Bénin, Patrice Talon : « S’il est vrai qu’on ne mange pas la route, il est pourtant vrai que la route fait manger »


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Patrice Talon, prononçant son discours l'état de la Nation ce vendredi 20 décembre 2024
Patrice Talon, prononçant son discours l'état de la Nation ce vendredi 20 décembre 2024

Ce vendredi 20 décembre 2024, le Président béninois, Patrice Talon, a sacrifié à la tradition annuelle constitutionnelle qui veut qu’à quelques jours de la fin de l’année, le chef de l’État se présente devant l’Assemblée nationale pour prononcer un discours sur l’état de la Nation. Pour l’avant-dernière fois, Patrice Talon s’est livré à l’exercice puisqu’il ne sera plus président de la République durant le second semestre de l’année 2026.

Le ton engagé, parfois enjoué, parfois dur, la voix ferme, Patrice Talon a tenu en haleine, pendant 23 minutes, les députés, les membres de son gouvernement ainsi que les tout nouveaux ministres-conseillers qu’il vient de nommer il y a tout juste quelques jours. 23 minutes durant lesquelles le Président béninois a loué les accomplissements de son gouvernement, touchant à l’essentiel des questions préoccupant ses concitoyens.

« Alors que le monde s’enfonce globalement dans un cycle d’incertitudes et d’instabilité, que les foyers de tension se multiplient ici et là, déstabilisant l’économie mondiale, que la démocratie, l’ordre mondial, la coopération internationale et le climat paraissent plus que jamais mal en point, le Bénin continue sans tapage d’avancer sur le chemin de son développement et de la consolidation de son unité ». C’est par cette phrase que le Président béninois a donné le ton de son discours. Et c’est sur cette ligne qu’il va asseoir tout son argumentaire.

Des « succès incontestables dans tous les domaines »

Pour Patrice Talon, il ne fait, en effet, pas doute que le Bénin qu’il dirige depuis 2016 marche inlassablement et inexorablement vers son développement. Il n’est alors guère surprenant que l’homme lâche, devant la représentation nationale, avec une assurance à faire pâlir les députés de l’opposition également présents dans l’hémicycle : « Nos succès sont incontestables dans tous les domaines ». Un tout petit bémol tout de même, puisqu’il a immédiatement ajouté ce bout de phrase : « même si leurs effets (les effets de ces succès, ndlr) ne sont pas toujours immédiatement perceptibles ». Avant de rebondir en ajoutant que « les observateurs avisés affirment qu’on n’a jamais vu autant de chantiers ouverts à la fois au Bénin ».

Des exemples, Patrice Talon en a multiplié pour corroborer son propos. En voici quelques-uns : la large couverture du territoire en eau potable à hauteur de 80% aujourd’hui contre 42% en 2016 ; le secteur de l’électricité également évoqué par le chef de l’État qui estime même que « nous sommes victimes de notre propre succès en ce que l’explosion du branchement des ménages et l’arrivée d’un grand nombre d’industries gourmandes en énergie électrique dépassent largement nos prévisions et planifications ».

Par ces mots, Patrice Talon apporte une réponse à la préoccupation de plus en plus prégnante des Béninois qui ne comprennent plus à quoi sont dues les fréquentes coupures du courant électrique auxquelles ils font face ces dernières semaines. En effet, face aux coupures intempestives du courant électrique, nombre de Béninois se posaient la question de savoir si après quelques années d’accalmie, le pays ne retombait pas dans le délestage énergétique. Le chef de l’État apporte ainsi des éléments de réponse à ses concitoyens sur cette question et rassure en même temps. « Mais, nous serons au bout de nos peines dans les 24 mois à venir », a -t-il indiqué.

La cité ministérielle érigée à Cotonou, la cité administrative implantée à Abomey-Calavi, les cités départementales et autres édifices administratifs, les marchés construits constituent une preuve supplémentaire de « nos prouesses sans pareil », rappelle Patrice Talon dont le visage affiche un sourire traduisant la satisfaction. Les infrastructures sanitaires sorties de terre comme le centre hospitalier international de Calavi (CHIC), les hôpitaux de zone de Savè ou de Tchaourou sont des exemples parmi tant d’autres qui, de l’avis de Patrice Talon, témoignent des avancées dans le domaine de la santé.

