Avec la fin des aides bi et multilatérales il est temps de revoir les stratégies de santé


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Image symbolisant les coupes budgétaires de Trumps sur les systèmes de santé en Afrique

À peine élu – et conformément à ce qu’il avait annoncé dans son programme –, le Président Trump a ordonné l’arrêt des activités de l’USAID au motif que certaines des actions menées par cet organisme n’avaient pas provoqué de retombées économiques pour les USA. Comme tout le monde a pu le constater, la décision du Président Trump n’a pas été sans provoquer des questionnements et des remises en cause dans les pays disposant d’une agence de développement, d’autant qu’il est demandé à la population de ces mêmes pays de faire des sacrifices en raison de difficultés budgétaires. Remise en cause qui, n’en doutons pas, sera de même concernant les programmes des institutions et agences multilatérales.

Il appartient maintenant aux autorités de tutelle d’examiner si les programmes conduits par ces institutions durant les dernières années ont répondu aux besoins réels et non supposés des pays dans lesquelles elles exercent.

L’expérience m’a appris que ce n’est pas toujours le cas. Je pense qu’après concertation avec les autorités locales, celles-ci feront le même constat. Toutefois, ne jetons pas une opprobre globale sur les programmes d’assistance technique financés par les bailleurs bi et multilatéraux. Ceux-ci ne peuvent être menés – du moins en principe – sans une définition préalable faite en concertation avec les autorités du pays.

Cependant, c’est l’occasion pour certains bailleurs de fonds de «glisser» des clauses ou des actions qui relèvent plus de l’idéologie et des instructions venues du siège que des demandes des pays. Ceux-ci auront tendance à accepter ces ajouts afin de bénéficier quand même de l’assistance dont ils ont besoin. Notons que cette pratique ne concerne pas uniquement l’assistance technique au secteur de la santé, mais l’ensemble des secteurs sociaux. Quant aux ONG, il convient de faire une distinction entre elles. Certaines, locales, discrètes et modestes font un travail remarquable en rendant un service centré sur les besoins des communautés où elles sont actives.

À l’inverse, d’autres interviennent dans un pays sans que les autorités n’aient ni donné un accord formel, ni inscrit l’action à venir dans la stratégie et les priorités nationales. Et que dire des situations dans lesquelles ces mêmes ONG se retirent brutalement d’une région sans que la poursuite du programme n’ait été organisée, laissant les populations démunies?

Interrogeons-nous maintenant sur l’impact de la décision du Président Trump sur le secteur de la santé, secteur social par excellence. Trois conséquences directes apparaissent immédiatement :

  • d’abord, l’arrêt de programmes dont nombreux sont, pourtant, indispensables à la santé des populations (vaccinations, programmes mères/enfants, prise en charge des patients dans les zones rurales, formation de personnels soignants) ;
  • ensuite, la mise au chômage immédiate des personnels en charge de faire fonctionner localement ces programmes, laissant ceux-ci sans ressources;
  • enfin, la nécessité pour les États de s’investir dans des programmes non inscrits au budget des États.

À cela s’ajoutent des conséquences indirectes, à savoir, la remise en cause de certaines idéologies prévalant dans les pays occidentaux et la «panique» de celles et ceux qui vivaient de «rentes de situation» depuis des années.

Mais l’essentiel n’est pas là. En effet, comme le souligne l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans son rapport «Gobal spending on health» daté de 2024, « Aid is particularly important in low income countries, accounting for a larger share (31%) of total health spending than domestic public spending (22%)». Ainsi, si l’on se réfère aux données produites par l’Union Africaine (Union Africaine. Tableau de bord de l’Afrique sur le financement national de la santé en 2024 (données 2021)) les dépenses courantes de santé financées par les partenaires de développement variaient en 2021 de moins de 10% (Algérie 1%; Égypte 1%; Maroc 4%; Gabon 4%) à plus de 40% (Zimbabwe 45%; Zambie 49%; Malawi 62%) du total de ces dépenses.

Le second point d’importance est que ces aides provenant de l’extérieure sont majoritairement destinées à la prise en charge de trois pathologies, à savoir le paludisme, la tuberculose et le VIH/SIDA comme le montrent bien les comptes de la santé du Burkina Faso, pays dont les fonds en provenance de l’étranger (et transitant par l’Administration publique) représentaient 13,4% des dépenses totales de santé en 2021 et 15,2% en 2022. La suppression de l’aide extérieure serait donc lourde de conséquences si aucun mécanisme financier de substitution n’était mis en place.

De même le Plan National de Développement de la Santé en Côte d’Ivoire2 2021-2025 souligne que «le niveau de dépendance à l’aide extérieure de certains programmes reste très élevé» et soulève aussi un point capital : «La dépendance excessive vis-à-vis des financements des bailleurs de fonds pour la mise en œuvre d’interventions portant sur des maladies spécifiques menace de manière significative la viabilité du financement de la santé sur le long terme3 ».

Dès lors, une question ne peut plus être éludée: et si les États – ou du moins certains d’entre eux – avaient laissé à des tiers la charge du financement et de la gestion partielle des politiques de santé publique? En effet, soit du fait d’autres priorités budgétaires, soit du fait de situations économiques ou politiques, certains pays donnent l’impression d’avoir «abandonné» celle-ci aux institutions internationales et aux ONG. La situation actuelle est, donc, la conséquence de choix passés qui arrangeaient d’un côté les bailleurs de fonds et les ONG, qui pouvaient ainsi justifier de leur existence, de l’autre des responsables des  États, qui pouvaient utiliser l’argent disponible pour d’autres dépenses.

