Bakary Soumano est le chef des griots de Bamako. A 66 ans, il veille sur sa communauté et prêche le respect des ancêtres. Histoire d’un intellectuel autodidacte qui cultive l’humilité et la discrétion.
De notre envoyée spéciale
Son arrivée dans une Mercedes vert amande un peu défraîchie ne laisse pas indifférent. On vient l’accoster, lui glisser un mot respectueux, faire allégeance. Dans les rues de Bamako, Bakary Soumano, le chef des griots de la capitale malienne, inspire le respect. Ses mouvements sont mesurés, d’une nonchalance tranquille, à l’image de ses paroles. Tempes grisonnantes et boubou immaculé, il affirme : » On ne devient pas griot. On naît griot « . Insistant : » ce n’est pas un métier mais une fonction sociale « .
Le verbe est clair, l’expression concise, la pensée structurée. Autodidacte, Bakary Soumano est un intellectuel. Il évoque la culture mandingue et révèle certains secrets de la société malienne. » Le ciment de notre société est la notion de » dambé » qui met chacun en compétition symbolique avec son ancêtre éponyme. Demander à quelqu’un si le sang qui coule dans ses veines est le plus pur, c’est l’injure la plus grave au Mali ! Le rôle du griot est donc de faire l’apologie du dambé en toute circonstance « , explique-t-il.
L’humour au service de la paix sociale
» Le bon griot est le gardien des traditions, le garant des coutumes, le dépositaire de la mémoire collective, un rempart contre toute forme d’acculturation. » Grâce à l’action des griots, qui profitent de tous les grands rassemblements (mariages, baptêmes, enterrements…) pour ranimer la mémoire des ancêtres, les Maliens sont imprégnés de cette culture. Pas un enfant qui ne connaisse l’histoire de sa famille, de ses ancêtres, la signification de son nom. Pas un Malien qui ne s’adonne aux » parentés à plaisanterie « , qui lient des clans, ethnies, contrées, corps de métier différents. C’est d’ailleurs cet humour au service de la paix sociale qui a su préserver le Mali des guerres claniques ou ethniques.
Comme tout griot qui se respecte, c’est auprès de son père, lui-même chef des griots durant les quarante dernières années de sa vie, que Bakary a appris la médiation, la conciliation et la négociation. Avec un credo : » transformer en bien tout ce qui est dit de mal « . Désigné par son père, il a été accepté par ses pairs, choisi pour son mérite et coiffant ses aînés au poteau en 1992. Il a alors 56 ans. Depuis, il réunit les griots bamakois – » dont personne ne peut dire le nombre » – une fois par semaine et tente de s’assurer que ces derniers ne s’éloignent pas de la voie tracée par les ancêtres.
15 garçons et 8 filles
Bakary Soumano vit de sa pension de retraite. Plus jeune, il a été employé à la Caisse des allocations familiales, puis inspecteur principal de la Sécurité sociale, et enfin directeur régional de l’Institut national de prévoyance sociale (INPS) de 1963 à 1991. On peut l’entendre aujourd’hui sur certaines ondes bamakoises : il participe à des émissions ponctuelles sur les radios privées, utilisant ce médium pour expliquer la culture malienne à ses compatriotes.
De ses quatre femmes, il a eu quinze garçons et huit filles. » Ce n’est pas par goût prononcé pour les femmes que nous en prenons plusieurs ! » justifie-t-il en riant. » Notre souci est de lier le clan à d’autres clans. La richesse des relations inter-clans fait aussi la richesse de l’homme. Nous avons un adage au Mali qui dit : » Si votre père prend dix femmes, il aura donné à ses enfants dix familles maternelles « . Son premier garçon, âgé de 42 ans, est le chef des jeunes griots du Mali. La relève de Bakary est assurée.
Pour en savoir plus :
» Le mot » griot » vient d’une incompréhension des Occidentaux. Les colons ont comparé le griot malien au crieur public portugais, le criado. Puis ils ont francisé criado en griot « , explique Bakary Soumano.
Les prérogatives du chef des griots sont :
diriger et coordonner la communauté des griots
jouer le rôle d’intermédiaire entre les griots et les pouvoirs politiques et religieux
rassembler et sauvegarder la lignée des griots
renforcer l’humilité. Dans ce cadre, les griots recommandent à leur chef le jour de son investiture : » Dorénavant, même si tu es le plus intelligent, tu seras le plus bête, même si tu es le plus riche, tu seras le plus pauvre, même si tu es le plus beau, tu seras le plus vilain, même si tu sais tout, tu ne sauras plus rien « .
(tiré du guide Le Mali des talents, Cauris éditions)