Orphelin, Judicael aura payé un lourd tribu familial à la guerre. Benjamin d’une famille de cinq enfants, il est le seul à aller à l’école. Un privilège, à quelques jours du bac, auquel il espère bien faire honneur. Son rêve : sortir du pays pour tenter sa chance. Ailleurs ?
Brazzaville, lycée Emiré Patrice Lumumba, 9 heures du matin. Judicael est appuyé contre la rambarde de la cour déserte. Il attend. Seul. Peut être y aura-t-il cours ? Les enseignants sont en grève depuis près de deux mois, mais les examens approchent. Le Bac. Alors il espère. Parce que ce diplôme est pour lui une priorité, son « but avant de faire autre chose ». Quoi ? Il ne sait pas encore. Son rêve : partir tenter sa chance en Europe.
Barbe éparse, visage rond, Judicael promène sur la vie un regard à la fois triste et volontaire. Triste car la guerre lui aura enlevé une partie des siens. Aux premières loges des exactions miliciennes, il aura été témoin du supplice de sa mère et de sa soeur. Un supplice qui est désormais le sien. Au bord des larmes mais avec une extrême pudeur, il évoque son cauchemar : « Avant qu’elles soient tuées, ma maman et ma petite soeur ont été violées devant moi ». Lui, dont le père s’en était allé il y a déjà longtemps, se retrouvait orphelin à 19 ans.
Le privilège de l’école
De sa soeur et de ses trois frères, il est le plus jeune. Il est aussi le seul à aller à l’école. La famille ne roule pas sur l’or, aussi fallait-il faire des choix. Il fut choisi pour étudier. Laissant ses frères au village, il quitte Makoua pour rejoindre Brazzaville. A 600 km de chez lui. Une fierté, un aboutissement : il se prépare à passer son bac D (scientifique). Même si les « conditions de vie sont difficiles », il s’accroche.
Encore que le mot « difficile » ne soit qu’un tendre euphémisme. Sans famille dans la capitale, Judicael se refuse à retourner au village bredouille. Alors il loge chez un ami. Et pour subvenir à ses besoins, il travaille les week-ends, ici et là, juste de quoi ne pas être à la charge de ses hôtes. « Pour vivre, on se débrouille », explique-t-il calmement. « On fait des petits boulots – des coups de main- pour chercher l’argent de la semaine ». Mais loin de s’apitoyer sur son sort, Judicael fait montre d’un allant optimiste et résigné à la fois. « Vous savez, on survit toujours ».
L’Europe ou les Etats-Unis
Il est tenace. Tenace, il l’est aussi pour suivre les cours dans une classe de terminale de soixante élèves. « Les riches vont dans des écoles privées. Les autres, comme moi, croupissent dans les écoles publiques. Dans ma classe, il y a trop d’élèves pagayeurs et désordonnés : c’est le désordre absolu. C’est difficile de suivre mais on tient quand même ».
Toutefois l’école n’est pas vraiment sa planche de salut. Car après son bac, il sait pertinemment qu’il n’aura pas assez d’argent pour continuer en fac. « En réalité, j’aimerais bien faire de la biochimie ou de la physique mais la fac coûte très cher. Il n’y a pas de manuels et vous devez photocopier tous vos cours. Il faut avoir un budget solide pour ça ».
Il s’imagine ailleurs. L’exil. Loin de sa formation initiale, il voudrait travailler en France dans l’hôtellerie. Ou alors aux Etats-Unis, peu importe le métier. Vision idyllique de l’étranger ? Pas vraiment. Plutôt un état d’esprit résolument volontariste. « Partir est toujours une aventure. Si vous êtes aventurier et que vous n’êtes pas optimiste, il n’en restera pas de bonnes choses. De toute façon, on pourra toujours s’adapter. Certains voient Paris comme un paradis, pour moi, ce serait un nouveau départ ».
Partira, partira pas, toujours est-il que pour l’heure, il s’agit de décrocher son bac. Il aura alors toute la vie devant lui pour en faire son petit paradis. Bonne chance à toi Judicael. Et ne lui souhaitons pas courage. Il en a déjà à revendre. Exemple parmi des milliers de la volonté de vivre qui redonne ses couleurs à Brazzaville.
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