Depuis deux ans, Bárbara Perea est la Conseillère du Secrétariat du Gouvernement en charge de la population afrodescendante à Bogotá. Originaire de Quibdó, Chocó, elle est actrice (théâtre et télévision). Mission lui a été donnée d’engager un dialogue avec le Comité Consultatif Afrodescendant de Bogotá, une organisation regroupant 30 organisations noires, pour la mise sur pied d’une politique publique spécifiquement pour ce secteur de la population. Bárbara estime que entre 800 000 et 1 million de noirs et d’afrodescendants vivent à Bogota, un chiffre qui contraste avec celui estimé par le DANE, entité qui ne reconnaît l’existence que de 100 000 habitants afrocolombiens dans la ville.
Dans une entrevue à Misión Bogotá, cette Conseillère du Gouvernement Local évoque l’expérience de la mise sur pied d’une politique pour la population noire de Bogotá, ses caractéristiques, le niveau de discrimination existant, ses satisfactions et ses frustrations.
Que signifie le fait d’être afrodescendant à Bogotá ?
C’est être sujet de droits, d’actions affirmatives et être fier de ses racines culturelles. Mais c’est aussi être discriminé. Je suis artiste de scène et je n’ai pas les mêmes possibilités de travail que les autres dans ce domaine malgré le fait que j’ai fait des études et que j’ai du talent; actuellement, lorsqu’un noir passe un ‘casting’, on lui attribue des rôles spécifiques comme femme de service, jardinier, chauffeur ou esclave; il est impossible qu’ils soient professionnels ou jeunes premiers. Ce schéma dans lequel on nous fait entrer se répète dans les entreprises ; par exemple, vaut mieux envoyer son CV sans photo. Par conséquent, les conditions d’accès à un emploi et de participation ne sont pas les mêmes, cela se traduit par le chômage, des conditions de vie précaires, des quartiers pauvres et l’exclusion.
La population afrodescendante bogotaine est-elle discriminée?
Vivre du théâtre dans ce pays n’est pas facile, j’ai toujours travaillé dans le théâtre. Quand on faisait la télévision il y a 15 ans, il y avait une télévision qui nous reflétait. Aujourd’hui, à cause de la globalisation, les telenovelas n’appartiennent plus à aucun endroit, l’identité est entrée dans un marché global dans lequel nous ne sommes pas admis; trouver un travail devient alors compliqué. J’ai eu la chance de parler avec Luís Eduardo Garzón qui m‘a proposé de chercher et d’explorer les possibilités d’inclure la communauté afrodescendante dans une administration dans laquelle toutes les expressions culturelles n’ont pas leur place. Je suis donc passé de l’artistique au gouvernemental (l’administratif).
Qu’est ce que la population afrodescendante a gagné dans la ville ?
Dans cette administration et sur invitation du maire, il y a eu un changement positif car la volonté politique existe de faire une politique adressée aux afrodescendants de Bogotá. Dans cette optique, on a travaillé avec un comité consultatif des communautés afrodescendantes présentes à Bogotá. Selon les données des organisations, la population oscille entre 800 mille et 1 million de personnes. Pourtant, le dernier recensement du DANE vient juste d’indiquer que nous ne sommes que 100 000. Le comité consultatif et le district feront une déclaration, car, il y a le risque que moins de ressources soient destinées.
La politique publique du district et le plan intégral d’actions affirmatives pour la reconnaissance de la diversité culturelle et la garantie des droits des afrodescendants ont été mis en place cette année. Cette politique poursuit des objectifs à long terme, mais le plan d’actions affirmatives pour la reconnaissance de la diversité culturelle est un programme qui dispose de ressources et d’engagements jusqu’en 2007. Cela veut dire que toutes les entités, qui mènent des actions affirmatives, devraient réserver dans leurs programmes des ressources spécifiques pour la population afrodescendante. En plus, le comité consultatif du district fera un suivi de ce plan d’actions affirmatives. Lorsque nous avons commencé à exposer cette politique, les gens ne comprenaient pas l’importance d’utiliser des ressources pour les populations afrodescendantes. Nous avons désormais des organisations locales engagées dans ce plan d’action.
Qu’est ce qui caractérise la population noire à Bogotá ?
