Le jeudi 29 mars, le conseil municipal de St Denis (commune de l’Ile de France, située dans le département 93) prenait officiellement la décision de donner le nom d’une future avenue à Amilcar Cabral, héros de la lutte contre la colonisation portugaise en Afrique.
Par Magalie Berges
L’initiative voit le jour dans une ville de la périphérie parisienne, une zone urbaine dense en constante augmentation et dont la population est très métissée. Municipalité représentative de la France du XXI ème siècle, Saint Denis abrite aussi bien un monument emblématique de l’histoire de France –la basilique où sont enterrés les rois de France- que des manifestations célébrant la diversité (Festival de l’Imaginaire, Africolor, Banlieues Bleues…).
Un héros panafricain
Surnommé le Che Guevara de l’Afrique de l’Ouest, Amilcar Cabral s’est battu pour l’indépendance de la Guinée Bissau, du Cap Vert et est allé prêter main forte à ses frères angolais. Il meurt assassiné le 20 janvier 1973 à Conakry (Guinée-Conakry), six mois seulement avant l’indépendance de la Guinée-Bissau.
Tout à la fois homme d’action et de réflexion, Amilcar Cabral a marqué son époque : lors de la lutte pour l’indépendance de la Guinée Bissau, dans les régions aux mains du PAIGC fondé par Cabral (Parti Africain pour l’Indépendance des peuples de Guinée et des îles du Cap-Vert), étaient mises en place des banques alimentaires pour les populations affamées, des écoles, la défense des droits des femmes étaient l’une de priorités….
A côté la lutte armée, Cabral intensifie les initiatives diplomatiques pour faire connaître les revendications des peuples africains face à la colonisation portugaise. En 1972, il obtient qu’une mission de l’Onu soit envoyée sur place. Les conclusions de la commission d’enquête accablent le gouvernement colonial et les dictatures en place, au point que le Nations Unies déclarent le PAIGC « comme véritable et légitime représentant des peuples de la Guinée et du Cap Vert ».
La victoire d’Amilcar Cabral est non seulement celle de David contre Goliath, mais aussi celle d’un humaniste plongé dans la guerre, alors que cet ingénieur agronome né en 1924, en Guinée portugaise, de parents cap-verdiens, rêvait de réforme agraire et d’éducation pour tous, et d’un fervent défenseur d’une Afrique moderne qui se prenne en main elle-même. « Ce qui importe » avait-il l’habitude de dire « ce n’est pas de perdre du temps dans des discussions plus ou moins byzantines sur la spécificité ou la non spécificité des valeurs culturelles africaines », mais « de procéder à l’analyse critique des cultures africaines… face à cette nouvelle étape de l’histoire de l’Afrique… et déterminer, dans le cadre général de la lutte pour le progrès, quelle est la contribution qu’elle a donnée et doit donner, et quels sont les apports qu’elle peut ou doit recevoir (dans le cadre de la civilisation universelle) ».
Banlieue du monde
En rendant hommage à une figure aussi emblématique qu’Amilcar Cabral, ce sont plusieurs strates de population qui sont ainsi saluées par la ville de Saint Denis.
Tout d’abord les cap verdiens et les guinéens, car Amilcar Cabral était né à Bafatá en Guinée-Bissau, de parents cap verdiens. D’ailleurs toute sa vie, il revendiquera cette double appartenance. « Mais au delà des communautés capverdienne et guinéenne, c’est une victoire africaine » souligne Tibô Evora le musicien qui est à l’origine de cette belle initiative.
« J’ai été très peiné de constater le peu de manifestations organisées en la mémoire d’Amilcar Cabral lors du trentième anniversaire de sa mort, raconte Tibô. Alors je suis allé voir Patrick Braouzec, qui était député-maire de la ville et nous avons commencé à réfléchir à une action symbolique pour honorer Cabral. L’idée de donner son nom à une rue ou à une place est venue. Puis Patrick Braouzec est devenu président de Plaine Commune, il a donc dû abandonner son mandat de maire. Son successeur, Didier Paillard, a aimé l’idée et il l’a concrétisée. Du coup, ce n’est plus une rue mais une avenue…. »
Depuis de longues années, Saint Denis soutient de nombreuses actions culturelles venues des diverses minorités qui composent la mosaïque de sa population. C’est pourquoi les organisateurs des futures manifestations liées à cette inauguration ont à coeur d’y associer les habitants. « Nous allons faire des rencontres/débats dans des écoles et des foyer de travailleurs en amont de l’événement, explique Tibô, pour que les gens de Saint Denis sachent qui était Cabral. Et le jour même, nous allons organiser une grande fête populaire, réunissant toute les nationalités, pour bien montrer la dimension universelle. J’espère que les associations portugaises seront là car Amilcar Cabral a toujours affirmé qu’il se battait contre un gouvernement colonial, pas contre le peuple portugais ».
« Je suis vraiment très fier, s’enthousiasme Tibô. Comme tous les capverdiens de ma génération, j’ai été nourri dans l’oeuvre de Cabral le libérateur, l’humaniste mais aussi le poète qui a engagé tout son être dans la lutte des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Une admiration partagée par de nombreux artistes « Quand j’ai appelé Mayra (ndr : Andrade, la star montante du Cap Vert) pour lui annoncer la nouvelle, sourit Tibô, elle était tellement contente qu’elle s’est installée devant son ordinateur pour m’aider à envoyer le communiqué de presse au pays ! ».
Pour en savoir plus sur Amilcar Cabral : http://fr.wikipedia.org/wiki/Amilcar_Cabral