Il était noir, français d’origine sénégalaise, et champion du monde poids lourd de boxe en 1922. Jusqu’à présent, l’Histoire n’aura que peu ou mal retenu le récit légendaire de M’Barick Amadou Fall, alias « Battling Siki ». Les deux scénaristes, Aurélien Ducoudray et Eddy Vaccaro, tombés par hasard sur la folle épopée de ce champion dénigré se sont livrés à un difficile exercice de recherche d’archives et d’imagination pour rendre justice à la mémoire de l’homme dans leur première bande-dessinée intitulée Championzé (ed. Gallisol, 2010).
Battling Siki s’est hissé à la force des poings au rang de champion du monde et personne ne s’en rappelle! Ce n’est pas tant une histoire de boxe qu’une histoire tout court, celle d’un homme noir auréolé de gloire dans un monde blanc, puis destitué de toute reconnaissance après sa mort, « renvoyé aux oubliettes », selon les mots du scénariste Aurélien Ducoudray. « Je ne connais pas très bien la boxe », explique Eddy Vaccaro, le dessinateur, « ce qui m’intéresse, c’est les gens. Et les gens, c’est pas tout noir, tout blanc ».
Une histoire improbable comme on les aime et pourtant l’Histoire ne l’aura pas retenue, du moins pas jusqu’à maintenant. Eddy Vaccaro et Aurélien Ducoudray signent là une bande dessinée édifiante et multi-dimensionnelle. Intitulée Championzé, elle propose un retour tout en nuance sur la vie tumultueuse de l’homme et la carrière triomphante du boxeur. Le titre Championzé, relève de la contraction des mots « champion » et « chimpanzé ». Un néologisme qui illustre bien le racisme de l’époque et l’incapacité des contemporains de l’entre deux guerres à reconnaître des « étoiles noires ». L’histoire est captivante et le dessin bien que monochrome (noir et blanc), varié, nerveux et séduisant.
Né M’Barick Amadou Fall à Saint-Louis en 1897, – à l’époque capitale du Sénégal, colonie française -, il vit pauvre et livré à lui-même. Il deviendra champion de France, d’Europe et du monde en battant Georges Carpentier en 1922, au stade Buffalo de Montrouge (France) devant 40 000 personnes. Noir et français, l’homme avait le palmarès et les qualités pour prétendre à la gloire posthume. Mais on ne reconnaîtra qu’à moitié sa victoire, en raison d’accusations mensongères de tricherie. On retrouvera en 1925 son corps criblé de balles et lacéré de coupures de rasoir sur le pavé new-yorkais. Il est tombé depuis dans l’anonymat le plus total. A en croire Aurélien Ducoudray, encore aujourd’hui, « même dans les plus prestigieuses encyclopédies, le « Sénégalais singulier » est résumé à quelques lignes au chapitre : combat truqué… ».
Championzé narre de façon subtile et imagée la vie d’un homme qui a pris son destin en main à une époque où sévissait encore l’esprit colonial, une période où, en Europe, l’homme noir était perçut comme une curiosité exotique voire même un animal. Battling Siki combattra dans les plus grandes arènes du monde (Paris, New York, Amsterdam, Dublin) et livrera une lutte acharnée contre le racisme, omniprésent et diablement dégradant.
Une critique virulente des médias de l’époque
La bande dessinée consacrée à ce boxeur hors-normes pourrait lui rendre un peu de la gloire posthume qu’il mérite. Elle esquisse aussi, en filigrane, une critique virulente des médias de l’époque, incapables de dépasser leurs préjugés pour dresser un portrait un tant soit peu fiable du personnage.
Aurélien Ducoudray est aussi ancien journaliste. Pour étoffer son histoire et lui donner une dimension biographique, il a passé en revue de nombreux articles de presse de l’époque. Selon lui, les annales ne le citent que très succinctement (en note de bas de page dans certaines encyclopédies consacrées à la boxe) et les articles l’étripent en faisant des jeux de mots de mauvais goût, soit en évoquant par exemple, dans le registre pâtissier, sa « tête de nègre » ou en parlant plus simplement (et tout aussi bêtement) de son « côté sombre ». Aussi, les journalistes blancs ne retiennent-ils que les aspects les moins reluisants du personnage, à savoir son penchant pour l’alcool et les bastons de rues. C’est donc avec beaucoup de finesse et d’imagination que les deux scénaristes ont œuvré pour revisiter l’histoire de Battling Siki, offrant ainsi aux lecteurs une biographie non pas historique mais romancée.
Aurélien Ducoudray résume bien la dimension exemplaire que peut avoir le récit de vie du boxeur. « Au-delà de l’intérêt historique, Battling Siki peut aussi émouvoir parce que, malgré les obstacles, il n’a visiblement jamais baissé les bras. Il a voulu aller au bout de ses rêves d’homme, envers et contre tout ». L’histoire, on vous le rappelle, est loin d’être un conte de fée. Pourtant, Louis Fall (il choisira de remplacer M’Barick Amadou par un prénom chrétien), l’un des plus grands champions de boxe de l’entre deux guerres, plongera dans l’anonymat après avoir été assassiné comme un vulgaire délinquant dans les rues de New York.
A travers l’aventure de Battling Siki, les deux scénaristes français épris d’Afrique dénoncent les affres d’un racisme omniprésent dans la période de l’entre-deux guerres. Championzé s’inscrit dans la droite lignée de bandes dessinées historiques comme Maus d’Art Spiegelman (sur l’holocauste) ou encore Gorazde de Joe Sacco (sur la guerre en Bosnie). Sans avoir la densité historique des deux autres ouvrages cités, Championzé invite le lecteur à redécouvrir le racisme de l’époque coloniale, une facette hideuse de l’histoire française.
Commander la Bande-dessinée Championzé, Gallisol, 2010.