsabilité, et dans des centres de recherche. Ces accomplissements sont surtout dus au fait que le programme de formation à l’African School of Economics est très rigoureux, et met l’accent sur l’enseignement des Mathématiques, des langues, de l’Histoire. De même, il faut insister sur le fait que les cours, chez nous, sont dispensés par des enseignants compétents, formés dans les plus grandes universités du monde.
Espérons donc que le modèle que représente l’ASE soit suivi par d’autres écoles de la place pour rehausser davantage la qualité de l’éducation dans notre pays. Pour cela, il faudra investir dans le recrutement d’enseignants compétents, travailler les programmes de formation, permettre aux enfants d’apprendre à l’extérieur de la salle de classe ou de l’amphithéâtre. Cela sous-entend que les plus jeunes soient en contact avec les plus âgés avec lesquels ils travaillent pour bénéficier de leur expérience. C’est ce que nous essayons de faire.

Vous avez mis l’accent sur les déficiences de nos programmes de formation, notamment dans l’enseignement des Mathématiques et de l’Histoire. Que conseillez-vous pour corriger le tir, surtout en ce qui concerne la place à accorder à l’Histoire dans ces programmes ?

S’il y a un plan sur lequel nous sommes totalement passés à côté, c’est bien celui de l’enseignement de l’Histoire dans nos écoles. Et ce qui me surprend, c’est que très peu de personnes en parlent. L’Histoire est de la plus haute importance, d’abord parce qu’elle donne des repères au point de vue individuel. Par exemple, si je suppose que vous êtes Béninois et épidémiologiste aujourd’hui, vous pouvez avoir comme repère le docteur Maximilien Yèkpè, un médecin et épidémiologiste dahoméen, spécialiste de la variole dans les années 1960. Si vous êtes anthropologue, vous pouvez avoir comme repère un certain Paul Hazoumè. Sur le plan institutionnel, si vous voulez, par exemple, développer un projet dans le domaine de la production agricole, la production végétale en particulier, vous pouvez vous inspirer de l’Institut de recherches pour les huiles et oléagineux (IRHO) de Pobè, un modèle qui lie la recherche, l’expérimentation à la production.
Mais quand on ne connaît rien de tout ça, on pense naïvement que tout ce qui est inventé est nouveau ou vient de l’extérieur et qu’on applique cela sans rien y comprendre. Donc l’Histoire est très importante pour qu’on s’en serve en tant qu’individu, en tant qu’institution, et en tant que pays. Dans le même temps, elle devrait être la base du développement d’une industrie de tourisme très dynamique au Bénin. De ce point de vue, l’histoire de notre pays a une valeur économique inestimable.
Pour corriger le tir, il faut par exemple que la production d’ouvrages d’histoire sur le Bénin soit décuplée, qu’il y ait des livres d’histoire locale, que ce soit pour le niveau de l’enseignement primaire, le secondaire, etc. J’interpelle ici les historiens béninois, le département d’Histoire de l’UAC. Voyez-vous, moi qui vous parle, je suis d’abord mathématicien avant d’embrasser l’économie, mais je suis persuadé que le département d’Histoire et d’Archéologie de l’UAC devrait être l’un des départements les plus importants dans le milieu universitaire dans notre pays, l’un des départements auxquels on devrait allouer le plus de ressources, parce que ce département devrait s’occuper de toute l’université, étant donné que tous les étudiants devraient normalement avoir des connaissances en ce qui concerne l’histoire du pays.
A tous les niveaux, on devrait avoir des chapitres entièrement dédiés à l’histoire locale, et donner aux apprenants des travaux de recherche qui vont les amener à se rapprocher de leurs parents, des vieux de leur localité pour leur poser des questions.
D’un autre point de vue, il y a les musées qu’il faudra créer. Pour ma part, les musées ne se limitent pas à la construction d’hôtels, à la collection d’objets d’art. Tout ceci est très important, certes, mais je pense que la notion de musée devrait être perçue sous un angle beaucoup plus ouvert. Si on fait par exemple un bon musée de la Conférence nationale chez nous, des touristes viendront certainement par milliers visiter cela. On pourrait créer un musée de la ville de Cotonou, du royaume de Nikki… par exemple.
Je ne dis pas qu’il faut tout faire tout de suite, non. Mais il faut bien commencer quelque part et évoluer graduellement. Vu les caractéristiques de notre pays, la richesse et le caractère unique de notre histoire, je reste persuadé qu’il s’agit là d’un des domaines vers lesquels l’investissement public et même privé devrait être orienté. En négligeant des aspects très riches de notre histoire, nous perdons d’importantes opportunités économiques et en même temps des opportunités d’amélioration de notre système éducatif. Personnellement, ma détermination à réussir, à me battre pour la cause des Noirs dans le monde s’est accrue lorsque j’ai lu l’histoire de Kojo Tovalou Houénou. Je me disais: voici un compatriote qui, déjà en 1918, posait des actes fort remarquables.

Comment voyez-vous le Bénin dans les soixante prochaines années ?

Je suis naturellement optimiste. Donc je pense que le Bénin a le potentiel d’être un des pôles économiques de l’Afrique de l’Ouest, et en même temps un des pôles intellectuels et académiques de l’Afrique toute entière. Si on continue dans le sens des progrès que nous faisons actuellement à l’African School of Economics, je peux dire qu’au moins sur le plan de la formation et la recherche en Economie, le Bénin pourrait être un des grands hubs de l’Afrique et du monde. On peut faire le même exploit en Mathématiques, en Biologie, en Sociologie, en Histoire par exemple.
D’un point de vue plus général, je vois un pays très stable tant sur le plan politique, avec des institutions consolidées, la démocratie étant très ancrée dans l’esprit des Béninois, que dans le domaine économique. J’ai donc bon espoir. Et je suis sûr que nous allons mieux profiter de la proximité avec le Nigeria, le Ghana, pour ensemble être des leaders africains au plan des TIC.
Je dis tout cela en portant l’espoir que ce ne sera pas seulement le Gouvernement qui nous portera vers ces accomplissements. Tout un chacun de nous doit jouer sa partition. A l’African School of Economics, en tout cas, nous ferons certainement notre part.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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