La « conférence des peuples de Bandung », à l’initiative de quelques ONG, s’est déroulée ce mercredi à Bamako en commémoration d’un cinquantenaire douloureux. Car les maux qui ont justifié, en 1955, la tenue de la Conférence de Bandung, sont toujours d’actualité, selon les altermondialistes. Ils estiment que la colonisation politique a fait place à la colonisation économique grâce au néolibéralisme.
C’est en prélude au forum social mondial polycentrique de Bamako (19 au 23 janvier), que s’est tenue, ce mercredi, dans le cadre du palais des congrès de la capitale malienne, la « conférence des peuples de Bandung ». Une rencontre, en marge de la grand messe des altermondialistes, organisée par quelques ONG, dont le Forum pour l’Autre Mali (Foram) d’Aminata Traoré, ancien ministre de la Culture et initiatrice du Forum social africain en 2002. L’une des figures de proue de la vie socio-politique malienne a participé au lancement de la conférence. Aux côtés, notamment, de l’économiste égyptien Samir Amin, directeur du Forum du tiers-monde et président du Forum mondial des alternatives, et du directeur du Monde diplomatique, Ignacio Ramonet. Une réflexion commémorative du cinquantenaire de la Conférence de Bandung qui a rassemblé en 1955, à l’initiative de nations nouvellement indépendantes, les pays d’Afrique et d’Asie.
Conférence de Bandung, mouvement altermondialiste : même combat
« Bandung n’est pas un événement du passé dont la page est tournée, explique Samir Amin. C’est une grande leçon donnée au monde entier par les peuples d’Asie et d’Afrique. Bandung est parvenue à imposer, jusqu’à un certain point et pendant un certain temps, au système mondial, un ajustement aux exigences de développement de nos peuples, ‘les Peuples du Sud’ comme on les nomme désormais. Dans ce sens, les défis auxquels ces derniers sont confrontés aujourd’hui en Asie, en Afrique et en Amérique Latine sont de même nature, même si les conditions ont changé. C’est la raison pour laquelle nous tentons, à partir de cette réunion, de contribuer à l’élaboration d’une politique alternative à la mondialisation libérale. » Une plate-forme de réflexion dont Aminata Traoré précise la portée, notamment pour l’Afrique qui accueillera jeudi, pour la première fois, un Forum social mondial.
« Avant (son) ouverture, nous nous devions, 50 après, de nous rappeler que des chefs d’Etat, engagés dans les luttes de libération nationale, s’étaient réunis à l’époque pour achever l’œuvre de décolonisation qui était en cours. Nous savons qu’immédiatement après, les puissances occidentales qui ne l’entendaient pas de cette oreille, ont organisé une politique de déstabilisation qui a coûté cher à chacun de nos pays, à nos leaders politiques. Modibo Keïta (premier chef d’Etat malien, ndlr), Nkrumah (Kwame, chantre du panafricanisme, ndlr) n’ont jamais eu les coudées franches. Aujourd’hui, nous assistons à une véritable recolonisation au nom d’une mondialisation qui se traduit par le pillage et la paupérisation d’une grande majorité des peuples du Sud ».
Persister dans la résistance
« Lorsque les maux que vous combattez demeurent, poursuit-elle, vous avez le droit de persister dans la résistance. Si aujourd’hui, nous peuples du Sud, nous nous retrouvons ici avec des citoyens du Nord, c’est parce nous sommes obligés de faire face à l’ennemi commun : l’expansion d’un capital prédateur et d’une arrogance totale. Ce rouleau compresseur qui a créé la fracture sociale au Nord et qui ouvre les mêmes plaies chez nous. L’Afrique paie particulièrement cher pour les mutations qui sont en cours. Nous devons profiter de la présence de la société civile mondiale pour dire haut et fort que notre continent n’est pas victime de lui-même.» Passer d’une conscience collective à l’émergence d’un acteur collectif est la thématique autour de laquelle s’est construite cette journée de réflexion.
« L’idée, c’est de dire que nous partons de l’existence d’un accord collectif que nous appelons le mouvement social mondial qui s’est constitué peu à peu au cours de ces dix dernières années. Cet acteur collectif reste malgré tout relativement dispersé et mobilisé autour de sujets qui sont très différents en raison même de ses qualités. Diversité, pluralité… des qualités qui sont d’ailleurs à conserver. La question qui se pose est de savoir si la transformation de cette conscience en un acteur aux objectifs communs qui pourraient se traduire, par exemple, par un manifeste ou une déclaration de Bamako est possible ». Pour l’heure, les participants à la rencontre de ce jour, répartis en une dizaine de groupes, se sont penchés tout au long de la journée sur des questions relatives à l’éradication de l’exploitation de la femme, au statut des ressources naturelles ou encore à la démocratie. De quoi nourrir la réflexion des 30 000 autres altermondialistes attendus jeudi à Bamako.