Le sénateur de l’Illinois Barack Obama a remporté, avec 37, 6% des suffrages exprimés, les caucus dans l’Etat de l’Iowa, aux Etats-Unis, où a démarré jeudi soir la course à la Maison Blanche. Il dame le pion à Hillary Clinton dont il était jusqu’ici le principal challenger. Quel sens donner à cette victoire ? L’historien François Durpaire répond.
Selon le décompte officiel, Barack Obama a remporté le vote démocrate dans l’Etat de l’Iowa, situé dans le centre des Etats-Unis avec 37,6 % des suffrages exprimés contre 29,7 % pour John Edwards et 29,5 % pour Hillary Clinton. Chez les républicains, Mike Huckabee a fait l’unanimité avec 34,4 % devant Mitt Romney, 25,2 % et notamment John McCain, 13, 1%, et l’ancien maire de New York Rudy Giuliani qui n’est crédité que de 3% des voix. Barack Obama remporte ainsi le suffrage de 57 délégués démocrates et Mike Huckabee, celui de 40 délégués républicains. François Durpaire, historien spécialiste de l’histoire nord-américaine, co-auteur de L’Amérique de Barack Obama publié aux éditions Demopolis, revient sur la victoire de Barack Obama.
Afrik.com : Que faut-il retenir de cette victoire de Barack Obama dans l’Iowa ?
François Durpaire : Cette victoire de Barack Obama dans l’Iowa confirme sa popularité dans une partie de l’électorat américain et, encore plus important, qu’il est devenu un candidat crédible. Pour preuve, la semaine dernière, les enquêtes d’opinion menées dans l’Iowa le créditaient d’un taux de sympathie de 37% devant John Edwards et Hillary Clinton qui, elle-même, selon ses mêmes enquêtes d’opinion, était jugée la plus crédible, dans tous les domaines, des candidats démocrates. Autrement dit, en l’espace d’un vote, Barack Obama est devenu crédible tout en étant toujours aussi populaire.
Afrik.com : Hillary Clinton n’est que le troisième choix des démocrates derrière John Edwards et Barack Obama qui bénéficie d’une très confortable avance de 8 points. Pourquoi le score de l’ancienne première dame est-il si mauvais ?
François Durpaire: Cinquante-et-un pour cent des votants disent qu’ils se sont déplacés parce qu’ils souhaitaient du changement. Dix-sept pour cent seulement mettent en avant l’expérience qui apparaît comme le principal atout d’Hillary Clinton par rapport à Barack Obama.
Afrik.com : C’est donc une vraie défaite pour Hillary Clinton ?
François Durpaire: Absolument. Hillary Clinton, tout comme ses principaux rivaux, avait choisi de faire campagne dans l’Iowa. Contrairement à Bill Clinton, Bush père et Reagan, à qui certains médias la comparent pour appuyer la thèse selon laquelle elle a encore des chances de rassembler les démocrates sur son nom. Bill Clinton avait choisi de ne pas faire campagne dans l’Iowa. C’était sa stratégie, celle adoptée aujourd’hui par le républicain Rudy Giuliani qui n’a récolté que 3% des suffrages dans l’Iowa. Hillary Clinton, elle, voulait gagner dans l’Iowa.
Afrik.com : Qu’est-ce qui fait que Barack Obama incarne autant le changement pour les Américains, du moins pour ceux qui ont voté dans l’Iowa ?
François Durpaire : Il est jeune, il aura 47 ans en août prochain, il est métis et il a un discours du changement. Son champ lexical fait sans cesse référence au « changement ». Mais par-dessus tout, il affiche une volonté de rupture avec la bipolarité politique aux Etats-Unis. Il dit vouloir réconcilier les Américains sur le plan politique, racial et religieux. Quant à son inexpérience, Hillary Clinton met en avant le fait qu’elle ait été première dame et le fait qu’elle soit sénatrice de New York. C’est certes important, mais il faut dire que Barack Obama, avant d’être sénateur au niveau national, a été sénateur local, et on connaît l’importance de l’ancrage local pour les Américains. C’est aussi une bonne expérience.
Afrik.com : En quoi le programme de Barack Obama diffère-t-il de celui d’Hillary Clinton ?
François Durpaire : Le programme de Barack Obama est plus roosveltien, plus social que celui d’Hillary Clinton. Mais en réalité, la différence de programme compte peu. Depuis le duel Nixon et Kennedy, on en a la preuve aux Etats-Unis. Ils avaient des programmes très proches et tout ce qui a fait la différence, ce que l’histoire a retenu, c’est le contraste de leur personnalité. L’image et le charisme sont des éléments décisifs dans une élection présidentielle.
Afrik.com : Mardi, ce sera autour du New Hampshire de se prononcer. Barack Obama, qui s’est déjà rendu plusieurs fois dans cet Etat, a-t-il des chances d’y conforter son avance ? Pourquoi ?
François Durpaire : Le New Hampshire est un Etat moins conservateur que l’Iowa. L’électorat y est moins blanc et plus jeune. Ce dernier point est déterminant quand on sait que ce sont les moins de 25 ans, à 57%, qui ont voté pour Barack Obama et que pour cette classe d’âge Hillary Clinton ne figure même pas dans les trois premiers. Ce sont les plus de 65 ans, à 45%, qui ont surtout voté pour elle. Autre élément qui va aussi faire la différence, c’est que Hillary Clinton ne peut pas demander à son électorat noir de faire barrage à Barack Obama. Quelle va être l’attitude des Afro-américains, qui doutaient jusqu’alors de la viabilité de la candidature Obama ? Enfin, le vote des indépendants – ceux qui ne se disent ni républicains ni démocrates – sera décisif. Barack Obama entend transcender les clivages partisans. Quarante-et-un pour cent des 20% d’indépendants dans l’Iowa ont voté Barack Obama, 23% pour John Edwards et seulement 17% seulement pour Hillary Clinton. Ce score fera réfléchir les cadres du parti démocrate quand on sait que le New Hampshire compte 40% d’indépendants et qu’Hillary Clinton a polarisé la vie politique américaine de telle sorte que tendanciellement, il n’y a que les démocrates qui votent pour elle.