Babacar Joseph Ndiaye : « Le 10 mai est une grande victoire »


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Boubacar Joseph Ndiaye
Boubacar Joseph Ndiaye

Le 10 mai 2006 marque, en France, la première commémoration de l’esclavage et de la Traite négrière. Babacar Joseph Ndiaye, conservateur de la Maison des esclaves de l’île de Gorée (Sénégal), invité à Paris pour l’événement, nous livre son sentiment sur la question et nous parle de son rôle en tant que gardien de la mémoire.

Conservateur de la Maison des esclaves de l’île de Gorée, Babacar Joseph Ndiaye, 84 ans, est un ardent défenseur de la cause de l’homme noir. Un combat qu’il mène sans relâche depuis plus de 40 ans dans un des hauts lieux de mémoire la traite négrière. Le vieil homme évoque plus de 300 ans de souffrance, d’humiliation, de torture, de déshumanisation et de génocide à l’endroit de 20 millions d’esclaves. Monsieur Ndiaye est actuellement à Paris, invité pour le 10 mai (cette date correspond à la date d’adoption de la loi Taubira, votée le 10 mai 2001, reconnaissant l’esclavage et la Traite négrière comme « un crime contre l’humanité »), première journée française de commémoration de l’esclavage et de la Traite négrière.

Afrik.com : Depuis combien de temps êtes vous en charge dans la Maison des esclaves ?

Babacar Joseph Ndiaye : Officieusement, je suis en charge de la mémoire de la Maison des esclaves depuis 1964. A cette période, j’assurais cette tâche par pur bénévolat. Une tâche que j’occupe officiellement depuis 1967.

Afrik.com : D’où tirez-vous la vocation d’être le gardien de la mémoire de ce sanctuaire ?

Babacar Joseph Ndiaye : Je suis originaire de l’Ile de Gorée et je suis devenu gardien sur un plébiscite général des habitants mais aussi sur une demande du Président de l’époque (Senghor, ndlr). Nomination qui s’est faite à mon retour d’un stage dans les musées des villes de Nantes et Bordeaux (Ecole nationale de Talence).

Afrik.com : Durant votre longue présence dans ce lieu historique, vous avez eu la chance d’être le guide des plus grands de ce monde venus à Gorée. Lesquels de ses visiteurs vous a le plus marqué ?

Babacar Joseph Ndiaye : Chaque visiteur est important à mes yeux, mais la venue de Nelson Mandela et surtout celle du pape Jean Paul II en février 1992, m’a beaucoup touchée car il a demandé pardon à toute l’Afrique. Déclaration de sa part qui m’émeut jusqu’à ce jour.

Afrik.com : Le 10 mai s’annonce désormais comme la date officielle en France de la commémoration de l’abolition de l’esclavage. Est-ce une victoire sur la mémoire universelle de la Traite des Noirs ?

Babacar Joseph Ndiaye : Certainement ! C’est une grande victoire d’un long et inépuisable combat. Si l’on compare l’incomparable crime perpétré contre la nation noire qui a perduré de 1536 à 1848, force est de reconnaître que c’est bel et bien une victoire. Sans entrer dans des comparaisons avec les camps de concentration qui ont une durée de 12 ans. Donc en tant que gardien de cette mémoire douloureuse et meurtrière, je ne peux que me réjouir de cette reconnaissance durement obtenue et de manière officielle. C’est un combat de conservateur que je mènerai jusqu’à mon dernier souffle, car c’est une mission que l’Afrique toute entière m’a confiée, de même que le monde occidental.

Afrik.com : Les Africains et les Antillais pourront-ils, selon vous, pardonner un jour ?

Babacar Joseph Ndiaye : Je pense que oui. Du moins je l’espère, car je ne suis pas dans la coquille de tout le monde. Mais comme j’ai coutume de dire, pardonner mais pas oublier, car cette marque de trois siècles sera et restera indélébile. Certains avancent la participation des Noirs à ce trafic, vendant leurs propres frères africains. Soit. Mais chaque pays a toujours connu des collaborateurs en son sein et la France en est un parfait exemple durant la seconde guerre. Aussi, retenons et acceptons sans pour autant oublier que par cette traite négrière les forces vives de la jeunesse du continent africain ont été arrachées de leur terre au profit de l’Europe, de l’Amérique du Nord. Une traite qui a provoqué un bouleversement démographique indéniable, d’où le retard économique – voire le sous-développement – que connaît notre continent jusqu’à aujourd’hui. On nous a ôté les plus valides d’entre nous pour nous laisser que les plus faibles qui étaient des vieillards et des enfants.

Afrik.com : Le gardien de la mémoire de Gorée que vous êtes a-t-il tout mis en œuvre pour passer le relais à un successeur éventuel ?

Babacar Joseph Ndiaye : Nul n’est irremplaçable dans ce bas monde. Donc j’ai eu la chance de former un jeune du nom d’Eloi Coly durant plus de quatre ans. Ce suppléant me remplace lors de mes absences. La relève à ce poste de gardien oral est concrète mais mon successeur se devra d’être un passionné et qu’il sache parler aux visiteurs avec son cœur.

Afrik.com : Il paraît que conjointement à cette commémoration, vous devriez être reçu par le Président Chirac, à l’Elysée ?

Babacar Joseph Ndiaye : Je ne peux pas vous l’affirmer avec certitude car c’est une nouvelle que j’ai apprise moi-même avant de m’envoler pour Paris. Et cet éventuel rencontre avec monsieur le Président Chirac n’était pas inscrite dans mon agenda de visites. Mais si tel était le cas j’en serais honoré.

Afrik.com : Un livre retraçant vos mémoires publiées auprès de la maison d’édition Lafont doit prochainement sortir. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Babacar Joseph Ndiaye : Le livre, Il fut un jour à Gorée, l’esclavage racontée à nos enfants, est dédié à la jeunesse africaine et au monde, pour éviter qu’un tel crime contre l’humanité ne se renouvelle. C’est un legs à la jeunesse et à la postérité pour une mémoire indélébile. Je souhaite ardemment que ce sanctuaire de Gorée subsiste et que la maison des esclaves soit gardée jalousement par sa jeunesse. Ce livre a aussi pour but d’immortaliser mon combat pour la réhabilitation de l’homme noir, qu’on a privé de ses droits d’être humain pendant plus de 300 ans de souffrance et de torture sans commune mesure. Mon combat se verra à travers ce livre mémoire que je souhaite éternel.

Par Badara Diouf

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