Nous ne disposons pas d’une bonne étude des caractéristiques des populations afrodescendantes ; un des objectifs est d’en réaliser une pour qu’elle reflète véritablement notre situation et nos besoins. Nous avons commandé des études auprès d’Organisations Non Gouvernementales qui prennent en compte de petits échantillons, mais dans lesquelles les gens ne se sentent pas reflétés ni identifiés. Ce qu’on remarque plus ou moins c’est qu’il y a certaines localités dans lesquelles on retrouve plus de noirs que dans d’autres comme Kennedy, Suba, Puente Aranda, Santa Fe, cette dernière dans laquelle la population est très flottante et où on trouve des restaurants et des salons de beauté afrodescendants . Il y a aussi Chapinero, où on retrouve un bon nombre d’organisations culturelles et artistiques ainsi que Usaquén. Le niveau d’éducation varie entre le primaire et le baccalauréat, peu d’entre eux font des études universitaires. Il y des contingents de place à l’Universidad Distrital réservés à la population noire, 1 pour 40 étudiants; cependant, beaucoup de gens ne sont pas au courant de cet avantage et ceux qui en profitent ne peuvent pas répondre financièrement.
Comment peut-on sauvegarder la culture de la population afrodescendante à Bogotá ?
Ma famille est partie de Quibdo il y a longtemps et je suis arrivé à Bogotá toute petit. Mon père a pris cette décision pour rechercher une meilleure éducation et de meilleures conditions de vie pour tous; c’est la même chose qui s’est passée pour beaucoup de familles. Quand nous sommes arrivés, il y avait plusieurs quartiers dans lesquels on retrouvait des gens venant du pacifique et des Caraïbes, donc, les coutumes se maintenaient. On mangeait de la nourriture q’on nous envoyait du Choco: Chontaduro et d’autres fruits, en plus, on nous a appris une façon traditionnelle de les consommer. Il y a toujours des liens familiaux qui ne se sont pas rompus.
Il existe un mécanisme important, celui de l’ethno éducation, c’est-à-dire, une chaire afro, qui est déjà réglementée et qu’il ne reste plus qu’à concrétiser. L’ethno éducation consiste à la création d’une éducation propre aux communautés noires par le biais de laquelle les gens connaissent leurs valeurs et leur culture, et sachent pourquoi nous sommes ici et d’où nous venons. On peut la représenter par des choses aussi simples q’un enseignant qui demande (aux élèves) de représenter toutes les races.
La communauté afrodescendante est elle participative ?
La Communauté afrodescendante est beaucoup plus orale qu’écrite. Il y a une grande méconnaissance de ce qui est en train de se passer. Je pense que nous devons nous focaliser sur le travail de diffusion de la politique publique et du plan d’action au niveau local. Ce qui se passe c’est que les gens n’utilisent pas les médias avec lesquels on travaille normalement, comme Internet, il faut donc explorer d’autres possibilités pour informer et atteindre les gens; il faut utiliser des moyens alternatifs, car beaucoup n’ont pas accès à la technologie. Il faut travailler avec des secteurs divers de la population afro, comme les salons de beauté et les restaurants, pour que l’on puisse mieux communiquer, cela fait partie de l’inclusion. C’est comprendre que nous agissons de différentes manières.
Quel dialogue a été établi avec les autres expressions culturelles de Bogotá ?
Il y a certains mythes qui existent dans certains quartiers selon lesquels les afrodescendants sont fermés aux autres et constituent des ghettos. La population afro a une culture distincte: elle a le verbe plus prononcé, elle se rassemble dans les coins (réduits) et elle place l’équipe de son devant la porte. Par conséquent, les gens font de mauvaises suppositions et se créent de faux imaginaires sur ce que les noirs font.
Quels sont les défis de la population noire de Bogotá ?
Le défi est d’expliquer les politiques sectorielles aux gens et leur faire comprendre que Bogotá est une ville diverse. Il faut en plus obtenir que la politique ne reste pas dans les intentions mais qu’elle soit plutôt un pari pour l’amélioration des conditions de vie de la population afrodescendante et qu’ils se sentent représentés.
C’est un défi et un gain énorme que Misión Bogotá donne une place à la population afro avec de nouvelles opportunités d’emploi, une amélioration de leur situation économique et l’inclusion sociale.
Cependant, il faut améliorer ses possibilités d’accès à l’éducation.