La candidature de Barack Obama à la Maison blanche, la présidence Sarkozy, l’action des ministres français issus de l’immigration, sa dernière création littéraire… Autant de sujets sur lesquels l’écrivain, sociologue et homme politique français, Azouz Begag, a accepté de s’exprimer sans détour ni langue de bois.
Azouz Begag est, depuis son éviction du gouvernement De Villepin, en avril 2007, sous la pression de l’ancien ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy – actuel président de la République française -, revenu à ses premières amours : l’écriture. Né à Lyon, en 1957, de deux parents immigrés algériens, Azouz Bégag a grandi dans un bidonville de Villeurbanne. Elève brillant, il réussit ses études primaires et secondaires, puis s’inscrit à la fac. En 1984, il intègre le laboratoire d’économie des transports de l’université Lyon 2 où il se spécialise dans la sociologie des transports, en travaillant essentiellement sur « les difficultés des jeunes d’origine maghrébine ». Puis il obtient un doctorat en économie à l’université Lyon 2 sur le thème « L’Immigré et sa ville ». Mais c’est la littérature qui l’a rendu célèbre. Il est l’auteur de plus de 20 livres, dont plusieurs romans s’inspirant de son enfance comme Le Gone du Chaâba ou encore l’hommage rendu à son père dans le livre Le Marteau pique-cœur. Depuis, la fin du mois de septembre, il est aux Etats-Unis, où il a été invité par l’université de UCLA (Los Angeles). Il observe avec la plus grande attention la campagne américaine. Il a accordé une interview à Afrik.com.
Afrik.com : Que pensez-vous de la candidature de Barack Obama aux élections présidentielles américaines ?
Azouz Begag : J’ai été invité par l’université de UCLA pour enseigner et observer, pendant deux mois, les élections, le bouleversement, le grand chambardement qui s’annoncent aux USA et dans les relations internationales. Ces élections sont importantes pour tous les pays où il existe une forte présence migratoire. De plus, l’élection éventuelle de Barack Obama représente une source d’apaisement entre les Etat-Unis et le bloc musulman.
Afrik.com : Pourquoi, de votre point de vue, les Américains ont-ils le choix d’élire un candidat fils d’immigré africain aujourd’hui, et pas les électeurs français ?
Azouz Begag : Les Américains ont une formidable capacité à se transcender. Ce qu’elle voit maintenant avec Barack Obama, c’est un enthousiasme partagé dans le monde entier. Ils ont cette capacité parce que leur société est a-historique, sans histoire, extrêmement flexible, réactive quant aux opportunités à saisir. Et la dernière, c’est Barack Obama. Après les errements de l’administration Bush, Obama représente un renouveau de jeunesse, de couleur, d’optimisme… Un film que j’ai vu récemment me semble symboliser cette évolution. Il s’agit du dernier Batman, qui montre que nous avons changé d’ère. Les Etats-Unis sont prêts à faire la chasse à leurs propres héros. Le personnage de Double Face est intéressant. Sa face lumineuse, c’est Barack Obama… La France, en comparaison, a une très longue histoire. En 1789, les mythes sur laquelle elle base la construction de son identité sont posés : la liberté, l’égalité et l’illusion de fraternité. Nous vivons ici sur des mythes, alors qu’en Amérique ils sont dans le pragmatisme. Les Etats-Unis sont une société en mouvement, alors que la France est une société sclérosée et sclérosante. C’est pourquoi, dans ce pays, on ne vote pas pour un noir ou un arabo-musulman. Notre société est arrivée à bout de souffle. Elle attend, pour 2012, quelqu’un qui avec la douceur, la classe, la culture, la courtoisie, l’intelligence, lui offrira un nouveau futur. Ce n’est pas à coups de pied au cul qu’on fera avancer ce pays. J’aime beaucoup le mot « fraternité ». En 2012, ce sera Dominique de Villepin, Alain Juppé, Bertrand Delanoë… qui incarneront cette valeur de fraternité. Ou peut-être même qu’apparaîtra un Obama en France ! N’oublions pas que l’une des personnalités préférées des Français est Yannick Noah.
Afrik.com : Votre sortie du gouvernent De Villepin, en avril 2007, avait été très mouvementée. Vous aviez des relations très difficiles avec le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy. Est-ce qu’aujourd’hui, un an et demi après, la page a été tournée ?
