Bénin : Joël Aïvo condamné à 10 ans de prison ferme, un signal pour Réckya Madougou


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Réckya Madougou
Réckya Madougou

Le procès du professeur Joël Aïvo et co-accusés a repris ce lundi 6 décembre, à 9 heures. Au terme d’une audience fleuve, qui a pris fin, cette nuit, peu avant 3 heures du matin, le brillant constitutionnaliste a écopé de 10 ans de prison ferme. Un verdict qui risque de donner des sueurs froides dans le dos à Réckya Madougou, dont le procès s’ouvre dans trois jours.

Le réquisitoire du procureur spécial près la CRIET contre le professeur Joël Aïvo aura été suivie presque à la lettre. Mario Mètonou avait requis 10 ans de prison ferme et 50 millions d’amende contre Joël Aïvo. À l’arrivée, le professeur titulaire de droit public sort du procès condamné à cette peine de prison, mais avec une amende diminuée de 5 millions. Dans cette affaire, Joël Aïvo est reconnu coupable de complot contre la sûreté de l’État et de blanchiment de capitaux. À ses côtés, il y avait trois co-accusés : Alain Gnonlonfoun, son comptable, Boni Saré Issiakou, ancien militaire, et Ibrahim Bachabi Moudjaïdou, militaire en fonction.

À la barre, tous les accusés plaident non coupables. Le premier à être auditionné est Boni Saré Issiakou, ancien militaire et chauffeur de l’ex-Président béninois, Mathieu Kérékou. De sa déposition, il reconnaît avoir été contacté par Gilbert Zinsou qui serait un soutien de Joël Aïvo, et qui lui a demandé de préparer un coup d’État contre le Président Patrice Talon, sous l’instigation d’un certain Arnaud Houédanou. Il reconnaît également avoir touché la somme de 1 900 000 F CFA pour mener les opérations. Mais pour lui, il ne s’agissait pas d’un projet sérieux, juste d’un stratagème mis en œuvre par Gilbert Zinsou pour soutirer de l’argent à Arnaud Houédanou.

Et pour se justifier, il déclare que ce n’est pas avec une somme de 1 900 000 F CFA qu’on peut organiser un coup d’État, et que par ailleurs, en tant que simple caporal, il ne pouvait pas sérieusement s’engager dans une telle entreprise dont la réalisation nécessite l’implication d’officiers de l’armée. Interrogé sur une lettre portant déclaration de la junte militaire après le coup d’État retrouvée dans ses documents, il déclare qu’elle n’a été rédigée que pour faire croire à l’instigateur du coup d’État, Arnaud Houédanou, que le plan était effectivement en marche.

L’accusé a également déclaré à la barre n’avoir jamais rencontré le professeur Joël Aïvo et de n’avoir pas eu de contacts avec lui ni avec son comptable, Alain Gnonlonfoun. La seule fois où il a aperçu Joël Aïvo, c’était à l’occasion de l’un de ses meetings, à Fidrossè -un quartier de Cotonou-. Il a également précisé, dans sa déposition, que Gilbert Zinsou n’a jamais informé Joël Aïvo de ce qui se tramait. À la question de savoir à qui profite le coup d’État, l’accusé répond qu’il profite à Arnaud Houédanou décidé à se venger pour avoir reçu un redressement fiscal.

Invité à la barre, l’adjudant-chef Ibrahim Bachabi Moudjaïdou a reconnu avoir touché la somme de 340 000 F CFA de la part de son frère, le premier accusé auditionné, Boni Saré Issiakou. En échange, il a mis sa tenue militaire à la disposition de son frère. À la barre, Ibrahim Bachabi Moudjaïdou a affirmé que peu de temps après qu’il lui a remis sa tenue, Boni Saré Issiakou lui a demandé d’aller les récupérer, et il lui a dit qu’il allait le faire après l’élection. Dans la foulée, il est mis aux arrêts, le 10 avril 2021, veille du scrutin.

Quant à Alain Godonou, même s’il connaît bien les deux personnes présentées comme les cerveaux du projet de coup d’État, à savoir Gilbert Zinsou et Arnaud Houédanou, il déclare n’avoir jamais été au courant d’un pareil projet. À la question de savoir si Arnaud Houédanou a contribué au paiement de la caution de 50 millions de francs CFA versée par le candidat Joël Aïvo dans le cadre de sa candidature à la Présidentielle, le comptable dit ne pas savoir. Alain Godonou ne connaît pas non plus les deux accusés militaires écoutés avant lui.

Invité à son tour à la barre à 17h15, Joël Aïvo est resté droit dans ses bottes. « Quand vous m’interrogez sur l’origine de ma caution électorale, c’est un procès en pauvreté que vous me faites, Madame la présidente. Pourquoi ne demandez-vous pas aux autres candidats à la Présidentielle où ils ont trouvé de l’argent pour financer leur campagne ? (…) La caution que j’ai payée provient de mes ressources et de l’aide que d’autres personnes m’ont apporté de l’extérieur », soutient-il.

Et de poursuivre : « Dans ce dossier, j’ai toujours dit la vérité. Mais les juges ont écrit ce qu’ils veulent (…) Madame la présidente, sortez-moi une seule preuve de mon implication dans ce dossier (…) Je n’ai vu le sieur Arnaud Houédanou qu’une seule fois de ma vie. Les deux autres co-accusés, Boni Saré Issiakou et Ibrahim Bachabi Moudjaïdou, je ne les ai vus que lors du déferrement à la CRIET ».

Après la réquisition du procureur qui a soutenu que la simple acceptation morale suffit pour la commission de l’infraction de complot contre la sûreté de l’État et a fait observer qu’il y a l’élément intentionnel et matériel à la commission de l’infraction, la défense a construit sa plaidoirie autour de l’absence de preuves qui accablent les accusés notamment Joël Aïvo et Alain Gnonlonfoun. Leurs avocats ont dénoncé un procès politique sur fond de procédure erronée et demandé l’acquittement pur et simple de leurs clients.

À la fin, en plus de Joël Aïvo, Ibrahim Bachabi Moudjaïdou et Boni Saré Issiakou écopent également de 10 ans de prison ferme et une amende de 5,7 millions de francs CFA. Alain Gnonlonfoun, pour sa part, est acquitté. Ce verdict risque de donner des sueurs froides dans le dos à Réckya Madougou dont le procès s’ouvre le 10 décembre, soit dans exactement trois jours.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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