Baba Diarra a marqué la mémoire de bien des Maliens. Dans les années 80, il est en effet devenu une véritable légende, dans son pays mais aussi dans la sous-région, parce qu’il avait le pouvoir d’ingérer des quantités gargantuesques de nourriture. Un pouvoir secret dont les Korodjougas, ethnie à laquelle il appartenait, se serviraient pour se lancer des défis et s’amuser. Le fait que Baba Diarra utilise son don à des fins mercantiles n’aurait pas plu à l’un de ses pairs, qui, pour le punir, lui aurait lancé une attaque mystique pour le priver de ses pouvoirs. Un acte qui l’a conduit à la mort.
Les moutons ivoiriens devaient trembler devant Baba Diarra, comme les sangliers devant Obélix. Car ce Malien à l’appétit spectaculaire pouvait ingérer d’impressionnantes quantités de nourriture, comme le célèbre personnage de bande dessinée d’Uderzo. Dans les années 80, il est devenu un véritable phénomène dans son pays, mais aussi dans la sous-région. Il voyageait en effet régulièrement pour « commercialiser » son pouvoir afin de gagner sa vie. C’est d’ailleurs ce qui a causé sa perte. Car la faculté dont il jouissait n’avait en fait rien d’unique. Mamadou Dicko, un ami de courte date malien, explique que les Korodjougas, l’ethnie à laquelle il appartenait, possèdent le fameux pouvoir et s’en servent pour se lancer des défis à titre ludique. Selon lui, les pairs de Baba Diarra n’ont pas apprécié qu’il dévoile cette pratique, qui doit rester secrète, et qu’il s’enrichisse avec. Il a donc été puni : un soir, il a été victime d’une attaque mystique qui l’a conduit, quelques heures plus tard, à la mort.
« Un mouton à lui seul »
Baba Diarra, qui en dehors de ses exploits mangeait des plats « normaux », fait encore aujourd’hui l’objet de spéculations. « On raconte que, bébé, Baba Diarra buvait déjà de grosses quantités de lait. En grandissant, il aurait eu un appétit toujours bien au-delà de la normale. C’est comme s’il était né avec cette faculté de manger énormément », rapporte Barthélémy Tehin, journaliste à L’Intelligent d’Abidjan, un quotidien ivoirien. Et effectivement, il semble bien être né avec. Paramètre dont Mamadou Dicko n’a eu connaissance qu’après sa mort. « Il ne m’a jamais dit de son vivant qu’il avait un pouvoir. Lorsqu’il est mort, j’ai voulu me renseigner auprès des gens de son ethnie pour comprendre. C’est là que l’on m’a expliqué que les Korodjougas, surtout présents dans les régions de Sikasso et de Koutiala, utilisent ce don pour se lancer des défis, pour voir lequel va manger le plus de nourriture. Ils peuvent alors avaler plusieurs centaines de kilos après avoir récité des paroles ou bu un breuvage spécial. Ou encore, ils portaient un fétiche », rapporte-t-il, en concédant que cette réalité est difficile à toucher du doigt.
Pas étonnant, donc, que de gaillard de plus d’1,80 mètre, originaire de Koutiala, n’ait jamais eu les yeux plus gros que le ventre. L’homme, qui aurait été militaire avant de se lancer dans une carrière de mangeur insatiable, avalait des quantités industrielles de nourriture. « C’était pour lui une profession. Il pouvait manger cinq à six kilos de riz avec de la sauce et de la viande. Il pouvait boire un casier de sucreries (boissons sucrées, ndlr), qui contient 20 bouteilles de un litre, à lui tout seul. Il a même mangé un mouton entier », raconte Barthélémy Tehin. « Il pouvait manger une grosse ‘bassine’ de couscous complet, même sans boire », ajoute Jean-François, un Ivoirien d’une quarantaine d’années.
