Au Bénin, depuis le mois de juillet 2016, sept maires se sont vus retirer leurs mandats et, douze autres sont actuellement en procédure de destitution. La spirale des votes de défiance telle un ouragan, balaie la relative stabilité observée jusque-là. Plus d’un an après la fin des élections communales, le Bénin semble revivre à nouveau des Communales avec l’avènement du régime dit de la «Rupture ». Entre véritable volonté d’assainissement et règlements de comptes politiciens, la frontière est fine.
Si une frange de l’opinion voit à travers les destitutions actuelles des représailles post-élections attisées par les nouvelles autorités dans le seul but de satisfaire des partisans, il n’y a cependant aucun doute sur l’effectivité de la mauvaise gestion dans la plupart des cas évoqués. Longtemps mise sous le boisseau par le régime défunt, la gestion non participative et peu transparente orchestrée par de nombreux maires pendant plus d’une décennie a été dénoncée par des voix mais très tôt étouffées par l’ingérence du pouvoir central. A ce propos, l’audit de la gestion du Fonds d’appui au développement des communes (FADEC) a révélé de graves irrégularités et établit des prévarications dans plus de 30 communes sur 77 (soit environ la moitié des communes du Bénin) sans qu’une sanction véritable n’ait été prise à l’égard les contrevenants.
Au-delà du FADEC, cette absence de reddition des comptes est aussi marquée en matière de coopération décentralisée. Le blocage observé dans le suivi du dossier FADEC n’est pas anodin : c’est au sein de la majorité présidentielle que le maire est choisi avant d’être élu. En effet, la plupart des maires actuellement déchus, ont accédé à leur fauteuil du fait de leur proximité avec le pouvoir central d’alors. La candidature de certains au poste de maire a même été rejetée dans le temps par des conseillers de leur propre camp. Ils ne devaient leurs élections qu’à l’implication personnelle du leader charismatique qui les a presque imposés. Parfois, cela va au-delà et c’est quasiment à une allégeance au Président de la République que l’on assiste.
Quand la loi fait le lit à la destitution
Au Bénin, les maires sont les seules autorités politiques dont l’élection n’est pas prévue directement par la Constitution, mais plutôt par la loi 97-029 du 15 janvier 1999 portant organisation des communes en République du Bénin. Cette loi peut changer en fonction des intérêts ou convictions du législateur du moment. Ce qui retient plus l’attention est que le législateur a prévu la possibilité de leur destitution (Article 53 de la loi 97-029 du 15 janvier 1999 portant organisation des communes en République du Bénin et son décret d’application N°2005-376 du 23 Juin 2005 fixant les modalités de destitution du Maire) en cas de désaccord grave ou de crise de confiance. En effet, contrairement au président de la République et aux députés qui sont élus au suffrage universel direct, les maires sont élus par les conseillers locaux de qui ils détiennent leur légitimité.
Et c’est là, justement, l’une des faiblesses majeures de la loi sur la décentralisation au Bénin qui fait le lit à une épidémie de destitution dès lors qu’un différend oppose le maire à l’ensemble ou une partie du conseil. En effet, ces conseillers communaux peuvent faire des chantages à tout moment, pour contraindre le maire à satisfaire leurs desiderata. Cette fragilité des maires trouve sa source dans la loi 2013-06 portant Code électoral en République du Bénin, en son article 400 alinéa 2 qui dispose que « le candidat aux fonctions de maire est proposé par la liste ayant obtenu la majorité absolue des conseillers». Ce faisant, la légitimité du maire, au regard des textes de la décentralisation, vient du Conseil communal. Elle ne vient pas directement de la population.
Malheureusement, une fois élus, les maires font très peu d’efforts pour se rapprocher davantage des préoccupations des populations. Pire, au lieu de promouvoir la gestion participative et la transparence, ils se lancent dans des compromis et dans les arrangements politiques dont ils sont victimes plus tard. Dès lors, avec l’alternance intervenue en avril 2016, on comprend aisément pourquoi les maires sont destitués aussi facilement. Cependant, la destitution constitue-t-elle l’ultime solution face à la mauvaise gestion des maires ?
Promouvoir la gestion participative et la bonne gouvernance
Si l’épidémie de la destitution actuellement en cours n’est pas stoppée, elle pourrait prendre des proportions inquiétantes et conduirait dans le piège de la banalisation de l’administration locale tout en renforçant les mains invisibles politiciennes à travers le pouvoir central. Les passerelles entre le pouvoir central et les communes sont multiples et il est souvent aisé pour l’exécutif, pourvoyeur de ressources dans un contexte de décentralisation au Bénin, de tirer les ficelles dans le seul dessein de contrôler la municipalité à des fins électoralistes. La décentralisation est certes mise en œuvre par des hommes politiques, mais elle ne doit pas être banalisée juste pour des guéguerres de la politique politicienne.
Le Bénin, aujourd’hui, a besoin de réconcilier les citoyens entre eux et surtout de travailler pour enfin assurer leur développement à travers l’offre de services publics de qualité. La destitution si elle a le mérite d’exprimer un mécontentement, arrête temporairement le processus de mise en œuvre du plan de développement. Pire, elle ne constitue pas une solution idoine face à la mauvaise gestion qui grippe la machine de la décentralisation au Bénin. Les mis en cause ne sont jamais poursuivis devant les juridictions compétentes. Dès lors, la destitution n’a qu’un unique but : la prise du pouvoir par une nouvelle équipe. Chaque commune pourrait mettre en place des mécanismes, de veille, de contrôle, d’audit interne, en quelques mots, de bonne gouvernance mais surtout incluant la population, première victime de cette gangrène qu’est la mauvaise gestion.
Pour encadrer cette destitution en la débarrassant de tout germe de règlement de compte ou d’assujettissement au pouvoir central, elle doit être précédée d’une phase d’investigation suivie de l’ouverture d’une procédure judiciaire au cours de laquelle le maire quitte ses fonctions et cède son fauteuil à un intérimaire. Si la justice établit la culpabilité du maire, il sera ensuite destitué, et avec lui les conseillers complices ou co-auteurs. Donc, la destitution n’interviendrait qu’en dernier ressort. L’enjeu c’est aussi d’éviter d’élire un mauvais remplaçant.
Somme toute, la décentralisation au Bénin pourrait réussir à donner ses pleins fruits que si l’on change les règles du jeu, notamment celles concernant la destitution, dans le sens d’une institutionnalisation de la gouvernance et de la dépersonnalisation des rapports de pouvoir entre l’administration centrale et le pouvoir local.