Cuve d’acide. On savait que le pouvoir rendait fou, que les jeunes pays africains, qui venaient d’acquérir, au prix fort, l’indépendance, n’étaient pas très démocratiques. On savait que nos gouvernants avaient perdu le sens de la mesure en découvrant l’ivresse du pouvoir. On peut énumérer, à faire exploser la mémoire de l’ordinateur, leurs lacunes et leurs imperfections.
L’affaire Ben Barka, tué dans la région parisienne et sa dépouille dissoute dans une cuve d’acide à Rabat, nous plonge dans le plus désarroi et dans l’horreur. Ce n’est pas une mauvaise fiction hollywoodienne sur la mafia. C’est un cauchemar réel dont personne ne sortira indemne. La honte et l’horreur !
Le gouvernement marocain a décidé de ne rien décider. Il se bouche les oreilles devant les révélations de l’un de ses officiers qui assure avoir assisté personnellement à la « dissolution » d’une dizaine d’opposants. Le gouvernement de Youssoufi est tétanisé par son témoignage. Et vit dans l’angoisse de ceux qui ne vont pas manquer d’arriver. Le régime chérifien dissolvait son opposition.
Le Premier ministre Abderrahmane Youssoufi est dans une situation embarrassante. Il est à la tête du parti, l’USFP, fondé par Mehdi Ben Barka, celui-là même que le général Oufkir a tué personnellement. Son silence est mal perçu par les militants de son parti qui ne comprennent pas son immobilisme. C’est le meilleur d’entre eux, le père du socialisme marocain, qui a connu cette fin tragique ! Youssoufi sait qu’il ne peut pas faire la sourde oreille longtemps. Sa meilleure porte de sortie est l’ouverture d’une enquête judiciaire et le libre accès aux archives. Il fera honneur au Maroc et à l’Afrique.
Ce crime et le rapatriement du cadavre vers le Maroc a été rendu possible grâce (à cause) de la collaboration des services français. Sans qui rien de toute cette tragédie n’aurait eu lieu. La France se doit donc se résoudre, elle aussi, à un devoir de mémoire. L’Afrique d’aujourd’hui veut la vérité. Toute la vérité.