
Dans un contexte de stress hydrique croissant en Afrique en général et au Maghreb en particulier, l’Algérie a officiellement relancé en octobre 2023 son ambitieux projet du Barrage vert. Visant à préserver les ressources en eau, améliorer l’infiltration des précipitations et lutter contre l’érosion des sols, cette initiative affiche déjà des résultats impressionnants avec plus de 21.000 hectares reboisés et 80 nouveaux points d’eau créés. Dotée d’un budget de 75 milliards de dinars, cette barrière végétale constitue une réponse stratégique aux défis hydriques et climatiques que connaît la région.
Dans les vastes étendues semi-arides du nord de l’Afrique, l’Algérie réinvente l’un des projets environnementaux les plus ambitieux du continent : le Barrage vert. Cette initiative colossale, lancée initialement dans les années 1970 est aujourd’hui en pleine renaissance. Il s’agit à travers le reboisement d’une véritable infrastructure verte destinée à préserver les ressources hydriques, limiter l’érosion des sols et contenir l’avancée inexorable du désert saharien vers les terres fertiles du nord du pays.
Aux origines d’une vision écologique pionnière
Le Barrage vert a vu le jour en 1971 sous la présidence de Houari Boumédiène, à une époque où les préoccupations environnementales n’étaient pas encore au centre des agendas internationaux. L’idée était alors révolutionnaire : créer une ceinture forestière s’étendant d’est en ouest du pays sur une longueur de 1 500 kilomètres et une largeur variant de 5 à 20 kilomètres.
Cette bande verte devait traverser les hauts plateaux steppiques, région particulièrement vulnérable à la désertification, située entre les montagnes de l’Atlas tellien au nord et l’Atlas saharien au sud. L’objectif principal était de freiner l’érosion des sols et l’avancée du désert qui menaçait déjà de transformer des zones autrefois fertiles en paysages arides.
Un projet initié dans l’enthousiasme mais confronté à de nombreux défis
Les premières années du projet furent marquées par un enthousiasme considérable. Des milliers de jeunes Algériens furent mobilisés dans le cadre du service national pour planter des millions d’arbres, principalement des pins d’Alep, réputés pour leur résistance aux conditions climatiques difficiles de la région. Cette mobilisation massive a permis de planter environ trois millions d’hectares d’arbres entre 1971 et 1990.
Cependant, le projet a rapidement rencontré des obstacles majeurs. L’approche initialement trop uniforme, privilégiant la monoculture du pin d’Alep, s’est révélée inadaptée à la diversité des écosystèmes traversés. Les taux de survie des arbres plantés étaient souvent décevants, et l’entretien insuffisant des zones reboisées a conduit à l’échec de nombreuses plantations.
De plus, les années 1990, marquées par l’instabilité politique et la décennie noire du terrorisme en Algérie, ont vu le projet perdre en intensité et en moyens. Les préoccupations sécuritaires ont pris le pas sur les questions environnementales, laissant le Barrage vert partiellement inachevé et insuffisamment entretenu.
La renaissance du Barrage vert : une approche moderne et intégrée
Conscientes des erreurs du passé et face à l’aggravation des phénomènes de désertification accentués par le changement climatique, les autorités algériennes, sous la présidence d’Abdelmadjid Tebboune, ont décidé de relancer le projet du Barrage vert sous une forme repensée. Cette renaissance s’inscrit dans une stratégie nationale de développement durable et de lutte contre les effets du changement climatique.
Le projet a été officiellement relancé le 29 octobre 2023, marquant une nouvelle étape. Doté d’un budget conséquent de plus de 75 milliards de dinars, environ 500 millions d’Euros, répartis sur plusieurs tranches jusqu’à l’horizon 2030, ce projet conforte l’engagement des autorités algériennes en faveur de la préservation de l’environnement.
La nouvelle approche se distingue par plusieurs innovations majeures :
Une diversification des espèces plantées avec un accent sur l’arganier
Contrairement à la monoculture initiale, le projet actuel met l’accent sur la biodiversité. Aux côtés du pin d’Alep, on trouve désormais des espèces autochtones mieux adaptées aux différents écosystèmes traversés : le pistachier de l’Atlas, l’acacia, le caroubier, ou encore l’arganier. Cette diversification permet une meilleure résistance de l’écosystème aux maladies et aux parasites, tout en offrant des ressources variées aux populations locales.
Le développement de l’arganier constitue l’un des axes majeurs du plan quinquennal du ministère de l’Agriculture. Particulièrement adaptée aux conditions climatiques difficiles, cette espèce rustique joue un rôle central dans la stratégie nationale. La DGF prévoit la plantation de 238.325 arganiers dans six wilayas principales : Tindouf, Béchar, El Bayadh, Naâma, Mostaganem et Chlef. À ce jour, 78.585 plants d’arganiers ont déjà été mis en terre, renforçant ainsi la biodiversité et créant de nouvelles opportunités économiques pour les communautés locales.
L’un des échecs du projet initial résidait dans sa conception top-down, imposée aux populations sans véritable concertation. Le nouveau Barrage vert place les communautés locales au cœur du processus, transformant le projet en une opportunité de développement économique local. Les plantations incluent désormais des espèces fruitières et médicinales qui peuvent générer des revenus pour les habitants.