Tous les secteurs d’activités ou de la vie nationale sont positivement impactés par l’action du gouvernement, à en croire le Président béninois. C’est le cas de l’industrie, de l’agriculture, du commerce, des services ou encore de l’artisanat. « La mécanisation agricole est en train de connaître un succès et une pénétration dépassant toutes les prévisions », précise Patrice Talon qui est également très fier de la vitesse d’industrialisation du pays qui « surprend tout le monde, avec ses exigences de matières premières agricoles suscitant quelques controverses ».

Pour Patrice Talon, ceci justifie le fait que le progrès nécessite souvent des sacrifices. Le chef de l’État fait ainsi allusion à une vive polémique qui a actuellement cours dans le pays au sujet de la vente de matières agricoles notamment le soja par les producteurs qui s’estiment lésés par les décisions gouvernementales. Les réformes administratives, l’éducation, le secteur judiciaire, l’art, la culture, le tourisme, rien n’a été oublié par le chef de l’État.

Une série de distinctions du pays à l’échelle internationale

Patrice Talon tire aussi satisfaction des nombreuses distinctions raflées, ces derniers mois, par le Bénin à l’international dans plusieurs domaines. Ainsi, le pays vient d’être classé deuxième en Afrique et premier dans l’espace francophone d’Afrique en matière de transparence budgétaire. Par ailleurs, le chef de l’État a rappelé que le pays vient aussi d’être classé par les organismes spécialisés parmi les 25 destinations touristiques les plus prisées au monde pour l’année 2025. « Cette performance inédite n’est que le résultat de notre action résolue pour le développement touristique, et il est clair qu’elle va s’améliorer encore avec l’achèvement de nombreux chantiers en cours dans le pays », explique Patrice Talon. Plus que jamais, il est convaincu que le gouvernement a eu raison de « commencer à révéler notre riche patrimoine touristique créateur d’emplois et de richesse ».

« Suivant le classement du Forum économique mondial, poursuit Patrice Talon, le Bénin est aujourd’hui 5e en Afrique pour la qualité de son réseau routier ». Le Président tient ainsi une occasion rêvée d’adresser une réplique cinglante à ses détracteurs qui répètent à l’envi qu’on ne mange pas la route. Et il n’a pas raté l’occasion : « S’il est vrai qu’on ne mange pas la route, il est pourtant vrai que la route fait manger », déclare Patrice Talon, suscitant applaudissements et rires dans l’hémicycle. « Plus que jamais, nous pouvons affirmer que le chemin du développement passe par le développement de la route », a martelé le président de la République.

D’une façon générale, la notation du Bénin en termes de gouvernance ne cesse de s’améliorer, rappelle Patrice Talon avec la précision que récemment, « cette notation est passée de B à 2B dans un environnement pourtant globalement difficile ».

Un tout récent classement fait de Cotonou la première ville la plus propre d’Afrique de l’ouest et la 6e de toute l’Afrique. Un classement que Patrice Talon ne pouvait passer sous silence et dont le rappel a suscité des ovations de la part des officiels présents à l’hémicycle. « Cela est certes flatteur, mais notre volonté est de faire toujours mieux, car nous avons vocation à être les meilleurs partout », insiste le Président béninois.

Quelques points noirs tout de même

Dans le tableau peint par Patrice Talon, « le seul domaine dans lequel nous sommes toujours à la peine est celui de la lutte contre le terrorisme sur la frontière nord du territoire ». Le chef de l’État reconnaît que malgré les efforts qui permettent de contenir le mal, nos Forces de défense et de sécurité « continuent d’être éprouvées par des terroristes en totale liberté dans des pays voisins ». Mais là encore, Patrice Talon se veut rassurant : « Je peux vous affirmer que les investissements qui sont en cours tant en matériels, en infrastructures qu’en ressources humaines nous permettront sous peu de tenir les terroristes loin de notre territoire ».

À la question du terrorisme s’ajoutent celles de la cherté de la vie et du faible pouvoir d’achat d’une grande partie de la population qui demeurent pour Patrice Talon « un point d’insatisfaction et de peine ». Si l’objectif final de l’action gouvernementale est de permettre à tous les citoyens d’avoir un pouvoir d’achat suffisant, il faut reconnaître que nous venons de loin et qu’il n’est pas réaliste de s’attendre à ce que tout le monde soit déjà entièrement satisfait maintenant, explique Patrice Talon. « Nous n’y sommes pas encore. Mais ensemble, nous construisons jour après jour le pays afin qu’il offre à chacun à terme les meilleures opportunités d’épanouissement en fonction des efforts fournis ».

