Barack Obama, 44e président et premier « Commander in chief » noir des Etats-Unis prenait ses fonctions le 20 janvier dernier. Quel bilan peut-on faire des ces premiers 100 jours, célébrés ce mercredi, à la tête de la première puissance mondiale ? Réponses de François Durpaire, historien et spécialiste des Etats-Unis.
François Durpaire est historien. Il a a co-écrit, avec Olivier Richomme, L’Amérique de Barack Obama, publié aux éditions Démopolis. Plus récemment, les deux hommes ont publié Obama face à la crise chez le même éditeur.
Afrik.com : Le mot clé de la campagne a été changement. Quel pourrait être celui des 100 jours de Barack Obama à la Maison Blanche ?
François Durpaire : Ce n’est pas un mot, plutôt une périphrase que l’on doit à un journaliste américain. Aux Etats-Unis, on surnomme désormais Barack Obama « Mr. Do-it-all », c’est-à-dire « Monsieur- je-fais tout ». Un surnom comparable à celui d’ « hyperprésident » que l’on a donné à Nicolas Sarkozy en France. Pour les républicains, il essaieraie d’en faire trop en une fois (Trying to much at once). Les démocrates objectent que face à l’ampleur de la crise économique et sociale, il est obligé d’être présent sur tous les fronts. Autrement, on le lui reprocherait.
Afrik.com : Que pensent les Américains de Barack Obama après 100 jours de présidence ?
François Durpaire : Il jouit d’une très forte popularité, comparable à celle de Reagan, de Carter ou même de George W. Bush à la même période. Ce qui démontre que cette question des 100 jours est très artificielle. Jimmy Carter était très populaire au début de son mandat, mais c’est l’un des présidents qui a eu le mandat le moins brillant de l’histoire des Etats-Unis. Cependant, il faut nuancer cette popularité en notant qu’elle tient plus à la personnalité du président américain qu’à sa politique : 75% d’Américains trouvent Barack Obama sympathique du fait de ses qualités personnelles. Si on leur demande de juger le bilan politique, ils ne sont plus que 57%. Les Américains attendent de voir les effets des différentes mesures qu’il a déjà prises. Le constat est assez intéressant parce que ce n’était pas le cas de ses prédécesseurs. L’image du président était alors attachée à sa politique.
Afrik.com : Comment évaluent-ils les premières mesures prises par Barack Obama pour juguler la crise ?
François Durpaire : Il n’y a pas encore de résultats à sa politique économique. Les Américains continuent à perdre leurs emplois mais l’opinion publique a confiance en Barack Obama. Son plan de relance de 787 milliards de dollars a été compris par les Américains. Il a initié une politique de « fédéralisme coopératif » : 50 politiques de relance soutenues par l’Etat fédéral. Barack Obama fait ainsi l’inverse de ce qu’avait fait Reagan en 100 jours. Reagan, c’était la révolution conservatrice, du tout à droite. Barack Obama, c’est presque le contraire. Il restaure la place de l’Etat. Cela est moins compris des milieux d’affaires mais le peuple américain, lui, le perçoit. Barack Obama s’est déjà beaucoup investi sur le plan social. Depuis le 20 janvier, 4 millions d’enfants, jusqu’ici exclus de l’assurance santé, en ont désormais une. Il n’a pas encore initié sa grande réforme de la santé mais il est déjà actif dans ce domaine.
Afrik.com : Barack Obama a toujours dit qu’il voulait travailler avec les républicains mais cela semble difficile quand on voit comment ses propositions sont acceuillies au Congrès par ses adversaires politiques…
François Durpaire : Cependant, près d’un quart des Américains à sensibilité républicaine trouvent que c’est un bon président.
Afrik.com : Au bout de 100 jours, quel est le bilan de la politique intérieure d’Obama que l’on compare sur le plan économique à celle de Roosevelt, la crise en moins, où à celle de Johnson quant à son volet social ?