Des techniques modernes de conservation des eaux et des sols
Le reboisement s’accompagne aujourd’hui de techniques avancées de gestion de l’eau, élément central du projet. La création de 80 nouveaux points d’eau depuis la relance du projet témoigne de cette priorité donnée à la ressource hydrique. Ces aménagements comprennent :
- La construction de petits barrages collinaires pour retenir les eaux de ruissellement
- Des systèmes innovants de collecte des eaux pluviales
- Des techniques d’irrigation goutte-à-goutte pour optimiser l’utilisation de l’eau
- Des travaux de correction torrentielle sur plus de 35.400 m² pour limiter l’érosion hydrique
- Des techniques de captage des brouillards dans certaines zones côtières
Ces méthodes permettent non seulement d’optimiser l’utilisation de la ressource la plus précieuse dans ces régions semi-arides, mais aussi d’améliorer l’infiltration des eaux de pluie pour recharger les nappes phréatiques. La gestion intelligente de l’eau constitue ainsi l’un des piliers de la réussite du projet renouvelé du Barrage vert.
Une intégration dans les initiatives internationales et des résultats significatifs et mesurables

Le Barrage vert s’inscrit désormais dans une dynamique régionale plus large, notamment l’Initiative de la Grande Muraille Verte pour le Sahara et le Sahel, lancée en 2007 par l’Union Africaine. Cette dimension internationale permet à l’Algérie de bénéficier d’échanges d’expertise et de financements additionnels.
Selon le dernier bilan communiqué par la Direction générale des forêts (DGF) à l’occasion de la Journée internationale des forêts du 21 mars 2024, le projet de réhabilitation du Barrage vert affiche des résultats significatifs depuis sa relance officielle. Les avancées concrètes sont impressionnantes :
- Plus de 21.000 hectares ont été reboisés
- 376 kilomètres de pistes rurales et agricoles ont été aménagés, désenclavant des zones isolées
- 80 points d’eau ont été créés, améliorant l’accès à cette ressource vitale
- Des travaux de correction torrentielle ont été réalisés sur une superficie de 35.400 m²
16.400 hectares de terres ont été mis en défens pour permettre la réhabilitation des parcours steppiques
Le financement de ces réalisations a été structuré en plusieurs tranches :
- Une première tranche de 10 milliards de dinars mobilisée en 2023, couvrant 13% des actions prévues et bénéficiant directement à 183 communes et près de 800 localités
- Une nouvelle allocation de 5,7 milliards de dinars pour l’année 2024
- Une troisième tranche de 11,09 milliards de dinars prévue pour 2025, destinée à poursuivre les opérations de plantation ainsi que les actions de protection et de soutien
Le projet contribue à la séquestration du carbone, faisant du Barrage vert un outil clé dans la lutte contre le réchauffement climatique. Il permet également la création d’emplois verts dans des régions souvent marquées par un fort taux de chômage et aide à préserver la biodiversité locale, incluant certaines espèces menacées. Par ailleurs, le projet réduit l’exode rural grâce aux nouvelles opportunités économiques qu’il génère, améliorant ainsi les conditions de vie des populations rurales.
Malgré ces avancées remarquables, les défis restent nombreux. Le changement climatique accélère les phénomènes de désertification, rendant la tâche encore plus ardue. La sensibilisation des populations, notamment des plus jeunes, à l’importance de ce patrimoine naturel reste également un enjeu majeur.
L’avenir du Barrage vert s’inscrit désormais pleinement dans l’accord international sur la gestion durable des terres, la réduction des tempêtes de sable et de poussière, ainsi que la résilience à la sécheresse.
Il fait également partie du « Défi de Bonn« , un effort mondial de reboisement des terres dégradées et déboisées. Cette initiative internationale vise à restaurer 350 millions d’hectares de terres forestières dégradées d’ici 2030, s’alignant parfaitement avec les Objectifs de Développement Durable (ODD) des Nations Unies.
Les projets actuels et futurs incluent :
- Le développement de l’agroforesterie, combinant arbres et cultures agricoles adaptées
- La promotion de l’écotourisme dans certaines zones du Barrage vert, offrant une source de revenus alternative aux populations locales
- L’utilisation des technologies satellitaires et de l’intelligence artificielle pour un suivi plus précis de l’évolution de la couverture végétale
- La création de pépinières locales pour produire des plants adaptés aux conditions spécifiques de chaque région
- Le développement continu des infrastructures rurales (points d’eau, pistes) pour améliorer les conditions de vie des populations locales
Un modèle de gestion de l’eau et de résilience environnementale
Dans un contexte où le changement climatique menace d’intensifier les sécheresses et de réduire la disponibilité en eau dans de vastes régions de la planète, l’expérience algérienne démontre qu’avec une approche adaptée, intégrée et participative, il est possible d’améliorer la résilience hydrique des territoires.
Alors que l’Algérie poursuit ce chantier titanesque, le Barrage vert s’affirme comme un patrimoine national vivant, un héritage pour les générations futures, et peut-être l’une des plus importantes contributions du pays à la lutte mondiale contre la pénurie d’eau et le changement climatique.