A la nuit tombée, certaines rues de Cotonou plongées dans l’obscurité forcée en raison des coupures de courant deviennent des lieux propices aux relations sexuelles occasionnelles. Des relations pas toujours protégées, à la grande inquiétude des acteurs de la lutte contre le VIH/sida.
Alain*, un jeune habitant de Cotonou, se dit comblé : depuis que des délestages plongent régulièrement la principale ville du Bénin dans l’obscurité, il n’a plus à se préoccuper de payer une chambre d’hôtel pour avoir une relation sexuelle occasionnelle – un coin tranquille dans une rue sombre suffit.
Dans de nombreux pays de la sous-région, l’explosion du prix du baril de pétrole au cours des derniers mois a entraîné une recrudescence des coupures d’électricité, dans des pays dont l’économie nationale se trouve dans l’incapacité de supporter les surcoûts liés au fonctionnement de la plupart de leurs centrales électriques.
Depuis plusieurs mois, les délestages sont donc le lot quotidien des habitants de Cotonou. Tandis que la majorité de la population ne voit dans ces coupures récurrentes que des inconvénients, certains jeunes y trouvent, eux, des avantages.
« Avant, je n’arrivais pas à faire régulièrement l’amour, car pour y arriver il faut amener la femme soit à la maison, soit dans une chambre de passage », a expliqué Alain, chauffeur de taxi dans une gare routière du quartier Jonquet, en plein centre de Cotonou. « C’était un grand souci pour moi, puisque cela implique qu’il faut en avoir les moyens ».
Une chambre d’hôtel de passage lui coûtait entre 1 000 et 1 500 francs CFA (de 2,4 à 3,6 dollars), tandis que ramener une femme chez lui était risqué, a-t-il dit. « Ma vraie copine pouvait à tout moment me surprendre si je me hasardais à le faire. Aujourd’hui, il suffit que je guette l’obscurité pour me satisfaire ».
Le quartier Jonquet a acquis une réputation sulfureuse, au-delà même des frontières du Bénin, en raison des nombreuses travailleuses du sexe qui y exercent et des hommes à la recherche d’une relation sexuelle occasionnelle qui les fréquentent.
Jusqu’à il y a quelques mois, Jean-Marc*, un célibataire de 35 ans, n’osait pas trop venir dans cette zone, malgré son désir d’avoir des relations sexuelles.
« Je n’ai pas de petite amie et … je fréquentais ce quartier à la recherche de prostituées, mais en même temps, j’avais très honte, car étant donné que c’est un quartier animé, j’ai toujours craint de me faire identifier », a-t-il expliqué à IRIN/PlusNews.
Un souci qu’il n’a plus depuis quelques mois. « Maintenant, il y a régulièrement l’obscurité dans ce quartier et je n’ai plus honte, je fais tout ce que je veux », s’est-il réjouit.
« [Une fois], ils ont coupé l’électricité toute la nuit », a raconté Pierre Ola, un étudiant de 22 ans. « J’ai passé tout mon temps dans un lieu calme et un peu isolé avec ma petite amie qui a avancé à ses parents de faux arguments pour sortir de la maison ».
Comme Alain, Jean-Marc, Pierre et bien d’autres, de nombreux jeunes, limités par leur absence d’autonomie financière, la surveillance parentale ou la pression sociale, ont trouvé dans cette obscurité forcée un refuge.
« Le délestage ne fait pas que du mal, même si quelque part cela gêne l’économie et provoque des désagréments », a estimé Guy Gbété, un jeune mécanicien. « Au moins ça permet à la jeunesse de s’exprimer sexuellement. Car il y a trop de blocages actuellement pour nous, les jeunes ».
Inquiétudes
Ces délestages inquiètent en revanche des acteurs de la lutte contre le sida, qui y voient un facteur de risque de propagation des infections sexuellement transmissibles (IST), notamment du VIH, les conditions n’étant pas réunies pour favoriser des relations sexuelles protégées.
« Une enquête nous a permis de savoir que, dans certaines zones de Cotonou, beaucoup de choses se passent les nuits depuis que nous connaissons ces délestages, au mépris des règles de prévention [du VIH/SIDA] », a dit à IRIN/PlusNews Achille Métahou, d’OSV Jordan, une organisation non gouvernementale béninoise spécialisée dans la santé.
« Il n’y a aucun doute que ceux qui profitent du délestage et de l’obscurité que cela induit pour faire l’amour ne respectent pas toujours les règles élémentaires en termes de protection », a-t-il affirmé.
Maxime Akpé, un électricien moto, a confirmé que la précipitation dans laquelle avaient souvent lieu ces relations le conduisait parfois à l’imprudence. « Il m’arrive de porter des préservatifs, mais le jour où je suis très excité, j’oublie, surtout si la jeune fille est pressée de partir, je passe directement à l’acte », a-t-il avoué.
Les inquiétudes des acteurs de la lutte contre le sida face à ce phénomène sont confortées par le fait que si le taux de prévalence du VIH au Bénin a baissé de manière significative ces dernières années, passant sous la barre des deux pour cent, selon les autorités, le taux d’utilisation du préservatif a connu la même tendance : 8,2 millions de préservatifs ont été vendus en 2007, contre 10 millions trois ans plus tôt, selon l’organisation internationale de marketing social PSI-Bénin.
Les autorités béninoises se sont dites conscientes des effets néfastes des délestages, pas uniquement en ce qui concerne la lutte contre le sida et les IST. « Les conséquences s’observent dans tous les domaines actuellement. Voilà pourquoi nous faisons tout pour expérimenter toutes les solutions afin d’éviter des dérives sociales », a indiqué Nazaire Dossou, directeur général de la Société Béninoise d’énergie électrique.
En attendant, certains jeunes se sont dits prêts à prendre leurs responsabilités, et à ne pas se laisser attirer par la facilité des rencontres à la faveur de l’obscurité.
« Je crois que en tant que jeunes, nous devons prendre conscience d’une telle situation de délestage et voir quelles peuvent être nos propositions, plutôt que d’y voir un moment de dépravation », a affirmé Philippe Sounou, jeune comptable dans une entreprise privée de Cotonou. « De toute façon, ça peut être suicidaire, avec les nombreuses maladies qui circulent ».
*Patronyme occulté