Cité historique du Bénin, située à 42km à l’ouest de Cotonou, la capitale économique, Ouidah, la ville que l’UNESCO a classée au titre du patrimoine mondial, a un charme particulier. Et aussi paradoxal que cela puisse paraître, son passé fort peu glorieux de port négrier, loin de l’asphyxier, lui confère une notoriété à nulle autre pareille. C’est du moins ce que traduit le grand attrait touristique qu’elle suscite dans le monde entier. Si Ouidah était un restaurant, sur sa carte figurerait : « la route de l’esclave ». Empruntons-la !
La route de l’esclave, c’est à la base, un projet né au Bénin sur l’initiative d’Haïti et de plusieurs pays africains, et lancé par le colloque international dénommé « la route de l’esclave » qui a rassemblé, en septembre 1994, des chercheurs et des observateurs du monde entier. Il s’agit de reconstituer l’itinéraire parcouru par les esclaves depuis le marché où ils étaient négociés jusqu’à la « porte du non-retour ». C’est une expérience exceptionnelle que d’emprunter la route de l’esclave, en ce sens que cela revient à mettre ses pas dans les traces de l’histoire. C’est un circuit de six étapes, long de 4 kilomètres, qui se présente comme suit :
- Le marché des esclaves
Aujourd’hui « Place Chacha », ce marché autrefois appelé ‘’Place des enchères’’, est le lieu où les esclaves étaient négociés. Situé au centre-ouest de la ville, ce marché est sis devant la résidence de Francisco Félix de Souza, un grand trafiquant d’esclaves portugo-brésilien, ami de la cour royale d’Abomey, fait « Chacha », 1er vice-roi de Danxome, représentant le roi à Gléxwé pour le commerce d’esclaves, par Guézo (1818-1858), 9e roi officiel de Danxome. Il aurait aidé Guézo à prendre le pouvoir des mains de son demi-frère « Adandozan » (1797-1818) qui s’en était emparé officieusement après le décès de leur père, puis, sauvé la mère de celui-ci de l’engrenage de l’esclavage, vendue par Adandozan en signe de protestation.
Le marché des esclaves et le quartier qui l’abritait, étaient aussi appelé « Zomayi » (littéralement traduit, ça signifie « feu-ne-pas-aller »). En effet, le vice-roi Chacha y faisait entreposer de la poudre à canon, des armes et autres munitions destinés à être convoyés à Abomey (palais royal). Alors, pour sa propre sécurité ainsi que celle de ses voisins, il avait interdit qu’on y joue avec le feu d’où le nom Zomayi, le feu n’y va pas !
Les enchères closes, les esclaves aptes à faire le grand voyage, étaient marqués au fer chaud. Cet exercice permettrait à leurs nouveaux propriétaires de les tracer plus tard, à destination.
Ils étaient ensuite enchaînés et conduits vers l’arbre de l’oubli.
- L’arbre de l’oubli
Autour de cet arbre planté au XVIIe siècle par le roi en présence des négriers européens et après de long sacrifices rituels, les hommes devaient tourner 9 fois et les femmes 7 fois. Ce faisant, l’esclave était formaté avant le grand voyage. Comme quoi au nouveau monde, il faut de nouveaux Hommes.
A cette époque, tous croyaient que les hommes étaient dotés de 9 paires de côtes et les femmes, seulement 7 paires. Voilà pourquoi les hommes devaient tourner 9 fois et les femmes 7 fois autour de cet arbre mystique. Ce n’est plus tard que grâce à la médecine, il a été su que femme comme homme, ont chacun 12 paires côtes.
Ce rituel terminé, les esclaves étaient enfermés à « Zomayi », un quartier du village « Zoungbodji », le dernier village situé à seulement quelques centaines de mètres de l’embarcadère.
- Le dernier village
Ici, les esclaves étaient parqués dans des enclos fermés et obscurs, éloignés les uns des autres. Ils devaient être séparés les uns autres et plongés dans les ténèbres pour éviter un quelconque mouvement de révolte désespéré, une mutinerie. Ainsi, la fameuse formule « diviser pour régner » était plus que nécessaire pour mener à bout la mission.
La lumière était interdite dans ce lieu d’où le nom « Zomayi » ainsi pour dire « Lumière-n ’y-va-pas » (En fon, le mot « Zo », mot polysémique signifie « feu », « lumière » et même « énergie »).
Dans la foulée, certains esclaves ne supportant pas les conditions de parquage dans lesquelles ils se retrouvaient contre leur gré, mouraient ou tombaient malade. Ce lot d’esclaves était vu par les négriers comme de la marchandise avariée. C’est ainsi que morts et malades se retrouvaient dans la fosse commune : le « cimetière ».
- Le cimetière
Sis également à Zoungbodji, le dernier village, le cimetière était une fosse commune d’environ 10 mètres de profondeur et 6 mètres de largeur dans laquelle étaient jetés les esclaves hommes, femmes et même enfants, morts et malades (vivants, bien-sûr).
- L’arbre de retour
Afin de permettre le retour spirituel de l’âme de l’esclave sur la terre de ses ancêtres, le rituel de l’arbre de l’oubli qui relève d’une importance capitale aux yeux du roi, était initié. En présence des « Egunguns » (lire article sur le « egungun »), grands maîtres de cérémonie de circonstance, hommes comme femmes devaient faire 3 fois le tour de l’arbre de l’oubli. Cela garantirait à leurs âmes le repos éternel après leur mort.
- La porte du non-retour
Il n’y avait plus de retour possible une fois cette étape franchie. Le voyage vers l’inconnu était définitivement engagé. Souvent épuisés, après avoir bravé le périple de cet itinéraire, les esclaves étaient désarmés, dépourvus de la moindre force et toute tentative de mutinerie était vouée à l’échec. Depuis 1995 a été érigée et inaugurée par l’UNESCO sur la plage de Ouidah, la triste porte du non-retour, à l’endroit même où les esclaves embarquaient.
Des siècles après ces tristes événements, dans un élan de repentance, d’examen de conscience publique et d’abolition de l’esclavage sous toutes ses formes dans les esprits et dans les actes (car la traite négrière a été grâce à l’étroite collaboration entre les rois africains et les négriers blancs), le Pr Honorat Aguessy, Roger Gbégnonvi, Adrien Ahanhanzo-Glèlè, 3 personnalités marquantes de la société civile, avec eux plusieurs autres têtes pensantes, ont initié à Ouidah le 18 janvier 1998, une manifestation émouvante et solennelle dénommée « Marche et Cérémonie du Repentir ». De cette manifestation est né un creuset : le « Mouvement pour le Repentir, le Pardon et la Réconciliation » et l’un des fruits de ce mouvement est le monument érigé à la place Zomayi à Zoungbodji. Ce monument faisant symboliquement dos à cette funeste place Zomayi a été baptisé « Zomaci » qui signifie « le feu ou la lumière qui ne s’éteint pas », par opposition à Zomayi.
La route de l’esclave telle qu’elle se présente aujourd’hui, nous rappelle à tous, blancs comme noirs, hommes comme femmes, à quel point « TOLERANCE » et « AMOUR » sont indispensables à l’édification d’un monde meilleur, où le respect de la personne humaine est de mise. Tel doit être l’héritage que nous devons laisser aux générations après nous.