Les Béninois appellent de tous leurs vœux ce moment où il ferait bon vivre dans le pays. S’ils sont unanimes pour reconnaître le bon qualitatif fait par leur pays surtout dans le domaine des infrastructures depuis l’arrivée de Patrice Talon au pouvoir, nombreux sont ceux qui se plaignent des difficultés croissantes des populations à manger à leur faim surtout dans un contexte de forte inflation où des biens de première nécessité voient parfois, ces derniers mois, leurs prix passer pratiquement du simple au double.

Et des promesses pour les prochains mois

L’occasion de ce discours a permis à Patrice Talon de faire quelques annonces sur des réalisations à venir surtout dans le domaine social où les citoyens ne tarissent pas de critiques vis-à-vis du régime depuis son avènement en 2016. Ainsi, il y aura la mise en œuvre du projet de supplémentation nutritionnelle des 1 000 premiers jours des nouveau-nés, « qui vise à prémunir nos enfants de préjudices irréversibles des carences nutritionnelles durant cette période et ainsi leur permettre de grandir en bonne santé avec la préservation de tout leur potentiel cognitif et intellectuel », a promis le chef de l’État. « Grâce à ce projet, poursuit-il, nous fournirons gratuitement des suppléments nutritionnels aux femmes enceintes, aux femmes allaitantes et aux enfants de 6 à 24 mois ».

Par ailleurs, les frais de consultation prénatale dans les centres de santé publics seront pris en charge par l’État pour faciliter l’accès aux suppléments nutritionnels au plus grand nombre de femmes enceintes ciblées par le projet, a précisé le chef de l’État.

En outre, il est revenu sur la vieille promesse de construction de 30 lycées techniques agricoles et 8 écoles de métiers dans les secteurs de l’énergie, du numérique, des bâtiments et travaux publics, de la menuiserie, du bois, etc.. Face aux questions incessantes de ses compatriotes sur l’avenir de cette promesse non tenue par le gouvernement, Patrice Talon explique que les études ont pris plus de temps que prévu en raison des standards désormais exigés au Bénin. Et de préciser que ces études sont maintenant achevées, et que les travaux démarreront dans les tout prochains mois avant la fin du premier trimestre 2025, sachant que les ressources financières y afférentes sont déjà disponibles à plus de 440 milliards de F CFA.

De même, le président de la République a annoncé la mise en place pour la rentrée scolaire 2026 de six lycées scientifiques et deux écoles normales supérieures scientifiques de référence internationale.

Des piques lancées à l’opposition

Devant la représentation nationale, Patrice Talon a achevé son discours par des propos empreints de fermeté lancés en direction de l’opposition politique. « Le Bénin, notre pays, a trouvé son chemin ; et cela est irréversible. Peu importent l’opinion et le souhait des nostalgiques en quête de retour à notre passé honteux », a-t-il martelé. Avant d’ajouter : « Fini l’usurpation du pouvoir politique par des vendeurs d’illusions incompétents et mal intentionnés. Aucune supplication, aucun râlement, aucune menace ne nous fera reculer. Honorables députés, aucun compromis politique préjudiciable à notre développement ne sera concédé pour faire plaisir à qui que ce soit ou satisfaire un quelconque consensus politique. Le Bénin est au-dessus de tout. La démocratie et la compétition politique devront désormais être exclusivement et absolument au service du développement », conclut Patrice Talon, le visage subitement fermé et le ton rapidement devenu martial et autoritaire.

Quel message le Président béninois tente-t-il réellement de faire passer dans ce contexte pré-électoral où des incertitudes planent sur l’année 2026 ? Malgré les insistances du chef de l’État pour rassurer ses compatriotes sur sa volonté de respecter la Constitution et de ne faire que deux mandats, beaucoup doutent encore de sa sincérité. Surtout qu’il avait promis à son arrivée à la tête du pays en 2016 de ne faire qu’un seul mandat, avant de se raviser, chemin faisant.

Bon nombre de Béninois se demandent si les élections de 2026 seront inclusives comme celles tenues dans le pays avant l’avènement de Patrice Talon. Sans doute, les semaines et mois qui viennent permettront de comprendre la profondeur des propos tenus, ce vendredi, à l’Assemblée nationale, par le premier des Béninois. Mais une chose est certaine : si ces propos ont une cible, c’est bien l’opposition politique représentée au Parlement par le parti Les Démocrates de l’ancien Président Boni Yayi.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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