Depuis quelques jours, les déclarations au sujet des parrainages des candidats à l’élection présidentielle d’avril 2020 vont dans tous les sens. L’opposition dénonce une confiscation des fiches de parrainage des élus par les responsables des partis de la majorité. De leur côté, ces responsables réagissent pour apporter un démenti formel et accuser l’opposition de n’avoir pas voulu du parrainage. Entretemps, la question fait l’objet de recours introduits à la Cour constitutionnelle qui a tranché ce mercredi.
La majorité des candidats du prochain scrutin présidentiel au Bénin a vu son dossier rejeté, pour défaut de parrainage. Parmi les candidatures les plus remarquables recalées figurent celle du professeur Joël Aïvo en duo avec Moïse Kérékou pour le Front pour la restauration de la démocratie (FRD) ou encore celle des Démocrates dont le ticket était le binôme Reckya Madougou et Patrick Djivo.
Bien avant la publication de la liste provisoire des candidatures retenues, le vendredi 12 février 2021, l’opposition, notamment à travers Reckya Madougou, dénonçait le fait que le parrainage lui était refusé. Mais les propos de la candidate choisie par « Les Démocrates » contrastaient avec ceux tenus par le président du parti, Éric Houndété, qui n’a pas cessé de dire qu’il ne voulait pas du parrainage en l’état.
De leur côté, les deux partis de la majorité, à savoir : l’Union progressiste (UP) et le Bloc républicain (BR) n’ont cessé d’accuser l’opposition d’avoir rejeté leur main tendue. A grand renfort de communication, les responsables UP d’une part et BR de l’autre se sont évertués à montrer à l’opinion publique qu’ils ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour que l’opposition ait les parrainages requis, mais qu’elle n’en a pas voulu.
L’honorable Affo Obo Amed Tidjani confond son propre parti
Les choses en étaient là quand une vidéo d’un député, membre du parti UP, a commencé par faire le tour des réseaux sociaux. Dans cette vidéo, le député de la 8e législature, Affo Obo Amed Tidjani, s’est insurgé contre la confiscation des parrainages par son parti qui ne lui a pas laissé la possibilité de parrainer le candidat de son choix, en l’occurrence Reckya Madougou. Mieux, le député a introduit un recours en date du 14 février 2021 à la Cour constitutionnelle pour contester l’authenticité du parrainage portant son nom. Morceaux choisis de ce recours : « (…) Les consignes du parti – UP, ndlr – étaient qu’il fallait déposer le formulaire rempli et signé, sans mention du duo à parrainer. En ma qualité de député de l’Union progressiste, mon formulaire de parrainage a donc été déposé au siège de mon parti ».
Et le requérant de poursuivre : « (…) mon choix s’était porté sur le duo du parti d’opposition “Les Démocrates”, notamment composé par Mme Reckya Madougou et M. Yves-Patrick Djivoh, respectivement en qualités de candidate à la présidence et de candidat à la vice-présidence de la République. Contre toute attente, nous apprenons que nos parrainages ont été attribués à X ou Y candidat.
Constatant que le duo que j’avais souhaité parrainer n’est bénéficiaire d’aucun parrainage, j’en conclus que mon parti, l’Union progressiste, a frauduleusement et illégalement décidé en mes lieu et place, alors que le principe constitutionnel et légal du parrainage est qu’il est nominatif et intuiti personae… ».
Ce recours de l’élu UP apporte de l’eau au moulin de Reckya Madougou qui affirme détenir des preuves que les députés de ce parti ont été empêchés de la parrainer. Elle introduit elle aussi un recours auprès du juge constitutionnel pour demander une annulation des candidatures validées, au motif que les élus UP n’ont pas eu les mains libres pour parrainer le duo de leur choix, puisque les responsables du parti auraient confisqué leurs formulaires de parrainage.
La Cour constitutionnelle déboute Rckya Madougou et Affo Obo Amed Tidjani
Ce mercredi 17 février 2021, la Cour constitutionnelle a statué sur les différents recours introduits. Au terme d’une audience de plusieurs heures, elle rend sa décision dans la soirée du mercredi. Les recours de Reckya Madougou et de Affo Obo Amed Tidjani ont tout simplement été déclarés irrecevables. Pour le premier, la Cour a estimé qu’il n’y a jamais eu atteinte à l’indépendance des élus UP, faute de preuves.
Il faut rappeler qu’en pleine audience, la Cour avait demandé à Reckya Madougou de citer les noms des élus approchés par elle et qui lui ont notifié leur incapacité de lui attribuer leur parrainage à cause des dispositions prises par leur parti. La candidate des Démocrates a opposé un refus catégorique à cette demande du juge constitutionnel qui a alors rendu son verdict en tenant compte de cette absence de preuves.
Pour le second, le verdict rendu par la Cour constitutionnelle tient au « défaut de pièces à conviction ».
Que reste-t-il de la promesse de Patrice Talon de faire de l’élection présidentielle une « fête de la démocratie » ?
Le jeu de ping-pong entre opposition et majorité autour de la question du parrainage que tout le monde savait crisogène et source d’exclusion depuis le début, augure-t-il un scrutin présidentiel pacifique comme les Béninois en ont l’habitude depuis 1991 ?
A l’occasion de son discours sur l’état de la nation prononcé devant la représentation nationale, le mardi 29 décembre 2020, le Président Patrice Talon avait fait, au sujet de la Présidentielle à venir, une promesse que nous nous ferons le plaisir de rappeler ici : « Je ne doute pas que nos compatriotes auront le choix entre plusieurs projets de société. Ce sera alors la fête de la démocratie, plus que jamais au service du développement durable de notre cher pays », avait publiquement déclaré le chef de l’État béninois.
Vu la tournure actuelle des événements où on assiste au rejet des dossiers de candidature de l’opposition pour défaut de parrainage, les électeurs béninois auront-ils encore le choix entre plusieurs projets de société ? La fête de la démocratie annoncée aura-t-elle effectivement lieu quand le duo Talon-Talata Zimé accapare à lui seul 118 parrains au lieu des 16 nécessaires, privant l’opposition des parrainages nécessaires pour faire valider ses tickets ? Les responsables des partis de la majorité ont-ils dit toute la vérité au peuple sur la gestion réellement faite de la question du parrainage ?
Les réponses à ces différentes préoccupations se laissent deviner aisément. Le Bénin s’achemine sans doute vers une élection sans enjeu, puisque les deux autres candidatures validées par la CENA ne font guère le poids devant Patrice Talon. En l’état, les jeux semblent faits d’avance. Reste à espérer qu’il n’y ait pas une explosion de violences comme ce qui s’est passé au lendemain des Législatives d’avril 2019 et dont les Béninois se souviennent encore très bien.