Les chorégraphes Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet se sont alliés au plasticien Antony Gormley pour proposer une lecture contemporaine explosive du vieux mythe biblique de Babel, où l’arrogance des hommes produit la diversité des langues, des croyances et des nations…
La danse comme expression puissante de l »humaine condition », comme aurait dit Montaigne. Tel est le pari réussi de Sidi Larbi Cherkaoui et de ses complices chorégraphes, plasticien, danseurs. Le spectacle présenté pour une semaine à la Grande Halle de La Villette, à Paris, est de nature à réconcilier avec la modernité tous ceux qui peinent à y retrouver l’expression des grands mythes fondateurs des civilisations méditerranéennes.
Explosion fixe
Sidi Larbi Cherkaoui ne nous raconte pas le mythe, il le peint : l’explosion de l’humanité en tribus adverses, les rivalités territoriales, culturelles ou communautaires nées des fractures linguistiques, cette fatalité de guerres et de divisions prend forme sous nos yeux fascinés.
La musique est au coeur de cette explosion fixe où des peuples entiers naissent, apparaissent, disparaissent, sur une scène où se joue avec humour toute l’histoire des Hommes. Chants polyphoniques, chants traditionnels turcs, percussions aux tonalités tantôt asiatiques tantôt africaines : chaque tableau a son rythme, offrant un cadre différent à des danses improbables qui héritent à la fois des figures classiques, des enchaînements du hip hop et des acrobaties du cirque. L’alternance des langues est permanente, leur combat ludique est humoristique, tandis que les corps composent, dans un renouvellement permanent d’inspiration, le lien dynamique entre toutes les cultures traversées.
Une dialectique ludique entre Rupture et mécanique
On reste là, le souffle coupé par les progressives évolutions de l’espace scénique, où s’agencent les grands cadres mobiles conçus par Antony Gormley pour figurer les frontières et les limites qui s’entrecoupent. Les danseurs font accomplir à ces grands parallépipèdes métalliques une sorte de danse lente où l’ordre prévisible et l’équilibre sont fragiles, sans cesse remis en cause et redéfinis par les ruptures qu’y introduisent les hommes, expression de leurs caractères multiples. Ainsi progressivement toutes les classifications sont dispersées, toutes les catégories brisées. Toutes les tentatives, les plus contemporaines, pour discipliner les corps et les rendre pareils à des automates dociles, échouent successivement…
Ensemble
Mais l’histoire de ces échecs est aussi celle de la victoire des hommes sur la fatalité de leur division. « L’humanité a une seule origine, disait Senghor, et nous devons nous en souvenir pour nous unir et non pour nous diviser ». Ce que les acteurs réapprennent, péniblement, c’est un destin humain fait de réconciliation et de coopération, au-delà des malentendus et des mésententes linguistiques. Du métissage naîtra notre unité future. Ce n’est pas forcément facile, mais la suite de l’histoire s’écrit « ensemble ».
NB : Pour tous ceux qui peuvent s’y rendre, « Babel » est à voir d’urgence, jusqu’au 7 juillet, à Paris, à la Grande Halle de La Villette, salle Charlie Parker, tous les jours sauf dimanche 4 juillet à 20h30. (www.villette.com, tel 00 33 1 40 03 75 75 )
Photo : Babel-©-koen-broos.jpg