Bénin, 30 ans après la Conférence des forces vives de la Nation : « Rendre à César… », dixit le Pr Sébastien Sotindjo


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Bénin, 30 ans après la Conférence des forces vives de la Nation : « Rendre à César… », dixit le Pr Sébastien Sotindjo

Le 19 février 1990, s’ouvrait au Bénin la conférence des forces vives de la Nation qui allait consacrer le passage du régime monolithique du Parti de la Révolution Populaire du Bénin (PRPB) au renouveau démocratique, de manière pacifique. Trente ans après cet événement majeur, nous revenons sur les coulisses et les détails de ces assises. Pour faire cet exercice, nous nous sommes rapproché d’un historien, par ailleurs militant bon teint, Sébastien Sotindjo. Professeur titulaire d’histoire économique et sociale à l’Université d’Abomey-Calavi, à la retraite, il a très tôt eu une vie militante et a été et continue d’être un observateur attentif de la vie politique nationale. Il s’est prêté volontiers à nos questions.

Dans cette première partie de l’interview, le Professeur Sébastien Sotindjo nous présente le contexte socio-politique ayant conduit à la convocation de la conférence, nous livre les coulisses de l’avant-conférence, parle du rôle de la France, etc. Entretien

Afrik.com : Professeur, rappelez-nous le contexte socio-politique ayant conduit à l’organisation de la conférence des forces vives de la Nation de février 1990.
Sébastien Sotindjo : Cette conférence, qui a commencé le lundi 19 février 1990, est le résultat d’un processus en cours depuis longtemps. Pour faire court, nous allons partir de la situation socio-politique et économique au Bénin en 1989, une année capitale, dans la mesure où il y a plusieurs faits qui expliquent le choix de cette conférence pour résoudre la crise qui était celle du Bénin de l’époque.

1989 était l’année de tous les dangers. En effet, depuis le mois de janvier de cette année, les étudiants étaient en grève et exigeaient de meilleures conditions d’études, plus de bus pour leur transport, plus d’allocations (bourses et secours universitaires), le respect des franchises universitaires, plus de démocratie, entre autres. Les étudiants étaient suivis dans leurs mouvements par les élèves du secondaire, puisque depuis l’année 1985, le mouvement étudiant a réussi à réaliser la jonction entre l’enseignement supérieur, le secondaire et même le primaire.

Mieux, les enseignants du secondaire se sont mis eux aussi en grève, à partir de la mi-janvier 1989, exigeant que les salaires soient réguliers, puisqu’à l’époque, il y avait des arriérés de salaires allant jusqu’à trois ou quatre mois, des indemnités de correction non payées… Le monde des étudiants, élèves et des enseignants était plus ou moins infiltré par le Parti Communiste du Dahomey (PCD), né en décembre 1977 et ayant mené une lutte opiniâtre et conséquente contre le pouvoir du Parti de la Révolution Populaire du Bénin (PRPB) – Parti-Etat, ndlr – C’est en fait le PCD qui, de par ses nouvelles institutions (les syndicats illégaux, les organisations d’étudiants, etc.), ses actions, a commencé à fragiliser le régime, de 1985 jusqu’en 1989.

Ce vaste mouvement de grève a fini par gagner l’administration publique à partir de juillet 1989, puisque l’irrégularité des salaires n’épargnait aucun secteur de l’administration, surtout en cette période où la crise internationale des années 1970 et 1980 avait pratiquement mis l’Etat en situation de cessation de paiement. Sur 16 ministères, 15 étaient en grève. Les seules personnes qui n’observaient pas le mouvement étaient les membres des Cabinets des ministères, les directeurs de sociétés, etc. La vie administrative était donc pratiquement paralysée.

Face à cette situation de blocage de l’administration et de tensions sociales, le dialogue que le pouvoir hésitait à engager devenait donc un impératif si on ne voulait pas que le pourrissement de la situation débouchât sur la “vraie révolution” telle que l’auraient souhaité les communistes

Dans ces conditions, le PCD qui était aux avant-postes de la lutte a mieux assis son organisation, étant donné que les leaders de ce parti se disaient que la situation était certainement mûre pour déclencher ce qui était, pour eux, la “vraie révolution”. Ainsi, le secrétaire général du PCD, Pascal Fatondji, était à la tête d’un gouvernement provisoire appelé « Conseil de salut ». Cela veut dire que l’opposition, la vraie, l’opposition communiste avait commencé par s’organiser pour exploiter la situation.

Face à cette situation de blocage de l’administration et de tensions sociales, le dialogue que le pouvoir hésitait à engager devenait donc un impératif si on ne voulait pas que le pourrissement de la situation débouchât sur la “vraie révolution” telle que l’auraient souhaité les communistes. Dès lors, il y a eu la convocation d’une session conjointe du Comité central du PRPB, du Comité permanent de l’Assemblée nationale révolutionnaire (ANR), du Conseil exécutif national (le gouvernement) et des six préfets de provinces, tenue le 6 décembre et dont les décisions ont été rendues publiques le 7 décembre 1989.