Azouz Begag : Non, la page n’est pas tournée ! Jusqu’en 2012, la page ne sera pas tournée. J’espère contribuer en tant qu’écrivain, en tant qu’acteur politique, aux actions qui seront déployées pour que la page se tourne. C’est inadmissible qu’un candidat aux élections présidentielles puisse gagner sur la base des idées du Front national (FN), sur la base des images désastreuses des personnes d’autres origines. Je pense à l’émission du 5 février 2007, sur TF1, au cours de laquelle, devant deux millions de téléspectateurs, Nicolas Sarkozy a déclaré : « quand on habite en France, on respecte ses règles. C’est-à-dire qu’on n’est pas polygame, on ne pratique pas l’excision sur ses filles, on n’égorge pas le mouton dans son appartement. » La polygamie, l’excision, les moutons égorgés, trois flèches lancées contre les immigrés. Je trouve inadmissible ces attaques directes contre les Africains et les musulmans. Tous les discours odieux faits en Afrique, cette idée qu’il a eue avec Brice Hortefeux de, soit-disant, défendre l’identité nationale contre toute altération est inadmissible. Il y a une valorisation des idées du FN dans l’intitulé du ministère Hortefeux. Toutes ces choses-là sont de nature à compromettre la notion de fraternité dans notre pays et à promouvoir la haine. Je suis contre l’idée que la fin justifie les moyens.
Afrik.com : Vous restez très remonté contre Nicolas Sarkozy. Pourtant, aujourd’hui, en tant que président de la République, il se pause en héraut de la lutte contre les discriminations raciales et religieuses en France…
Azouz Begag : La fin ne justifie pas les moyens. Comment peut-on, en ayant semé la haine, dire « j’aime les Africains, je vais sévir contre la discrimination que subissent les Africains, les Antillais, les Arabes… » ? Comment peut-on dire tout et son contraire ? Je ne crois pas que par magie, une fois à l’Elysée, on devient un homme pieux et droit. Vous pensez que les pauvres sont plus heureux avec Sarkozy ? Qu’ils croient que leurs conditions de vie seront améliorées ? Tous les électeurs du FN attendent qu’il soit encore plus sévère, plus incisif, qu’il mette tout en œuvre pour « karcheriser » la « racaille ». Trente ans d’instrumentalisation de l’immigré dans la politique occidentale, ça suffit ! Parlons d’économie, de pétrole, des caisses qui sont vides ! Parlons avec des hommes politiques qui prennent le métro, qui savent ce que gagner 1250 euros par mois veut dire ! Malheureusement, ce sont des professionnels de la politique qui sont aux affaires aujourd’hui. Ils maîtrisent la rhétorique, mais ne connaissent pas la réalité des citoyens. Ils ne savent rien faire d’autre que la politique et cherchent par tous les moyens à perpétuer leurs mandats jusqu’à la mort. Je suis contre. Quand on a fait deux mandats, je pense que cela suffit. C’est pour ça que les gens me respectent. Ils savent que si j’avais voulu aller à la soupe, j’aurais pu être encore secrétaire d’Etat ou ministre. Mais j’ai sacrifié ce poste au profit de mes convictions.
Afrik.com : Vous dites que Nicolas Sarkozy surfe sur la vieille peur de l’Autre, pourtant il a fait nommer trois ministres issus de la « diversité » au gouvernement : Rachida Dati, Rama Yade et Fadela Amara.
