Tout observateur averti de la vie politique éthiopienne savait, avant son déclenchement, que la guerre entre les troupes fédérales éthiopiennes et les forces régionales tigréennes n’allait pas être facile. Finalement, les prévisions n’ont pas manqué de se réaliser. Huit mois après les victoires de l’armée éthiopienne qui a réussi à refouler dans les montagnes les dirigeants du Tigré, la situation se renverse totalement en faveur de ces derniers. Non seulement, les Tigréens ont réussi à reprendre leur capitale et la plus grande partie de leur région depuis lundi, mais ils menacent de marcher sur Addis-Abeba et même Asmara au besoin. De quoi craindre le pire.
Lundi dernier, les forces de défense du Tigré (TDF, en anglais) ont fait une entrée triomphale dans la capitale régionale, Mekele, derrière les troupes du gouvernement fédéral et l’administration intérimaire qui ont vite fait de décamper. Au grand bonheur des populations locales qui n’ont d’ailleurs pas fait mystère de leur joie débordante. A Mekele, les forces du TPLF ont été accueillies en libérateurs. Et depuis, la progression continue tant vers le Sud que vers le Nord de Mekele. Au Sud, les localités de Mehoni et Maychew sont à nouveau dans le giron du TPLF. Au Nord, les villes de Shire, Adoua et Aksoum sont reprises, selon plusieurs sources. Mais les TDF n’entendent pas s’arrêter là. « Nous ferons tout ce que nous pourrons pour sécuriser le Tigré. Si marcher sur Asmara et Addis-Abeba est nécessaire, nous le ferons », a déclaré mardi soir Getachew Reda, un porte-parole du TPLF, avant d’ajouter que « toutes les options étaient sur la table ».
Cette position des leaders du TPLF est confirmée par Kjetil Tronvoll, chercheur en études sur la paix et les conflits, spécialiste de l’Érythrée, de l’Éthiopie et de Zanzibar, à l’université de Bjorkness à Oslo, au micro de RFI : « Premièrement, l’objectif immédiat est de libérer l’ensemble du territoire tigréen. Deuxièmement, d’obtenir des garanties que l’armée éthiopienne, érythréenne ou les milices amharas ne menaceront plus jamais la sécurité et la stabilité du Tigré. Et puis aussi toutes sortes de mécanismes d’identification des responsabilités et de réparations, des mesures techniques en quelque sorte… Quant à l’objectif politique, il est clair que la « guerre de résistance » qui a démarré en novembre s’est transformée en guerre d’indépendance. Il n’y a pas de doute à ce sujet ».
Du cessez-le-feu d’Addis-Abeba, le TPLF n’en a cure. Pour les Tigréens, il s’agit ni plus ni moins d’une « blague ». D’ailleurs, après sa publication, les anciennes autorités tigréennes revenues à Mekele, ont elles aussi publié, dans la nuit du lundi au mardi, un communiqué dans lequel elles appellent le peuple et l’armée tigréens « à intensifier leur lutte jusqu’à ce que nos ennemis quittent complètement le Tigré ».
Les vieux démons de la sécession, qui ont depuis longtemps jalonné l’histoire moderne de l’Éthiopie marquée par des affrontements entre groupes ethniques, semblent ressuscités. La détermination des dirigeants tigréens fait craindre le pire. Quelles cartes peut désormais abattre le régime d’Addis-Abeba pour désamorcer la crise et permettre le retour de la paix ? Là est toute la question.