Au titre des plus importantes décisions de cette session, il y avait la convocation, au cours du premier trimestre de l’année 1990, d’une assise nationale (la future conférence) qui devait respecter les engagements pris par le régime du PRPB au crépuscule de son existence, à savoir : le premier programme d’ajustement structurel signé en juin 1989.
Aussitôt, un décret a constitué un comité préparatoire de huit membres, tous ministres dans le gouvernement, présidé par Me Robert Dossou. Chargé d’organiser la conférence, le comité a joué son rôle, du 26 décembre 1989 au 28 février 1990.

 

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Afrik.com : Vous avez présenté le PCD comme la vraie opposition. Cela suppose-t-il qu’il y avait une opposition fantoche ?
Sébastien Sotindjo : Votre question est pertinente. Au moment où la conférence a été annoncée, on a constaté qu’il y avait des sensibilités politiques qui se sont rapidement muées en partis. Les leaders de ces partis, dont je connais certains, avaient argué qu’ils travaillaient également pendant cette période du PRPB, certes au ralenti, mais ils travaillaient quand-même pour affaiblir le régime. Pour avoir vécu cette période moi-même, depuis 1973, de façon intensive jusqu’à 1989 où j’ai voyagé pour aller faire mon diplôme d’études approfondies (DEA), je les crois.

Il y a des sensibilités, des cercles communistes constitués avant la naissance du PCD ; le PCD lui-même est un sous-produit de ces cercles. Mais, compte tenu de la terreur qui sévissait, aucune de ces sensibilités n’osait se dresser devant le PRPB comme l’ont fait les militants du PCD. C’est ce parti qui a mené, de façon opiniâtre et visible, la lutte qui a progressivement déstabilisé le régime du PRPB. Evidemment, le PCD a payé le prix fort : certains de ses militants sont morts, d’autres ont passé cinq ans en prison, d’autres encore ont réussi à s’évader après dix ans d’internement, etc.

L’ambassadeur français de l’époque, son excellence Guy Azaïs, aurait remis à Pierre Osho, directeur de cabinet du Président Mathieu Kérékou, un document pour recommander la convocation d’une assise qu’on pouvait appeler états généraux, convention, etc.

Je pense qu’il faut rendre à César ce qui est à César. L’une des tares de notre société, est de ne pas avoir le courage de reconnaître ce qui est la vérité. Je me rappelle avoir suivi un colloque sur cette conférence, au cours duquel presque tous les participants parlaient du rôle des prières, des forces religieuses dans le processus ayant conduit à l’organisation de la conférence, évitant soigneusement de souligner le travail titanesque réalisé par les militants du PCD, à l’exception notable du professeur Albert Tévoèdjrè, qui a rendu hommage à ce parti.

C’est vrai qu’en février 1989, la conférence épiscopale du Bénin a sorti une lettre pastorale qui analysait de façon critique la société béninoise et déplorait les détournements de deniers publics, sans nommer clairement les dirigeants. C’était, certes osé d’écrire une telle lettre, mais c’est le travail politique effectué par le parti communiste qui a rendu possible la publication de cette lettre.

Afrik.com : A vous suivre, on comprend que la décision d’organiser la conférence est sortie de la réunion tenue le 6 décembre 1989. Est-ce à dire que l’idée d’organiser ladite conférence était strictement béninoise ? Puisqu’il se dit ici et là que la France a joué un rôle dans la décision du Bénin d’organiser cet événement.
Sébastien Sotindjo : C’est tout à fait juste. On ne saurait nier le poids de la France dans la prise de la décision d’organiser la conférence. Le PCD clamait cela avant même la tenue effective de la conférence, en déclarant que l’ambassadeur français de l’époque, son excellence Guy Azaïs, aurait remis à Pierre Osho, directeur de cabinet du Président Mathieu Kérékou, un document pour recommander la convocation d’une assise qu’on pouvait appeler états généraux, convention, etc. en vue de sortir le pays de la situation critique dans laquelle il s’enlisait. Je crois finalement que c’est la session conjointe du 6 décembre 1989 qui a trouvé l’appellation « Conférence des forces vives de la Nation ».

La France qui est restée le principal bailleur de fonds du Bénin, au moment où tous les autres ont plié bagage, avait procédé à une préparation intellectuelle méthodique de la conférence. En effet, en 1989 se célébrait le bicentenaire de la Révolution française et il y avait, pour ce faire, un contact très régulier entre l’ambassadeur de France et le Président Mathieu Kérékou ; je me rappelle qu’ils ont inauguré ensemble la Place du bicentenaire à Cotonou. A l’occasion de cette célébration, Guy Azaïs a fait plusieurs interventions médiatiques sur les questions des droits de l’Homme, de la nécessité d’instaurer le multipartisme, histoire de préparer l’opinion publique à la chose.