Azouz Begag :Je ferai remarquer qu’il s’est servi habilement du discours sur la diversité que j’ai développé pendant les deux années où j’étais au gouvernement. Je disais que dans tous les secteurs de la société française, la présence de cette diversité était nécessaire. Il l’a bien compris et repris. J’aimerais cependant attirer votre attention sur le fait que ce sont trois femmes qu’il a choisi, pas d’hommes. Sarkozy et ses amis pensent que c’est par les femmes que viendra l’intégration, au détriment du mâle maghrébin et de la religion musulmane. Ces filles incarnent la « Colinpowellisation » des politiciens issus de la diversité. Rappelez-vous Colin Powell. Comment a-t-il pu accepter, en 2002, de donner des preuves bidon sur les armes de destruction massive en Irak ? Colin Powell est maintenant un homme brisé qui a trahi ses idéaux. Je crains que ces trois femmes, qui sont aujourd’hui dans un gouvernement qui tous les mercredis matin souscrit aux thèses de l’identité nationale de Brice Hortefeux, soient brisées elles aussi. Comment accepter d’être dans le gouvernement d’un pays qui cautionne les tests ADN ? Etre un ministre issu de la diversité, c’est être capable d’aller dans un quartier difficile et être accueilli auprès du peuple. Attendons donc ce qui arrivera à ces femmes quand elles seront sorties du gouvernement et qu’elles marcheront dans les banlieues. J’espère qu’elles ne subiront pas la colère de la population… Quand on n’est plus ministre, les portes se ferment. On n’est plus invité aux dîners de la bonne société. Les médias vous oublient. C’est effarant la connivence qui existe en France entre la politique et des médias ! A TF1, des gens m’ont dit qu’ils avaient reçu l’ordre de ne pas parler de moi. A Europe 1, avec Elkabbash, ça a été encore pire. Sans parler de tous ceux qui ont fait allégeance par anticipation ! J’espère que tous ces gens peuvent encore se regarder en face… Heureusement, je sais écrire, je sais me défendre dans la vie.
Afrik.com : Fadela Amara, la secrétaire d’Etat à la Ville, a élaboré un Plan banlieue, que Nicolas Sarkozy a présenté en février dernier. Que pensez-vous de cette initiative qui entend apporter un mieux êtres aux jeunes, pour la plupart issus de l’immigration, vivant dans ces quartiers défavorisés ?
Azouz Begag : Il n’y a aucune nouveauté par rapport au travail fait depuis dix ans par divers gouvernements. Tous avaient la même priorité : le désenclavement. Mais la grande difficulté à laquelle se trouve confrontée Mme Amara, c’est qu’il ne reste plus un centime dans les caisses. Donc il n’y a pas besoin de s’emballer sur ce plan. De plus, sa position vis-à-vis de sa ministre de tutelle (Christine Boutin, ndlr) est délicate, faite de vexations, de concurrences nuisibles à tout progrès. De toute façon, il n’y a pas d’argent. Il faut espérer que les jeunes en situation difficile iront ailleurs, à l’étranger, pour exprimer leur talent. C’est d’ailleurs ce qui se fait de plus en plus. Il faut espérer que dans dix ans, il y aura une pénurie de main d’œuvre en France et qu’il y aura de nouveau du travail. Mais la situation actuelle est paradoxale à certains égards. Il faut savoir qu’il y a 300 000 emplois non occupés en France, dans l’hôtellerie, le bâtiment… mais de plus en plus souvent, les jeunes de banlieue ne veulent pas les occuper pour ne pas rentrer dans le schéma de marginalisation de leurs parents. Donc on fait appel à des étrangers… Il faut faire des propositions aux jeunes de banlieue, leur apporter des hommes politiques légitimes, qu’ils auront élu. Des élus qui respectent leurs engagements, ce qui est rarement le cas aujourd’hui. Beaucoup ont abandonné la lutte des classes pour la lutte des places. Quand on a reçu un boulot à 7 ou 10 000 euros par mois, c’est difficile de retourner à l’ANPE. Il est nécessaire d’avoir des hommes politiques qui n’ont pas l’appât du gain et qui ont quelque chose à perdre.
Afrik.com : Vous n’avez jamais renoncé à votre passion pour l’écriture. Que nous mijotez-vous ?
Azouz Begag : J’ai terminé un roman qui est une métaphore du monde sociopolitique, avec des hommes, des animaux… Dedans, il y a beaucoup d’éléphants qui ont l’impression de s’être faits tromper, de lapins qui se sont faits carotter, de singes qui se sont faits bananer, d’oies qui se sont faites gaver, et qui en ont marre, et qui espèrent que les choses vont changer. Même les oiseaux en ont marre, parce que l’Etat a créé une police de l’air qui menace leur migration. Ce roman s’appelle La fosse aux ours. J’ai écrit un film aussi. Le cinéma et la littérature sont les deux glaives qui me permettront de me battre et de tenir jusqu’en 2012.