Un air de révolution souffle sur l’Afrique depuis le mois de janvier. Il semble des plus nocifs à ceux qui s’accrochent au pouvoir et qui sont finalement contraints de céder à la pression du peuple ou de la communauté internationale. Que feront Mouammar Kadhadi et Blaise Compaoré, qui sont aujourd’hui confrontés à une situation similaire, si leurs têtes étaient réclamées ? S’inspireront-ils de Ben Ali, de Moubarak ou de Gbagbo ?
L’avenir de Blaise Compaoré et de Mouammar Kadhafi, à la tête respectivement du Burkina Faso et de la Libye, rime avec incertitude.
D’autant que depuis le début de l’année, les fins de règne se sont faits brusques et parfois inattendus. Zinedine Ben Ali, Hosni Moubarak et Laurent Gbagbo en ont fait l’amère expérience. Le premier, le 14 janvier, au lendemain d’un discours où il faisait des promesses intenables pour le dictateur qu’il était. Le second, le 11 février lors d’une allocution aux allures d’ultime bravade puisque Washington, l’allié de toujours, avait annoncé son départ. Le dernier, le 11 avril, après un rendez-vous télévisuel raté avec les Ivoiriens. Lâchés par ce qui faisait le pilier de leur régime, l’armée régulière ou les soldats acquis à leur cause, Ben Ali a choisi la fuite quand Hosni Moubarak et Laurent Gbagbo ont décidé de rester dans leur pays, pour l’un, et de s’accrocher au pouvoir pour l’autre.
En Tunisie le début de la fin est imperceptible. Le jeune épicier Mohamed Bouazizi s’immole par le feu devant un bâtiment public le 17 décembre 2010 pour protester contre une brutalité policière. Fadia Hamdi, agent de police municipale de la ville de Sidi Bouzid, l’a giflé et elle était devant la justice ce mardi pour son geste. Avec cet acte désespéré, le jeune homme veut dénoncer le régime de répression que subissent les Tunisiens sous Ben Ali. La révolte se propage et atteint la capitale, Tunis. L’ancien président Zine El Abidine prononcera trois discours en l’intervalle de trois semaines pour calmer ses compatriotes : il promet l’amélioration de leurs conditions de vie et la liberté de presse. L’armée, elle, a décidé de ne plus tirer sur les manifestants, sonnant ainsi le glas du régime Ben Ali. Fortement encouragé par son ministre des Affaires étrangères, Kamel Morjan, et le général de corps d’armée, le chef de l’état-major Rachid Ammar, l’ancien président va céder son fauteuil ce vendredi 14 janvier. Le général a annoncé à Ben Ali qu’il allait fermer les frontières dans les heures qui venaient cet après-midi-là, raconte Maghreb Intelligence. L’entourage du président l’invite à prendre le chemin de l’exil alors qu’il hésite à rester en Tunisie. Destinations envisagées : Malte, Paris mais ce sera finalement Dubaï. Le héros national, qui a pris le pouvoir en 1987, finit par prendre ses jambes à son cou pour rejoindre femme, enfants et beaux-fils qui ont déjà quitté le bourbier tunisien.
L’art (délicat) de partir ou de rester
Un autre héros national n’imagine par que les évènements qui ont démarré le 25 janvier et qui ont fait de la place Tahrir, où des milliers d’Egyptiens se rassemblent quotidiennement pour exiger son départ, seront sont cimetière politique. Outre son ministre de l’Intérieur qui aurait minimisé l’ampleur de la révolte à ses débuts, la fin de son règne, Hosni Moubarak la doit, semble-t-il, à celui qui devait être son héritier à la présidence. Gamal, le fils cadet, a eu également une mauvaise lecture des aspirations de la rue. Il serait à l’origine de la modification du discours enregistré de son père diffusé le 10 février. Moubarak prône la fermeté, se raccroche au pouvoir alors que ses compatriotes et ses alliés attendent sa démission. « Tu as pourri le pays quand tu as ouvert la voie à tes copains (des milieux d’affaires) et voici le résultat. Au lieu que ton père soit honoré à la fin de sa vie, tu as œuvré pour salir son image », accuse l’aîné Alaa, selon le journal Al Akhbar cité par Le Monde. Les deux frères se disputent violemment après l’enregistrement de l’allocution de leur père, et leur mère, Suzanne Moubarak, s’évanouira à deux reprises à cause de leur altercation. De son côté, Gamal aurait reproché à ses parents d’avoir compromis son avenir dans le pays. Il semble néanmoins que l’idée de quitter l’Egypte n’ait jamais effleuré la famille Moubarak bien qu’elle ait mis ses avoirs à l’abri. L’exil est donc égyptien et il s’appelle Charm-El-Cheikh.
