Barack Obama incarnera « la promesse américaine » dans la course à la Maison Blanche. Dans un discours-programme, prononcé jeudi à Denver, il a donné les grandes lignes de sa politique sociale et économique et du nouveau visage de l’Amérique sur la scène internationale. Investi par les démocrates pour la présidentielle, le sénateur noir de l’Illinois donne chair au rêve du pasteur King. Au-delà de sa communauté, il semble avoir convaincu un pays lors du dernier jour de la convention démocrate.
Barack Obama est rentré dans l’histoire jeudi soir, à Denver, sur les traces du pasteur Martin Luther King. Le premier Africain-Américain à représenter un grand parti aux élections présidentielles a prononcé son discours d’intronisation le jour du 45e anniversaire du mémorable I have a dream du révérend noir, militant des droits civiques. Dans une allocution d’investiture d’un peu moins d’une heure, le sénateur de l’Illinois a démontré qu’il était capable d’assumer la charge présidentielle. Confirmant ainsi les propos tenus la veille par l’ancien président Bill Clinton. Ce dernier avait déclaré qu’il avait essuyées les mêmes critiques sur son inexpérience et que Barack Obama était prêt pour « le job ».
Le mauvais bilan des républicains appelle au changement
Juste le temps d’un hommage à Hillary Clinton et à son époux, au sénateur Ted Kennedy, son colistier Joseph Biden, à l’« amour de sa vie », Michelle Obama, et à ses enfants, et Barack Obama est entré dans le vif du sujet. « Nous valons mieux que ces dernières huit années », a-t-il déclaré aux plus de 80 000 personnes venues l’écouter à l’Invesco field, le stade des Denver Broncos, et à des milliers d’autres réunis partout aux Etats-Unis ou assis devant leur télévision. Fustigeant le bilan négatif de George Bush et des républicains, il a appelé son camp, les partisans du parti adverse et tous les indépendants à dire « Assez ! » le 4 novembre prochain lors du scrutin présidentiel afin de préserver « la promesse américaine ». Une promesse qu’il a, lui, l’intention de tenir en répondant concrètement aux besoins des plus défavorisés et en allégeant la pression fiscale sur la classe moyenne. Dans son discours- programme, le sénateur de l’Illinois a rappelé pourquoi ce rêve américain était possible : simplement parce qu’il en était l’incarnation, lui le fils d’un Kenyan et d’un Américaine, originaire du Kansas.
« C’est le moment pour eux (les républicains) d’assumer leur échec. C’est le moment pour nous de changer l’Amérique et c’est pour cela que je suis candidat à la présidence des Etats-Unis », a poursuivi Barack Obama. Comment tiendra-t-il ses promesses ? En faisant de la santé pour tous, de l’éducation et de l’économie ses priorités. Le sénateur de l’Illinois, faisant référence au bilan économique positif de Bill Clinton, a réaffirmé que les démocrates pouvaient à leur manière tenir cette fameuse promesse américaine. « La nôtre » est celle qui admet que « le gouvernement ne peut pas résoudre tous nos problèmes, mais peut faire ce que nous ne pouvons pas faire nous-mêmes ».
Santé et éducation pour tous, une économie qui fait la part belle aux initiatives
Au plan social, l’accès à une éducation de qualité et à l’assurance-maladie pour tous, seront les principales préoccupations du futur président Obama. Il entend également modifier les lois sur l’endettement afin de préserver les retraites de ceux qui sont concernés. Barack Obama, comme il l’a déjà affirmé à plusieurs occasions, travaillera à l’égalité du genre : à travail égal, salaire égal pour les hommes et les femmes. Sur des sujets sensibles comme l’avortement, la circulation des armes, le mariage homosexuel ou encore l’immigration, Barack Obama a affirmé qu’il n’était pas question de faire l’unanimité mais de s’entendre sur l’essentiel. « Nous pouvons réduire le nombre de grossesses non désirées dans ce pays », désarmer les criminels, préserver les homosexuels de toute discrimination et empêcher une mère immigrée d’être séparée de son enfant.
Sur le plan économique, Barack Obama, s’il est élu, compte développer une politique fiscale favorable aux salariés et aux petits entrepreneurs. Le sénateur veut récompenser fiscalement les firmes qui créeront des emplois aux Etats-Unis et réduire la charge fiscale de la classe moyenne. Le président Obama s’attellera également à en finir, dans les dix prochaines années, avec la dépendance énergétique des Etats-Unis en matière de pétrole, à développer les énergies renouvelables et aidera les Américains à s’offrir des voitures plus écologiques. Mais d’où viendra l’argent pour financer toutes ces réformes ? Entre autres, d’une chasse au gaspillage et à la duplication, propres à une administration américaine d’un autre siècle, qui a, elle aussi besoin d’être réformée.
