A l’occasion de sa visite en France, le président de la Chambre Haute algérienne a notamment évoqué les questions de l’audiovisuel et de la démocratie. Boumaza, mythe de l’indépendance et de ses suites, revient en France coiffé de son aura… et d’une agilité intellectuelle à la hauteur de sa réputation.
Les plus hautes autorités de la République française ont réservé un accueil de choix à Bachir Boumaza, président du Conseil de la Nation algérienne, à l’occasion de la visite officielle qu’il a réalisée en France entre le 15 et le 17 mai 2000. Le deuxième personnage de l’Etat algérien a été reçu successivement par le président du Sénat Christian Poncelet, le président de l’Assemblée nationale Raymond Forni, le président du Conseil supérieur de l’Audiovisuel Hervé Bourges, le président de la République Jacques Chirac, le Premier ministre Lionel Jospin et le ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine.
L’ancien dirigeant du Front de Libération Nationale algérien, leader des Algériens emprisonnés en France après son arrestation, et qui avait à ce titre mené plusieurs grèves de la faim pour obtenir l’amélioration de leur régime de détention, avant de s’évader, a ainsi pu ainsi goûter toute l’ironie d’une histoire qui fait désormais de lui un hôte de marque, visiteur officiel, là où il était hier persona non grata…
L’histoire algérienne incarnée dans la vie d’un homme
La venue de Bachir Boumaza en France ne précède que de quelques semaines la visite d’Etat que le président Abdelaziz Bouteflika fera à Paris du 13 au 16 juin. Elle en constitue une sorte de répétition générale. Avec ses différents interlocuteurs, le président du Conseil de la Nation a ainsi pu évoquer les attentes actuelles de l’Algérie et les évolutions en cours. Cette entrée en matière devrait permettre aux rencontres du chef de l’Etat algérien d’être immédiatement productives et efficaces : le terrain sera déblayé pour les relations constructives.
Le président de la Haute Assemblée algérienne condense en lui une bonne part de l’histoire de son pays depuis son indépendance, puisque ministre de Ben Bella puis de Boumediene, il choisit un temps l’exil pour marquer sa désapprobation devant les options prises par le régime du Parti unique après le coup d’Etat du 19 juin 1965…Aujourd’hui à la tête de la seconde Chambre, il tient des propos roboratifs sur la nécessité d’adapter l’Algérie à Internet, ajoutant d’un oeil pétillant : » les sénats sont considérés comme conservateurs, partout. Je voudrais que le Sénat algérien ne soit pas du tout conservateur… Et je me fixe deux chantiers : le Code de la famille, pour instaurer une véritable égalité des sexes, et le Code de l’information, pour ouvrir l’audiovisuel algérien au pluralisme démocratique. «
La liberté plus que la force
Fier que » parmi les pays africains et arabes, l’Algérie soit le pays qui connaisse la plus grande liberté d’expression en presse écrite, avec plus de 100 titres, dont plus de 19 quotidiens en langue française ! « , Bachir Boumaza a conscience du retard pris par le marché audiovisuel et prône une libéralisation du système médiatique, que ce soit en radio ou en télévision. » Ceux qui s’y opposent prétendent protéger leur culture et leur identité, en réalité ils défendent leurs privilèges et leur médiocrité « a-t-il déclaré aux membres du CSA.
Fin lettré, Bachir Boumaza a impressionné plusieurs de ses interlocuteurs par sa connaissance des classiques français, qu’il cite largement, et à bon escient, en renfort de ses démonstrations… Réaffirmant la volonté du gouvernement algérien de progresser vers la démocratie, il a notamment déclaré : » Je voudrais que la démocratie ne soit pas seulement un système de gouvernement, comme il peut en exister d’autres, mais plus encore un élément de notre culture civique « .
Etonnante profession de foi d’un homme qui dit aussi « Tout mon parcours montre bien que je ne suis pas un démocrate… Mais je fais cet effort sur moi-même ! Hervé Bourges avait écrit dans » L’Algérie à l’épreuve du pouvoir » que pour moi « la démocratie était le mariage de la liberté et de la force, en donnant la préférence au second conjoint… » J’ai désormais évolué, je préfère la liberté. » Interrogé sur la question kabyle et sur la place de la langue berbère, il répond adroitement : » il y a bien sûr une place pour le berbère, mais est-ce une langue nationale ? Je vais demander son avis au président Chirac, qui a refusé la recommandation européenne sur les langues régionales… «
Il analyse son rôle à la tête du Conseil de la Nation comme un rôle de régulateur législatif difficile à remplir : » entre le double risque d’être une chambre d’enregistrement et un barrage systématique, je dis que le Sénat doit être une écluse, qui régule les flux… Même si j’ai un peu de mal à faire comprendre le principe de l’écluse dans des pays secs comme ceux du Maghreb « …Et Bachir Boumaza de conclure à nouveau dans un clin d’oeil : » N’est-ce-pas un penseur français qui a écrit : » Lorsque le chemin est difficile, la difficulté devient le chemin ? «