François Durpaire : Un professeur d’histoire de Princeton a délivré un bulletin de notes à Barack Obama. C’est l’exercice habituel aux Etats-Unis en ce qui concerne les 100 jours des locataires de la Maison Blanche. L’appréciation est la suivante : bon élève mais incomplet. Toutefois, 100 jours, c’est une marque artificielle notamment au regard de l’ampleur de la crise économique et sociale. Barack Obama peut faire penser à Lyndon Johnson, notamment dans sa manière de discuter avec les parlementaires. Il le fait actuellement pour préparer sa prochaine réforme sur l’assurance santé qu’il va présenter dans les jours à venir au Congrès. Johnson l’avait fait pour mettre fin à la ségrégation en essayant de convaicre les démocrates ségrégationnistes et les républicains modérés. La comparaison avec Roosevelt s’explique aussi par le fait que le président américain dispose d’une équipe éclectique : des conservateurs en matière fiscale, des progressistes sur le plan social… Barack Obama se donne ainsi la possibilité d’expérimenter et cela peut être utile en période de crise économique et sociale.
Afrik.com : Nous allons maintenant aborder la question de la politique étrangère. Le point le plus saillant est la réconciliation des Etats-Unis avec le monde. On a vu l’accueil qui a été réservé à Barack Obama au G20 et au sommet de l’Otan…
François Durpaire : Soixante-et-un pour cent des Américains lui sont gré d’avoir réussi à améliorer l’image des Etats-Unis à l’étranger. Barack Obama est avant tout un faiseur de relations. Il n’a pas obtenu le plan de relance qu’il aurait souhaité des Européens, même échec quant à un engagement plus soutenu en Afghanistan, mais il parvient à positionner les Etats-Unis dans un rôle de médiateur. Les républicains disent de Barack Obama qu’il cherche à se faire aimer au lieu de se faire respecter. Du côté des démocrates, on estime que c’est l’homme de la situation puisqu’il transforme le leadership américain dans un monde multipolaire. Il opère une « soft diplomaty » : on le voit en Amérique Latine, chasse gardée des Etats-Unis. Il a commencé à changer la politique américaine concernant Cuba. Pour les républicains, Barack Obama affaiblit les Etats-Unis parce qu’il tend la main sans rien obtenir, comme avec l’Iran. Notons néanmoins que sur la question iranienne, il a réussi à faire évoluer l’opinion publique américaine qui est moins hostile aujourd’hui à des discussions avec l’Iran. Cependant, les négociations ne sont pas encore engagées.
Afrik.com : Il avait promis la fermeture de Guantanamo. Deux jours après son arrivée à la Maison Blanche, il signait un décret le prévoyant. Un bon point terni aujourd’hui par la polémique née après la publication de documents qui indiquent que la torture y a été autorisée par l’administration Bush. Qu’en est-il ?
François Durpaire : La polémique qui entoure la publication des mémorandums sur les techniques d’interrogatoire à Guantanamo sous l’administration Bush vient aussi bien des démocrates que des républicains. Ces derniers estiment qu’il affaiblit la politique américaine en matière de lutte contre le terrorisme, qu’il donne la possibilité à Al-Qaida de former des « combattants » capables de résister à ces interrogatoires qui ont, selon eux, fait leurs preuves. Son propre camp lui reproche de refuser que les coupables soient traduits en justice. Un tiers des Américains souhaite qu’il y ait des enquêtes judiciaires suivies de condamnations, le deuxième, des enquêtes judiciaires mais sans condamnation et le dernier tiers est sur la même ligne que les républicains : il ne fallait pas rendre public ces rapports. On arrive aux limites de la politique de changement prônée pendant la campagne. Barack Obama veut tourner la page de l’ère Bush, de cette période douloureuse, mais ni les républicains ni les démocrates ne le souhaitent. Ce qui confirme bien qu’on ne change pas la politique des Etats-Unis en 100 jours.
Afrik.com : Et l’Afrique dans tout ça ?
François Durpaire : Il est vrai qu’il n’y a pas pour l’instant les signes d’une politique africaine à la hauteur des attentes que Barack Obama suscite. Cela tient surtout, à mon avis, au fait que les espoirs placés en lui sont si importants qu’il ne souhaite pas se contenter de symboles. Il est conscient, parce qu’il en discute régulièrement avec sa demi-soeur kenyane Auma, que l’Afrique a besoin de beaucoup plus. La République Démocratique du Congo, un pays auquel il s’est beaucoup intéressé quand il était sénateur, et le Darfour, sont quelques unes des priorités de Barack Obama en Afrique.
Visitez le site Pluricitoyen.com,
le journal de la citoyenneté plurielle, dont François Durpaire est le directeur de publication