Avec Banlieue Voltaire, Didier Mandin signe son premier roman. Jeune entrepreneur d’origine guadeloupéenne, à la tête de la société de marketing ethnique ak-a et producteur du Tchip Show, le premier sitcom afro-caribéen français, il narre dans son livre une chronique sociale dont l’action se situe dans une banlieue pavillonnaire et multiculturelle de la région parisienne. Il revient, pour Afrik, sur ce roman très ancré dans l’actualité.
Le roman Banlieue Voltaire, publié par les Editions Desnel, raconte à travers le témoignage attendrissant et plein d’humour de Voltaire, narrateur éponyme, la vie de Ludo, un jeune Antillais habitant à Morcy-sur-Marne, une banlieue pavillonnaire de la région parisienne. Il est question ici, à travers cette histoire racontée à une équipe de journalistes désireuse de faire un an d’enquête sur un jeune noir de banlieue qui a réussi brillamment ses études, de mettre en lumière le quotidien d’une bande de banlieusards. Le roman, très drôle, amorce une véritable réflexion sur des sujets d’actualités tels que les religions, la xénophobie, l’envie chez ces jeunes souvent issus de l’immigration, d’aller voir ailleurs. L’auteur, Didier Mandin, est un jeune entrepreneur de 29 ans, créateur avec trois associés d’une agence de marketing ethnique, ak-a, et du premier sitcom afro-caribéen français, Le Tchip Show, diffusé sur le site ak-a.fr. Il signe là son premier roman.
Afrik.com : Comment pourriez-vous résumer votre roman ?
Didier Mandin : Le roman commence avec l’arrivée d’une équipe de journalistes qui désirent faire un papier sur un jeune noir qui a fait de brillantes études. Ils veulent faire un papier sur un an d’enquête pour montrer qu’en France, on peut être noir et réussir. Seulement, Ludo, le héros du roman, refuse d’être le témoin de sa propre vie et il les renvoie à Voltaire, son meilleur ami qui se fait un plaisir de raconter toutes les histoires, aussi bien celles de Ludo que celles de leurs amis et de tous les habitants de Morcy, ville où se déroule l’histoire parce qu’il est très volubile et très content de parler à des journalistes.
Afrik.com : Justement, Voltaire raconte la vie des autres, mais jamais la sienne. A la fin du roman, on se rend compte qu’on a rien appris sur lui…
Didier Mandin : Effectivement, on ne sait pratiquement rien de Voltaire. On ne sait pas s’il est noir comme son copain Ludo. On sait à peu près l’âge qu’il a, mais on ne connaît rien de sa vie, ses parents, son background, etc. Je ne peux pas trop parler de ce personnage car il constitue une piste de lecture offerte au lecteur à qui je donne ainsi l’occasion de se faire sa propre opinion sur ce personnage quelque peu mystérieux, il faut le reconnaître.
Afrik.com : On a souvent l’impression en lisant ce roman que vous vous êtes inspiré des émeutes de novembre 2005 dans les banlieues, en particulier les débats qui ont suivi ces événements, tellement le récit est ancré dans l’actualité…
Didier Mandin : J’ai fini d’écrire le roman deux mois avant le début des émeutes. J’ai été le premier surpris au moment de ces événements, de retrouver tous ces points communs avec le récit de mon roman, notamment le passage où, au cours d’un dialogue entre Ludo et Voltaire, le premier reprend à son compte les paroles d’une chanson des NTM (groupe de rap français) « Qu’est-ce qu’on attend pour foutre le feu », mais surtout le sujet de l’enquête menée par l’équipe de journalistes. Après avoir travailler quelques temps dans la Finance, je me suis associé avec des amis pour créer une société de marketing ethnique, Ak-a. De ce fait, nous étions très sensibles à ces problématiques. Nous avions senti venir les choses car nous lisons beaucoup sur ces sujets dans le cadre de notre activité. J’ai vraiment senti qu’il y avait un problème et qu’il allait arriver quelque chose. La thématique du livre, l’envie de voir ailleurs et d’y tenter sa chance, m’est donc venue naturellement.
Afrik.com : Banlieue Voltaire, c’est donc votre premier roman. Vous n’avez pas eu trop de difficultés à vous faire éditer en tant que jeune auteur ? Comment s’est fait la rencontre avec la maison d’édition ?