Il mange seul, mais au final tous les invités sont repus
Cet engloutissement alimentaire se faisait sur demande. Des gens qui voulaient un spectacle chez eux faisaient en effet appel aux services de Baba Diarra, qui n’hésitait pas à se rendre à l’étranger pour se produire. « L’hôte pouvait lui lancer un défi en lui disant : ‘Si tu parviens à tout manger, je te donne ce que tu veux.’ », commente Mamadou Dicko. Et comme il parvenait apparemment à finir à chaque fois, il remportait la cagnotte. « Il recevait alors de l’argent, des cadeaux… D’autres ne lui donnaient rien, estimant que lui donner à manger était largement suffisant. Mais il arrivait à bien vivre de cette activité. Il ne vivait pas dans la luxure, mais il avait tout ce qu’il lui fallait », poursuit le documentaliste de l’hôpital Gabriel Touré de Bamako.
Les invités gratifiaient parfois Baba Diarra d’un petit quelque chose. Pour le remercier de sa prestation, mais aussi de leur avoir rempli le ventre. Car ils assistaient bien souvent le ventre vide à son spectacle et à la fin étaient repus. « Je n’avais rien mangé exprès pour voir si ce que l’on disait était vrai. Et lorsque Baba Diarra a fini son repas, j’avais le sentiment d’avoir mangé, trop même. Je ne pouvais pas boire un verre d’eau tant j’étais rempli, comme les autres personnes de l’assistance d’ailleurs. C’est vraiment un sentiment bizarre », confie Karim Camara, un Malien qui vit en Côte d’Ivoire et qui s’est lié d’amitié avec le « grand mangeur », comme il le surnomme, après l’un de ses shows.
Terrassé par un plat peut-être envoûté
Les performances de Baba Diarra ont suscité l’admiration. « J’étais vraiment impressionnée de voir quelqu’un manger un plat qui aurait pu nourrir dix personnes », commente une employée de la télévision ivoirienne. Il a même été au centre de paris de rue. « Nous pariions sur lui en famille, entre amis, dans le quartier. La plupart le donnait perdant, tant les quantités de nourriture qu’il devait manger étaient énormes. Nous savions qu’il finissait toujours, mais on se disait : ‘Ce coup-ci, il ne pourra pas. ‘ Mais il réussissait à chaque fois », se souvient Barthélémy Tehin.
Tous n’ont pas apprécié de voir Baba Diarra se donner ainsi en spectacle. « C’est une histoire dont je ne veux même pas parler. Je n’apprécie pas ce souvenir. J’ai trouvé ça écœurant de voir un homme s’empiffrer comme ça pour faire du fric », explique, avec une pointe de mépris un animateur ivoirien. Les pairs korodjougas de Baba Diarra n’ont pas aimé non plus. Pour le punir d’avoir usé de son pouvoir pour gagner de l’argent. Un sort lui aurait été jeté.
Un proche de la même ethnie que Baba Diarra, qui a souhaité conserver l’anonymat, a expliqué : « Un Korodjouga mécontent a envoûté un plat que Baba Diarra devait manger lors d’un spectacle pour lequel il avait été invité. Comme d’habitude, beaucoup de nourriture avait été préparée, mais ce soir-là, il n’a même pas pu finir une cuisse de poulet. Et le peu qu’il a mangé l’a rendu malade. Il a alors quitté l’endroit où il se trouvait pour prendre un taxi. Et rentrer chez lui, complètement dépité. Mais une fois arrivé à destination, à Bamako-Coura (un quartier de la capitale malienne, ndlr), il a dit au chauffeur qu’il n’avait pas d’argent pour payer. Le taximan s’est alors énervé et a crié au voleur. Une foule est arrivée et l’a corrigé à mort. Il est décédé avant même d’arriver à l’hôpital Gabriel Touré. » « C’était en 1991 », précise un autre parent du défunt. L’homme est mort à l’aube de ses trente ans, mais son mythe est toujours vivant.