Avoir 20 ans en Algérie, c’est déjà être vieux


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Patrimoine algérien

Dur, dur d’avoir 20 ans à Alger. Chômage, promiscuité, horizons bouchés, Sofiane a perdu ses illusions avant que ses rêves n’éclosent. Il enterre ses espoirs comme d’autres enterrent leur tristesse. Portrait à vif.

« 20 ans en Algérie, c’est vieux. C’est la porte de l’enfer qui s’ouvre. Il faut penser au service militaire (avec la mort au bout, peut-être), le travail introuvable sans piston, à déménager pour nulle part ».

Nerveux, très nerveux Sofiane. Il ne comprend pas qu’un journaliste veuille l’interviewer, lui jeune chômeur diplômé de l’Université d’Alger. « Vous êtes sûr que vous voulez toujours faire mon portrait. Je connais un ami informaticien qui a réussi : il a une voiture et un appartement. Vous êtes sûr que vous voulez continuer l’interview ? ». La question reviendra tout au long de l’entretien. Le doute, toujours le doute.

« Avoir 20 ans, c’est déjà les dépasser. A part écouter le raï, fumer plus de joints, je ne vois pas ce qui me différencie d’un homme de 40 ou 50 ans ». Maigre, moustache fine et cheveux tirés en arrière avec une queue de cheval, Sofiane soigne son apparence. « Le look, c’est important ! Sinon, tu passes pour un djebaïli (montagnard) ». Suprême insulte pour l’Algérois qu’il est. A-t-il une photo pour illustrer l’article ? « Non, mon frère, je ne vous donnerai pas ma photo. Mes copains risquent de voir votre journal au cybercafé ». Toujours l’esprit de quartier, ne jamais se distinguer des autres jeunes. Même s’il est tenté par « la gloire ». « Un journal local a publié une photo de moi quand je jouais dans un club de foot, les copains m’ont charrié pendant des mois ».

Vous voulez toujours m’interviewer ?

Le discours de Sofiane se fissure peu à peu, le macho est torturé par le doute. Confidences. Regarder passer les filles. « J’ai plusieurs fiancées, je ne suis sorti avec aucune d’elle. D’abord, où les emmènerais-je ? Dans ma famille, il est interdit de penser mariage. Ma future femme ne va, tout de même, pas habiter sur le balcon ». Famille nombreuse dans un petit appartement. « J’habite sur mon balcon, pardon sur le balcon de mon père. Je ne me suis pas vu vieillir ». Fuir avant d’être vieux, un rêve usé et reconstruit les yeux ouverts. « Partir ? Pour aller où ? Personne ne voudrait d’un Algérien ! Même les pays de l’Est refusent de me délivrer un visa ».

A sa sortie de l’université, Sofiane vient grossir les rangs de chômeurs. « Je suis économiste de formation, hittiste (jeune adossé au mur toute la journée) par désoeuvrement et biznessman par obligation ». Pour survivre, il achetait de l’or en Syrie et en Turquie qu’il écoulait ensuite sur le marché parallèle. Cette activité lui permettait de voyager et de vivoter pendant quatre à cinq mois. « Les douaniers algériens étaient devenus exigeants et les policiers n’arrêtaient pas de courir derrière nous. C’est devenu trop risqué, alors j’ai cessé tout commerce ».

« Vous êtes sûr que vous allez passer l’article, je ne vois ce que j’ai d’intéressant. Allez interviewer un ministre. Franchement, mon frère, ma vie ne vaut pas une ligne. », conseille Sofiane. Nous ne sommes pas allés voir « un ministre », mon frère. Et nous passons l’article. Il t’est dédié.

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