Didier Mandin : A vrai dire non. Au départ, je n’avais pas vraiment l’intention de l’envoyer aux maisons d’édition, surtout avec les émeutes qui avaient commencé. J’ai pensé que l’éditeur allait imaginer que je n’avais fait que retranscrire l’actualité. Je l’ai donc laissé de côté. C’est surtout ma famille, notamment ma sœur qui m’a vraiment poussé à tenter ma chance. J’ai donc choisi deux maisons d’éditions, une grande et une plus petite, les Editions Desnel, basée aux Antilles. Et un peu plus d’un mois après je recevais une réponse positive de cette dernière.
Afrik.com : Ce qui frappe aussi dans ce roman c’est la diversité culturelle, le regroupement dans cette petite ville de personnes aux origines multiples mais qui ne se mélangent pas forcément…
Didier Mandin : C’est quelque chose que j’ai effectivement constaté, notamment dans les rapports amoureux où, dès que les choses deviennent sérieuses, c’est-à-dire dès qu’on parle mariage, fiançailles, etc, tout devient bizarrement compliqué. On a ainsi tendance à revenir vers les « valeurs sûres », celles qui vont rassurer la famille pour ne pas avoir d’ennuis. On n’a pas encore dépassé cela, est-ce qu’il faut le dépasser, je ne sais pas. A côté de ça, on remarque tout de même qu’il y a une véritable mixité culturelle et sociale.
Afrik.com : Ce roman était-il un moyen pour vous de revenir sur le débat amorcé depuis plusieurs mois en France sur la représentativité des Noirs, à travers les destins croisés de certains personnages ?
Didier Mandin : Comme je l’ai dit précédemment, le roman a été écrit avant tous ces débats mais il est vrai que c’est une question qui me tient à cœur et qu’il me semblait important d’aborder. A ce propos, je pense qu’il ne s’agit pas d’un problème de représentation mais plutôt de représentativité. On commence à peine à voir des Noirs à la télévision, dans les publicités, les émissions sportives…Mais quel type de Noirs montre-t-on ? S’agit-il d’avocats, de docteurs, de chirurgiens ou des acteurs ? Je pense qu’il est important de voir avant tout, qui on met en avant pour créer des repères chez les jeunes noirs de ce pays. Le résultat est que, comme on ne les voit pas, on a l’impression qu’ils n’existent pas. Si on prend par exemple, la question des acteurs français noirs dans les téléfilms, les chaînes avancent souvent l’excuse des téléspectateurs qui ne seraient pas encore prêts. Comment expliquer alors le succès des films ou séries américaines avec de nombreux acteurs noirs américains ? Je vous parle du cinéma comme je pourrais vous parler de la classe politique. Il y a eu évidemment Christine Taubira qui a été mise en avant à cause de sa loi sur l’esclavage mais après, c’est le désert. Si on cherche les hommes politiques noirs en France, il n’y en a pas. Il en existe sûrement, mais on ne leur donne pas la chance d’être visibles ou d’exister simplement. En ce sens, la représentativité est plus importante que la représentation. Il ne suffit pas d’apercevoir les Noirs et les Arabes à la télévision, il faut regarder aussi dans quelle condition on les voit et comment ils sont perçus.
Afrik.com : Considérez-vous donc que le fait qu’Harry Roselmack ait été nommé au 2Oh de TF1 constitue une avancée considérable ?
Didier Mandin : Quoi qu’on en dise, c’est un fait très important. Ceci dit, il ne s’agit pas d’être dupe, on sait pourquoi TF1 l’a fait. Mais ce qui importe finalement, c’est le talent de Roselmack. Le fait qu’il soit bon dans son domaine et qu’il le prouve fait de lui un modèle à qui des nombreux jeunes noirs ou arabes peuvent désormais se référer. Ils peuvent ainsi continuer à espérer. Malheureusement, il aura fallu que des voitures flambent pour qu’il y ait un tel changement.