La disparition de ces aides extérieures impose aux États de mobiliser de nouvelles ressources financières s’ils veulent poursuivre des stratégies de santé publique mises en place dans les années passées. Trois possibilités s’ouvrent à eux: obtenir d’États partenaires (i) une augmentation des fonds alloués, (ii) une augmentation des dotations budgétaires, (iii) l’augmentation de la prise en charge de certaines dépenses par
l’assurance maladie obligatoire. En effet, il est peu concevable de demander aux ménages, qui dans de nombreux pays supportent déjà une part importante des dépenses de santé4 , de participer encore plus à celles-ci. Quant aux dotations en provenance d’États partenaires, cet aspect relève principalement des relations internationales. Son caractère incertain ne permet pas de bâtir une stratégie de santé publique sur le moyen et long terme mais peut constituer une solution sur le court terme.

La solution la plus facile à mettre en œuvre – du moins en théorie –, repose sur des changements d’affectation des dotations budgétaires. Est-ce réaliste? La réponse est plus politique que technique, puisque cela implique obligatoirement de faire des arbitrages budgétaires «douloureux», c’est à dire de réduire d’autres dotations budgétaires. Est-ce acceptable? Probablement pas pour certaines catégories qui bénéficient traditionnellement des largesses des pouvoirs en place. Reste enfin la troisième option, à savoir la prise en charge par les régimes d’assurance maladie obligatoire de nouvelles dépenses. Cette solution se heurte, cependant, à deux obstacles de taille. Le premier est qu’à de rares exceptions près, la mise en place de telles régimes a souvent tardé ou bien ne concerne encore que les salariés des secteurs publics et privés. Le second est que changer la stratégie de prise en charge des dépenses de santé mise en place par ces régimes risque de pénaliser certains patients qui, jusque là étaient bénéficiaires.

Si la recherche de «financements compensatoires» peut s’inscrire dans une approche multiple, dont les résultats obéissent à des tempo différents, il importe que les États, une fois l’urgence passée, s’attellent à la révision de leurs stratégies nationales de santé publique avec la fixation de priorités consensuelles et à la détermination des modes de financement. C’est aussi la nécessité d’accélérer la mise en place de l’assurance maladie obligatoire et l’enrôlement des actifs non salariés au bénéfice de celle-ci.

La décision brutale prise par le Président Trump, avec les risques dans le secteur de la santé qui en découlent pour de nombreux pays, doit être l’occasion pour nombre d’entre eux de réviser leurs politiques nationales de santé qui avaient conduit à une quasi stagnation des dépenses de santé durant les dix dernières années5, comme le souligne justement l’OMS Afrique dans ses derniers rapports. Mais cela ne servira à rien si dans le même temps de nouvelles stratégies nationales de santé publique ne sont pas définies et mises en place.

Aux gouvernements en place d’en décider et d’inscrire (enfin) la santé comme une priorité nationale.

2 Document qui confirme l’importance de l’aide extérieure en matière de financement des trois pathologies déjà indiquées: «les ressources des partenaires représentent par exemple 78,24% du financement de la santé en matière de VIH et autres IST, 85,73% pour la tuberculose, 41,5 % pour le Programme Élargi de Vaccination et 10,41% pour le paludisme».

3 Ce cri d’alarme avait déjà été lancé par Le Dr Nkechi Olalere et Mme Agnes Gatome-Munyua suite à la Déclaration d’Abuja de 2001 de l’Union africaine sur le financement des budgets nationaux de santé dans un article d’ Afrique Renouveau d’octobre 2020 intitulé: «Financement public de la santé en Afrique : 15 % d’un éléphant n’est pas 15 % d’un poulet» dans lequel les auteurs relevaient que «l’aide au développement dans le domaine de la santé a évincé les ressources gouvernementales et créé une dépendance à l’égard des donateurs – ce qui complique la transition des pays dont le financement par les donateurs est en baisse et dont les plans pour compenser ce changement de ressources sont inadéquats».

4 Suivant le rapport de l’OMS Afrique «Towards universal health coverage in the WHO African Region» en date de 2024 «In countries of the WHO African Region, out-of-pocket (OOP) payments are a significant source of funding for health. In 2019, OOP payments, also known as OOP health spending, accounted for over 25% of current health spending in 31 countries. In 11 countries, OOP health spending exceeded 50% of current health spending, while in three others, the share exceeded 70%. Low- and lower-middle-income countries rely much more on this type of spending within the Region».

5 WHO Africa Region / Health Expenditure Atlas 2023 : « Since 2012, levels of current health expenditure (CHE) as a share of gross domestic product (GDP) have remained stable, ranging from 5.1% to 5.5% on average ».

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LIRE LA BIO
Après avoir passé plusieurs années au Cabinet du Ministre de l’Économie et des Finances de Côte d’Ivoire, puis avoir dirigé une importante mutuelle santé en France, Pierre Auffret intervient comme consultant indépendant depuis plusieurs décennies dans le secteur du financement de la santé et de la mise en place et du fonctionnement de l’assurance santé. Il a effectué de nombreuses missions sur le continent africain: Burkina Faso, Cameroun, Cap Vert, Côte d’Ivoire, Égypte, Gabon, Maroc, Mauritius, Rwanda, São Tomé & Principe, Togo, Tunisie. Il est l’auteur de nombreux articles concernant la santé en Afrique et de deux livres: - «Maroc: la couverture médicale de base, deux décennies de réformes» aux Éditions MA – ESKA - «Gros profits sur la lagune Ebrié» (Thriller) aux Éditions du Net.
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