Coutumes antéislamiques, des cérémonies et des rituels très anciens rythment la vie des habitants du Maghreb. Elles rassemblent la communauté et expient le mal et la souffrance, invitent à la danse et à la joie. Ces rites ancestraux ont épousé l’islam. Un parcours initiatique qui défie le temps.
Déchaussez-vous, relâchez-vous, et laissez-vous enivrer par les parfums de l’encens et le rythme percutant du bendir. Dansez ! Dansez jusqu’à expier le mal et exorciser la peur ou la douleur. Henné, encens, chants et youyous invitent jusqu’ à la transe. Le coeur est enfin plus léger. Le miracle est à moitié accompli. Lieux de paix et de recueillement. D’antiques minarets surplombent les plaines, des tombeaux de marabouts trônent sur les collines et dominent des villages. C’est la sainte Algérie, cultuelle, mystique ou superstitieuse.
Au Maghreb, le paganisme est le plus ancien mode d’appréhension du sacré ou du divin. Il utilise des médiations purement naturelles : pierres élevées, sources d’eau, arbres. Ces pratiques anciennes survivent en symbiose avec l’islam, qui, sans les effacer, leur a attribué un véritable statut religieux et les a reconnues comme un facteur de cohésion sociale. Ce sont les confréries religieuses qui structurent ainsi le rite ancien en lui donnant un statut social élevé.
Rites sacrés et villages
Chaque village possède son saint marabout. Le marabout est le représentant reconnu de l’institution religieuse locale. Sidi Abderahmane protège la Casbah d’Alger, Sidi Boumediene protège Tlemcen, Sidi El Houari est le saint patron d’Oran, tandis que Sidi Hmeïda protège Annaba et que Sidi M’âamer, Jedi Menguelatt ou Yemma Gouraya veillent sur la Kabylie. Ces saints marabouts sont des hommes et parfois des femmes sages du village. Ils sont reconnus pour leur piété et leur sens de la justice. C’est à eux qu’on s’adresse pour rendre justice en cas de conflit avec les autres membres de la tribu ou entre tribus voisines.
Leur pierre tombale est mythifiée. On y revient pour faire des voeux : pour marier une jeune fille, demander secours en cas de détresse ou de maladie. Des offrandes symboliques sont apportées au mausolée, quand le voeu est exhaussé. Il s’agit alors d’une oua’adâ, c’est-à-dire d’une gratification symbolisée par des offrandes : obole et pièce d’étoffe pour recouvrir le tombeau, bougies. Un repas est souvent partagé par tous dans une ambiance conviviale. Les habitants honorent les saints par des chants et des louanges. A ces occasions, ils chantent Dieu et son prophète avec amour, poésie et passion, dans une relation mêlant le sacré et le profane.
Coutumes ancestrales
Tous les ans, au commencement de la canicule, les Berbères de Zouara (petit village situé sur la côte, à l’ouest de Tripoli) célèbrent une fête très ancienne appelée Awussu. La fête a avant tout pour but d’éloigner du corps et de l’âme toutes sortes de dommages et de sortilèges, ainsi que d’obtenir la bénignité des forces naturelles et de gagner les bonnes grâces de la divinité qui les règle. La mer est en elle-même dépositaire de nombreuses vertus spéciales et dispensatrice d’influences favorables pour le corps, puisqu’elle protège des maladies et démons ( » djin « ) qui craignent l’eau salée. Dans la conscience populaire, c’est l’antidote de toute affection physique et spirituelle.
En Kabylie, la jeune mariée jette des fèves à la fontaine avant de puiser de l’eau pour la première fois, sept jours après les noces. A Annaba, les jeunes filles à marier obéissent à un rituel très ancien qui consiste à faire ses ablutions avant de se laisser purifier par sept vagues marines successives, avec la bénédiction des gardiens des lieux.
Paganisme et islam
Sociologiquement le sentiment d’appartenance au groupe est l’une des caractéristiques fondamentales de l’Afrique du Nord. Les confréries se prêtent bien à ce rôle communautaire. Et, comme l’eau a tendance à prendre la couleur du récipient qui la contient, l’islam épouse certaines pratiques sociales déjà existantes. Mieux, il les entérine. Le fameux gris-gris » africain » se fabrique, avec l’islamisation progressive, en y ajoutant des versets coraniques. Il y a, aujourd’hui, des marabouts qui expliquent que c’est pour répondre au besoin du musulman de se protéger par la parole de Dieu. Ils soutiennent ainsi qu’à défaut de pouvoir les réciter en arabe, les analphabètes peuvent les attacher autour de la taille.
Si les conquérants du Maghreb (successivement Carthaginois, Romains, Vandales, Byzantins, Turcs et Français…), dont la présence a duré des siècles, ont laissé des traces, ils n’ont pas marqué très profondément la culture et la société autochtone. Si l’arabisation est restée incomplète, l’islam s’est imposé comme religion et comme culture, en épousant les formes les plus primitives des coutumes locales.
Tradition pérenne ?
Les sociétés maghrébines concilient ainsi d’une manière qui leur est propre, l’attachement à la tradition ancestrale et à l’islam. Ce dernier s’est fait accepter aussi par la voie du soufisme, dont la forte connotation mystique offre à des Africains avides de symboles, un cadre religieux adapté à leur milieu originel. Les confréries et leurs marabouts, au-delà de leur rôle purement religieux, sont impliqués dans tous les domaines de la vie sociale, économique et politique. Les Maghrébins, dans leur immense majorité, perpétuent une tradition millénaire, de génération en génération, rempart de leur identité remuée.