Afrik.com : Certains passages du roman pourraient choquer plus d’un, notamment lorsque Voltaire parle des couples mixtes dans les banlieues : « Le Noir est à la mode comme jamais en ce moment. Toutes les filles veulent le leur »…
Didier Mandin : Malheureusement c’est la vérité, je ne l’ai pas inventé. Le roman est certes une fiction mais je me suis beaucoup inspiré de la réalité. Il y a des jeunes femmes blanches aujourd’hui qui veulent leur bébé métis et qui le reconnaissent ouvertement. Le livre est drôle mais en même temps, il y a des choses qui peuvent peut-être choquer certains mais qui sont vraies. Le Noir est à la mode chez certaines filles blanches, c’est un fait. Certaines se surnomment même « filles à black ». Heureusement, à côté de ça, il existe de réelles histoires d’amour.
Afrik.com : Vous vous montrez aussi particulièrement dur envers la communauté antillaise, lorsque vous affirmez dans le roman, qu’elle ne peut se rassembler que pendant le Grand carnaval. N’avez-vous pas peur de vous la mettre à dos ?
Didier Mandin : Pas du tout car il y a également des choses positives qui sont dites sur cette communauté dans le roman. J’essaye de rester objectif dans mon regard. Or, je remarque que, jusqu’à présent, il n’y a eu qu’un seul événement qui a réussi à rassembler toute la communauté antillaise, c’est la Grande marche [du 23 mai 1998] à Paris qui avait réellement mobilisé les gens mais, après ça, les deux grands facteurs de mobilisation, restent le Carnaval et le grand Zouk. Je ne vais me mettre personnes à dos dans la mesure où je sais qu’à côté de ça, il y a des gens qui œuvrent, qui essayent vraiment de faire bouger les choses. Je pense cependant que la mobilisation doit être plus forte quand cela est nécessaire. Il y a des choses positives et négatives concernant cette communauté, il faut être en mesure de les dire. Et il me semble personnellement que la communauté ne se mobilise pas assez pour certains sujets graves.
Afrik.com : Le livre aborde à travers le personnage d’Abdou, la question identitaire chez certains jeunes noirs qui, du fait d’une certaine désillusion sociale, se tournent vers les mouvements extrémistes. Etait-ce important pour vous d’en parler ?
Didier Mandin : Oui car c’est quelque chose que j’ai remarqué sur Internet dans les différentes conversations que j’ai pu avoir sur certains forums. Je sentais qu’il y en avait quelques uns qui passaient à des discours un peu radicaux que je ne comprenais pas vraiment. Avec un peu de recul et d’analyse, j’en arrivais même à me dire que je comprenais leur cheminement intellectuel. Mais je trouve vraiment grave d’en arriver à ces extrémités car il me semble que ce n’est pas une solution en soi. C’est pourquoi le livre tente de faire réfléchir à la fois nos politiques, nos élites et la société en générale sur ces différentes questions. Le roman a été écrit dans cette optique, se questionner sur notre société.
Afrik.com : Vous faites aussi souvent allusion à la vague de départs vers les pays étrangers, souvent anglo-saxons, des jeunes banlieusards issus de l’immigration…
Didier Mandin : C’est la thématique même du roman, le départ. Tous ces jeunes veulent tenter leur chance ailleurs parce qu’ici, ils n’ont aucune perspectives d’avenir. La France ne fait plus rêver depuis un moment. Lorsque tu es jeune et un peu coloré, les perspectives sont bouchées. On remarque certes quelques changements depuis peu, mais c’était vraiment plus difficile pour les générations précédentes. Les pays anglo-saxons sont plus pragmatiques à ce niveau-là.
Afrik.com : Vous abordez également dans le roman la question de la Constitution européenne. Pensez-vous que c’est un sujet qui intéresse beaucoup ces jeunes ?
Didier Mandin : Un moment donné dans le roman, Voltaire interroge Ludo à propos de la citoyenneté européenne. Et ce dernier lui répond : « essayons d’abord de voir ce qui se passe en France, on verra après pour l’Europe ». Nous sommes dans un pays où certains n’ont même pas l’impression d’être vraiment Français, enfin on le leur fait comprendre. Alors la citoyenneté européenne ce n’est pas quelque chose qui leur parle forcément. C’est pourquoi ce débat était amusant dans le cadre du roman.
Commandez Banlieue Voltaire, 171 p, Editions Desnel