Donner un nouveau visage à la diplomatie américaine pour répondre aux défis du 21e siècle
L’effort pour tenir les promesses de l’Amérique sera à la fois collectif et individuel, selon Obama. Cette « force intellectuelle et morale » décrite par John F. Kennedy, est celle qui permettra aux pères, de « prendre leur responsabilités » et de « guider leur progéniture ». Un message qui s’adresse directement aux Africains-Américains. « Responsabilité individuelle et responsabilité mutuelle, telle est l’essence de la promesse américaine ». Cette dernière, parce qu’elle participe même de l’identité de l’Amérique a affirmé le sénateur de l’Illinois, devra transparaître dans sa diplomatie et dans l’organisation de son armée. A l’heure actuelle, cela suppose pour le candidat démocrate une présence renforcée en Afghanistan et un retrait de l’Irak.
« Je mettrai fin à cette guerre en Irak de façon responsable et finirai le combat contre Al-Qaïda et les talibans en Afghanistan », a lancé Barack Obama. « On ne vient pas à bout d’un réseau terroriste qui opère dans 80 pays en occupant l’Irak. On ne protège pas Israël et on ne dissuade pas l’Iran en durcissant le ton à Washington » et on ne peut pas régler le problème géorgien en se prévalant « d’anciennes alliances ». « Je reconstruirai notre armée pour lui permettre de faire face aux futurs conflits ». En matière toujours de politique internationale, Barack Obama devrait aussi faire de la « diplomatie directe » une arme contre les ambitions nucléaires de l’Iran et les agressions russes. Le sénateur de l’Illinois s’est engagé à « construire de nouveaux partenariats » pour faire face « aux menaces du 21e siècle : terrorisme et prolifération nucléaire, pauvreté et génocide, changement climatique et maladies ».
Obama tord le coup aux préjugés qui minent sa campagne
Barack Obama a profité de son discours d’intronisation pour détruire tous les préjugés sur sa personne, véhiculés par le camp McCain. A ses détracteurs, il a fait savoir qu’il était aussi patriote que tout autre Américain. Même s’il n’avait pas le profil type du candidat à la Maison Blanche, le sénateur de l’Illinois s’est dit le témoin d’une Amérique prête au changement, le leitmotiv de sa campagne. « Ce (qu’ils) ne comprennent pas, c’est qu’il n’a jamais été question de moi durant cette élection. Il s’agit de vous », a martelé Obama. « Pendant 18 mois, vous vous êtes levés un par un et dit assez aux politiques du passé ». Le changement, a-t-il résumé, « arrive à Washington » et non « par Washington » : « il arrive parce que les Américains le réclament » et souhaitent un « nouveau leadership ». Pour Barack Obama, ses concitoyens sont à l’aube d’un changement : il s’en est rendu compte tout au long de sa campagne. « La promesse américaine » est plus que jamais d’actualité. Celle qui a conduit, il y a 45 ans, des Américains venus de tout le pays à écouter le révérend King faire part à Washington de son rêve d’une Amérique unie au-delà des clivages raciaux. « Nous ne pouvons pas marcher seuls (…) et nous ne pouvons pas revenir en arrière », a insisté Barack Obama, reprenant les mots de Martin Luther King.
L’ombre du pasteur a plané sur la convention démocrate toute la journée de jeudi. Notamment quand le représentant de l’Etat de Georgie, John Lewis, le seul survivant des instigateurs de la fameuse Marche vers Washignton pour la liberté et le travail du 28 août 1963, est arrivé dans l’après-midi à la tribune. Sa voix, alors qu’il reprenait les phrases du discours I have a dream, rappelait étrangement celle du révérend King. L’émotion née de l’évocation de son combat et de celui de tous les militants pour les droits civiques auront convaincu les derniers sceptiques au sein de la communauté noire américaine. Obama est devenu le porte-drapeau d’une population qui a subi les pires humiliations. Pas seulement dans l’exil forcé de l’esclavage, mais encore aujourd’hui à cause du racisme et de la précarité dans laquelle vivent la majorité des Africains-Américains.
L’homme d’une communauté et d’une nation
Cependant, la candidature de Barack Obama est depuis le début de la campagne au-delà de la question raciale. Berenice King, la benjamine du pasteur King, l’a souligné en introduisant son frère aîné à la tribune de la convention. C’est son caractère, et non sa couleur de peau, qui a déterminé le choix de Barack Obama. Il ne sera pas que le président des Africains-Américains, il sera le président de tous les Américains. Son exercice oral de jeudi s’inscrit dans cette optique. A Denver, Blancs, Noirs, Hispaniques et autres minorités raciales sont venues écouter leur « futur président ». Barack Obama a convaincu d’autant qu’il avait habitué à moins de réalisme et plus d’onirisme. A jour historique, discours exceptionnel. Le sénateur de l’Illinois a été concret d’un bout à l’autre de son allocution tout en affirmant haut et fort qu’il était prêt à débattre de ses positions avec son adversaire républicain.
John McCain, pour contrebalancer l’effet Obama, a dévoilé vendredi le nom de sa colistière : Sarah Palin, 44 ans, gouverneure de l’Alaska depuis 2006. L’inexpérience de la jeune conservatrice fait de cette annonce une pale riposte au séisme Obama. La convention républicaine, qui s’ouvre lundi, s’avère donc capitale pour mener la dernière offensive contre les démocrates dont le champion vient résolument de lancer la vraie campagne présidentielle.