La campagne pour les élections législatives vient tout juste de commencer, les affiches des candidats fleurissent dans les rues de la capitale béninoise, Porto-Novo. Les équipes des différents candidats sont alors chargées de battre le pavé et de recruter les jeunes de la ville, à coup de Franc CFA.
A Porto-Novo,
« Quand ils sont élus, ils reprennent l’argent dépensé pendant la campagne », explique Charlie, pour justifier la somme perçue pour coller les affiches du candidat de l’Alliance Renaissance du Bénin-Réveil Patriotique (RB-RP), un parti d’opposition, dans la troisième circonscription de Porto-Novo. Ce jeune homme de 23 ans qui suit des études de gestion participe à sa première campagne en tant que colleur d’affiches. Les campagnes électorales au Bénin sont une affaire d’argent. La campagne législative qui a débuté le 10 avril dernier ne déroge pas à la règle. Le Franc CFA coule à flot pour mobiliser les jeunes, à l’occasion des meetings et des campagnes de collage des affiches électorales des différents candidats.
« On sait que demain, on ne va rien espérer »
« On sait que demain, ils ne vont rien réaliser. On sait que demain, on ne va rien espérer. (…) Ils bouffent tout entre eux. Là, c’est l’occasion de bouffer nous aussi. Je bouffe partout », déclare Ibrahim, 29 ans, cuisinier au chômage. Pour gagner de l’argent, il se rend régulièrement à Cotonou, la capitale économique qui attire nombre de futurs chômeurs. Il travaille pour son oncle qui vend des véhicules d’occasion importés d’Europe, un commerce très lucratif au Bénin.
Chaque candidat forme des comités dans tous les quartiers de la capitale et dans la plupart des grandes villes du Bénin. Des relais locaux se chargent d’organiser les meetings et les campagnes de collage d’affiches électorales. Ces comités recrutent une main d’œuvre motivée par l’appât du gain. Les déclarations des candidats qui leur promettent emplois, aides et amélioration des conditions de vie, s’ils sont élus, sont aussi susceptibles d’attirer des militants de circonstance. Les jeunes sans emploi réel représentent un vivier considérable pour les recruteurs.
« La situation s’aggrave de jour en jour »
« Le PRD (Parti du renouveau démocratique, l’opposition) m’a donné 2 000 FCFA (environ 3 euros) pour coller des affiches aujourd’hui », rapporte Ibrahim. Il ajoute être allé voir un conseiller du candidat RB-RP de sa circonscription avec quatre autres de ses amis qui lui ont donné 10 000 FCFA (15 euros) qu’ils se sont partagés entre eux. Il précisera encore avoir rendez-vous avec un conseiller du candidat d’un autre parti d’opposition, l’ABT (Alliance pour un Bénin Triomphant), à 18h30, le même jour. « Le peu qu’on peut avoir, il faut qu’on prenne ça. Ils ne respectent jamais leurs promesses », explique-t-il encore. Le salaire minimum est de 40 000 FCFA par mois (près de 60 euros) au Bénin.
« La situation s’aggrave de jour en jour. Chaque cinq ans, ils disent que tout va changer, mais ils ne font rien. Les gens nous disent aux nouvelles élections : vous revenez encore avec vos affiches ? Qu’est-ce qu’ils ont fait en cinq ans ? », poursuit Ibrahim qui a récemment perdu son travail de cuisinier.
Entre 1 000 et 1 500 FCFA pour assister à un meeting
Les meetings de campagne fonctionnent sur le même principe. Les différents partis politiques mobilisent certains jeunes, à leur tour chargés de recruter chacun un nombre de personnes précis. Par la suite, les différents comités locaux listent les noms des gens qui se sont déplacés au meeting. Chaque personne est payée entre 1 000 et 1 500 FCFA, parfois plus.
Des véhicules arrivent, des casquettes et des t-shirts aux couleurs du parti organisateur sont distribués aux participants, ainsi que de la nourriture, de l’ « eau glacé », au son d’une musique tonitruante diffusée par des hauts parleurs. « Après la marche, les membres du parti viennent raconter leurs mensonges. (…) C’est ceux qui savent mentir qui font la politique », indique alors Charlie Urbain, ouvrier vitrier de 24 ans, silencieux, acquiesce.
La veille des élections, les membres des différents partis viennent taper aux portes
La veille des élections, les membres des différents partis viennent taper aux portes de la plupart des habitants de la capitale, notamment ceux susceptibles de voter pour leur formation. Ils viennent rappeler au responsable de famille son « devoir de citoyen » qui l’attend le lendemain. « C’est une soirée où tout le monde veille dans les maisons, on écoute de la musique, on est ensemble. On espère qu’ils arrivent », dit Ibrahim, en rigolant. Les policiers circulent beaucoup cette nuit-là, car la pratique est interdite. Ces personnes mandatées par les candidats font irruption dans les foyers à n’importe quelle heure de la nuit. Ils distribuent entre 1 000 et 5 000 FCFA par membre de la famille. Ils remettent la somme au chef de la maison et s’en vont.
A chaque élection, c’est le même rituel. « C’est de la corruption. Ça marche des fois », raconte Charlie. Le taux d’alphabétisation dans le pays se situe autour de 45 %, selon les chiffres de l’Unicef. La seule source d’information politique pour les jeunes mobilisés sont souvent les discours des membres de ces partis politiques.
« Je vote pour le PRD. C’est un parti que j’apprécie. Le monsieur (le président du parti) travaille beaucoup. C’est un changement, un souffle nouveau. L’autre, Boni Yayi, il ne fait rien », déclare Ibrahim. Il indique qu’il votera pour le PRD, comme toute sa famille, quelles que soient les sommes d’argent qu’il reçoit ou leur provenance. Charlie, lui, a choisi le RB-RP, surtout contre le FCBE (Les Forces Cauris pour un Bénin Emergent), l’alliance du parti au pouvoir. « Il a fait des promesses qu’il ne réalise jamais », précise-t-il au sujet du président de la République Boni Yayi.
Alors que les cartes d’électeurs n’ont toujours pas été délivrées à l’approche des élections législatives qui se tiendront le 26 avril prochain, les collages d’affiches et les meetings se multiplient à Porto-Novo et dans la plupart des grandes villes du Bénin.