Entre Moubarak et Ben Ali, Laurent Gbagbo est celui qui n’a jamais tranché entre les conseils de ses collaborateurs et ceux de son entourage familial, notamment sa femme Simone Gbagbo. Pascal Affi N’Guessan, le président du Front populaire ivoirien (FPI), le parti de Laurent Gbagbo, et son ancien ministre des Affaires étrangères, Alcide Djédjé sont de ceux qui auraient milité pour la reddition du chef de l’Etat quelques jours avant sa chute. Alcide Djédjé avait entamé des négociations avec le camp adverse pour une sortie honorable de Laurent Gbagbo. Ces deux hommes ont d’ailleurs trouvé refuge auprès des forces françaises Licorne. L’indécision de Laurent Gbagbo pourrait bien être à l’origine de sa capture par les Forces républicaines de Côte d’Ivoire, soutien militaire de son rival. Car a contrario de ses adversaires et de ses homologues tunisien et égyptien, l’ancien président ivoirien avait anticipé la crise post-électorale qu’allait connaître son pays : son discours avant les élections et les caches d’armes découvertes en témoignent. Depuis le début de la crise le 2 décembre 2010, il a résisté de toutes ses forces à l’installation de son successeur, Alassane Ouattara, déclaré vainqueur de la présidentielle du 28 novembre dernier. Laurent Gbagbo a contenu la pression financière imposée par l’arrêt des activités de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Beceao) en Côte d’Ivoire, réclamé le recomptage des voix, rejeté toutes les médiations et balayé les ultimatums d’un revers de la main. Son acharnement est aussi celui de Simone, évangéliste, convaincue que son époux est « l’élu de Dieu » pour la Côte d’Ivoire et le résistant aux forces anti-colonialistes françaises. En Terre d’Eburnie, le peuple semble avoir grondé dans les urnes, peu dans les rues où deux camps se sont livrés bataille militairement jusqu’au 11 avril dernier, date de l’arrestation de Laurent Gbagbo. La présence militaire française intégrée dans la force de l’Onu est finalement venue à bout de Laurent Gbagbo. Ce jour-là, il s’est rendu sans opposer aucune résistance. Aujourd’hui détenu à Korhogo dans le Nord de la Côte d’Ivoire, il n’aurait le droit de parler que cinq minutes par semaine à son épouse prisonnière à Abidjan, selon le journal L’Inter. L’ancien chef de l’Etat serait inquiet pour sa mère et les siens arrêtés le même jour que lui.
L’heure de rendre des comptes
Gbagbo et Moubarak sont restés dans leurs pays. L’ancien président égyptien, qui doit rendre compte devant la justice des crimes et détournements de deniers publics dont il est accusé, souffre de graves soucis de santé alors que ses fils sont emprisonnés. L’état de santé de Ben Ali serait tout aussi grave alors que ses concitoyens réclament aussi que justice soit faite. Leur homologue ivoirien, qui a perdu l’appétit, attend lui d’être fixé sur son sort. Le nouveau président ivoirien a promis qu’il sera jugé dans on pays. Laurent Gbagbo, que l’on croyait jusqu’au-boutiste avait déclaré six jours avant son arrestation ne pas être un « kamikaze ». Enfermé avec ses enfants, sa mère et ses petits-enfants, il paraît inconcevable qu’il l’ait été. Une histoire de famille encore.
La longévité politique a-t-elle une fin ? A l’aune des cas tunisien, égyptien et ivoirien, le oui s’impose. Le libyen Mouammar Kadhafi, qui fait face à une opposition soutenue par la communauté internationale et le Burkinabé Blaise Compaoré dont le pays s’embrase par à-coups doivent rêver d’une boule de cristal. Le régime libyen est sur la sellette depuis le 15 février dernier où la police a violemment réprimé un sit-in à Benghazi, le fief de l’opposition situé dans l’Est du pays. La pression des insurgés, représentés par le Conseil national de transition (CNT), est renforcée par la communauté internationale. Au nom de la protection des civils, une zone d’exclusion aérienne a été mise en place et les avions de l’Otan, sous mandat des Nations unies, ne cessent de bombarder les forces pro-Kadhafi qui ne sont toujours pas totalement anéanties. L’opposition libyenne souhaite que les frappes s’intensifient et réclame une aide financière et humanitaire pour pouvoir maintenir le siège contre le Guide libyen.
Comme en Côte d’Ivoire, les insurgés libyens bénéficient d’un appui militaire extérieur alors que le Burkina Faso vit des soubresauts comparables à ceux qu’a connus la Tunisie et l’Egypte. La fronde burkinabè demeure populaire même si les militaires, notamment ceux de la Garde républicaine, ont exprimé ces derniers jours leur mécontentement avant de se rallier de nouveau au régime de Blaise Compaoré. Depuis la mort de l’étudiant Justin Zongo à Koudougou et les évènements du 22 et 23 février, le pouvoir de Blaise Compaoré se fissure. Environ un quart de siècle pour ce dernier et près de 40 ans au pouvoir pour Mouammar Kadhafi : la fin de règne sera-t-elle lâche, courageuse ou entêtée ?