Il n’y a donc pas de doute que la conférence a été suggérée au Président Mathieu Kérékou par la France. Mais ce faisant, la France s’est inspirée de la pratique béninoise, puisqu’elle connaît la propension des Béninois à se réunir au sein de la classe politique pour régler des problèmes ponctuels. Deux exemples : après le coup d’Etat du 26 octobre 1972, au moment où la junte militaire avait mis en place une commission pour l’aider à recenser les ressources du pays, les mouvements démocratiques lui avaient déjà proposé la convocation d’un « Congrès national des forces vives organisées ».

L’Eglise a été une victime de la révolution du PRPB pendant ses heures chaudes ; des ecclésiastiques ont été emprisonnés. C’est le cas de l’abbé Robert Sastre enfermé pour quelques jours, du père Alphonse Quenum, à l’époque directeur du collège père Aupiais de Cotonou, emprisonné pendant dix ans

Le pouvoir a laissé de côté cette proposition. Un peu plus de dix ans avant la conférence de février 1990, il y a eu la Conférence des cadres, en 1979 où le Président Kérékou, lui-même, a convoqué les cadres, les mouvements démocratiques pour trouver des solutions aux problèmes que traversait le pays. Des propositions concrètes avaient alors été faites au président de la République qui, pour des raisons politiciennes, ne les a pas mises en œuvre.

Afrik.com : On a vu que la présidence du présidium a été confiée à un prélat, en l’occurrence, Mgr Isidore de Souza. Comment en est-on arrivé à le désigner, lui précisément ?
Sébastien Sotindjo : Cette désignation fait partie de la préparation intellectuelle de la conférence. L’Eglise a été une victime de la révolution du PRPB pendant ses heures chaudes ; des ecclésiastiques ont été emprisonnés. C’est le cas de l’abbé Robert Sastre (qui deviendra plus tard évêque) enfermé pour quelques jours, du père Alphonse Quenum, à l’époque directeur du collège père Aupiais de Cotonou, emprisonné pendant dix ans. Ce dernier avait été soupçonné d’être un « zinsouiste », c’est-à-dire un partisan de l’ex-Président Emile Derlin Zinsou, reconnu comme étant l’un des commanditaires de l’agression du 16 janvier 1977.

L’Eglise a gardé un calme formidable face aux nombreux actes de provocation du régime.
Lorsque le régime a commencé par chanceler, le cardinal Bernardin Gantin a rendu plusieurs visites au Président Kérékou, accompagné de Mgr Isidore de Souza, coadjuteur de Mgr Christophe Adimou, archevêque de Cotonou. Dans ces conditions, quand il s’est agi de former la délégation devant représenter l’Eglise catholique à la conférence, Mgr Adimou n’étant pas sur place, l’abbé Sastre – très cultivé aussi, c’est le prélat qui dit que pour combattre le marxisme, il faut l’étudier – n’étant pas non plus là, je suis sûr que dans les différentes chancelleries impliquées dans l’organisation de l’événement, de Souza était déjà pressenti pour conduire les débats de la conférence.

Quand il a été proposé à ce poste, cela est passé comme une lettre à la poste, surtout en raison de la neutralité de l’Eglise catholique vis-à-vis de la politique jusque-là, mais également à cause des contacts pris lors des nombreuses visites du cardinal Gantin au Président Kérékou. Toutes les couches participantes ont voté pour Mgr de Souza, exception faite de la délégation de l’Eglise protestante, forte de neuf membres, qui s’est abstenue.

Afrik.com : Les négociations en coulisse que vous venez d’évoquer avant la conférence se sont-elles poursuivies au cours des assises proprement dites ?
Sébastien Sotindjo : Les négociations se sont poursuivies pendant la conférence. L’ambassadeur Guy Azaïs est resté, pendant toute la durée de la conférence, en contact permanent avec le président du présidium, Mgr de Souza, le rapporteur général, le professeur Albert Tévoèdjrè et le Président Mathieu Kérékou. Les orientations essentielles ont été sauvegardées. Cependant, il faut dire que les délégués aussi se sont organisés pour tenter de donner une certaine orientation aux assises.

C’est donc la conjonction de toutes ces forces qui a donné le résultat qu’on connaît. Il ne serait pas juste de dire que tout ce qui est sorti de la conférence était prédéfini ; ce qui est sûr, c’est que la France a inspiré le Président Mathieu Kérékou sur ce qu’il faut faire pour sortir de la crise.
Afrik.com : Vous avez parlé tout à l’heure des délégués qui étaient environ 500 à avoir pris part à la conférence. Sur la base de quels critères ont-ils été désignés ?
Sébastien Sotindjo : J’ai parlé du comité préparatoire dirigé par Me Robert Dossou, un ancien de la FEANF (Fédération des étudiants d’Afrique noire en France) dans les années 1970, un fin connaisseur du mouvement démocratique passé et un acteur averti de la vie politique nationale. Le comité préparatoire qu’il présidait a donc décidé de donner la parole au peuple qui en a été privé pendant 17 ans.

C’est donc le vrai peuple, du point de vue des organisations religieuses, des syndicats, des ONG, des personnalités, etc. qui a été convié à cette conférence qui a connu en tout, 512 participants, avec quelques fluctuations du nombre.

A suivre…

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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