B comme Broderies


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L’apprentissage : B comme Broderies. Un livre sur Internet, sous forme d’abécédaire, pour dire en 100 mots comment la France adopte ses enfants de migrants. Véritable « Lettres persanes » du XXIe siècle, l’initiative de la journaliste/auteur Nadia Khouri-Dagher a séduit Afrik.com qui a décidé de vous offrir deux mots par semaine. A savourer.

De A comme Accent à Z comme Zut, en passant par H comme Hammam ou N comme nostalgie, 100 mots pour un livre : L’apprentissage ou « comment la France adopte ses enfants de migrants ». Une oeuvre que la journaliste/auteur Nadia Khouri-Dagher a choisi de publier d’abord sur Internet. Un abécédaire savoureux qu’Afrik a décidé de distiller en ligne, pour un grand rendez-vous hebdomadaire. Une autre manière d’appréhender la littérature…

B

BRODERIES

Pour Agnès Barbier

A la maison, j’aime porter ma robe bédouine de coton blanc, ornée de broderies multicolores au point de croix, achetée au souk de Damas il y a plus de 20 ans. J’aime aussi porter au poignet une série de bracelets, qui tintillent gaiement à chaque mouvement, comme aiment les porter les femmes de chez moi. Et ces bracelets qui chantent au rythme de mes mouvements, dans une salle de rédaction, un restaurant parisien, ou en faisant le ménage, sont, l’un de mes signes, très conscients, d’appartenance identitaire.

Toutes mes amies d’Orient qui vivent en Occident expriment pareillement leur lien aux origines. Mon amie Yasmina, née de parents kabyles, porte chez elle une robe jaune d’or aux broderies de croquet, robe traditionnelle de Kabylie, elle qui n’y est jamais partie. Mon amie Fanny, franco-tunisienne, porte des t-shirts psychédéliques et des jeans très étroits, au poignet sept fins bracelets d’or ciselés à l’orientale, cadeau de sa grand’mère, et au cou une main de Fatma. Lilia, si critique avec son pays natal, ses restrictions imposées aux femmes, sa norme unique de pensée et de comportement, vous reçoit avec de la vaisselle tunisienne, céramiques de tous les tons de bleus renouvelées chaque été.

De la même façon, dans toutes les maisons d’émigrants d’Orient où j’ai pu entrer, toujours un détail, au moins, rappelle le pays: tapis, table basse de cuivre, verres à thé, sofa. Même mes parents, qui pourtant se disent plus qu’intégrés – Français ! – et qui ont un décor moderne, exhibent une peinture sous verre ottomane, une poupée en costume libanais, et un « Ahlan wa sahlan » – qui veut dire bienvenue – calligraphie arabe de céramique bleue qui vous salue dès le hall d’entrée.

Une robe, un bijou, des objets du quotidien, le décor de son chez-soi, et bien sûr la cuisine, que nous préparons parfois dans nos robes ethniques, et que nous offrons dans les plats de chez nous: c’est nous, les femmes, qui cultivons ainsi, dans nos maisons de France,et d’Occident aussi, un peu de la culture de nos ancêtres. Peut-être parce que nous avons davantage besoin, nous qui transmettons le sang, de nous sentir reliées à une chaîne de vie, lien entre passé et présent. Peut-être parce qu’il nous incombe à nous, depuis la nuit des temps, de transmettre notre culture à nos enfants, quand les hommes avaient le souci du pain à gagner, de batailles à affronter, du progrès à conquérir, du futur à apprivoiser.

En France aussi, et partout dans le monde, nous disent les anthropologues, ce sont les femmes, éprises de décoration, qui perpétuent la mémoire matérielle d’un pays, l’âme d’une culture, la vie de traditions millénaires. Je viens de passer une semaine dans le chalet de montagne d’une amie, Annie. La maison était toute décorée d’objets anciens du patrimoine français: lourdes nappes de lin, petits meubles patinés par le temps, bols de céramique peints à la main, vaisselle ancienne qui parle de cadeaux de noces, cheminée et tomettes.

Les napperons portaient des initiales brodées au point de croix, comme ma robe bédouine, et d’un temps pareillement impossible à fixer. Peut-être objets achetés dans une brocante. Peut-être héritage familial. Peu importe. Comme ma robe bédouine me parle de tentes, de nomadisme, de chameaux, de souks, et d’ancêtres inconnues, ces napperons brodés parlent à Annie de villages verdoyants, de fermes odorantes, de bols de lait fumant – d’un certain art de vivre en France, autrefois.

Les napperons brodés d’Annie, ses meubles anciens, et ses bols de céramique sans âge, c’est comme nos robes ethniques, notre vaisselle du pays, et nos objets d’Orient: une affirmation identitaire, le signe de l’attachement à une culture. C’est-à-dire, comme chez nous, l’expression d’un certain bonheur de vivre passé, que l’on veut continuer à faire vivre au présent. Et faire partager aux amis que l’on reçoit.

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