Aux origines de l’échec du Made in Nigeria


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Depuis fin août la frontière entre le Bénin et le Nigéria est fermée sur décision du Nigeria. Les raisons : lutter contre la contrebande et protéger l’économie locale du Nigeria. Le « Made in Nigeria » est-il vraiment possible ?

Dans son article Mauriac Ahouangansi analyse le choix des autorités nigérianes et constate que déjà, en ce qui concerne le riz, le Nigeria n’est pas autosuffisant et dépend aussi des importations du Bénin. Le premier effet a donc été une augmentation faramineuse du prix du riz ! L’auteur fait alors des propositions plus constructives que ces mesures protectionnistes qui s’avèrent plus contreproductives qu’autre chose.

Depuis le 20 août 2019, le Nigeria a fermé ses frontières avec le Bénin au motif d’une lutte contre la contrebande et d’un développement de l’économie locale. Les autorités nigérianes ont particulièrement mis l’accent sur l’interdiction d’entrée des produits alimentaires comme le riz, la viande et les abats congelés venant du Bénin. Cette mesure protectionniste sur les produits agricoles, peut-elle lutter efficacement contre la contrebande et favoriser l’essor du « made in Nigeria » ?

Des effets contre-productifs

Le Nigéria est le deuxième importateur de riz au monde après la Chine. Cette position d’importateur est essentiellement due à l’insuffisance de sa production locale par rapport aux besoins du marché. Dans ces conditions, la fermeture des frontières du Nigéria avec ses voisins est un non-sens, et elle ne peut qu’entraîner une pénurie et par conséquent une flambée du prix du riz. D’ailleurs, celui-ci a déjà plus que doublé, passant de 9 000 nairas (22 euros) pour un sac de 50 kg à 22 0000 nairas (55 euros), dépassant ainsi le salaire minimum qui est à 18 000 nairas. C’est exactement l’inverse de l’effet escompté car tout simplement l’on bafoue la loi de l’offre et de la demande qui régit le marché. La production locale, que le gouvernement prétend protéger par cette mesure, est pénalisée car la fermeture des frontières nigérianes prive les entreprises nigérianes de l’accès à des intrants mais aussi des produits intermédiaires bon marché, ce qui érode leur compétitivité. A titre d’illustration, l’usine de transformation de tomates mise en service par Aliko Dangoté s’est retrouvée privée de matières premières faute de pouvoir importer les tomates produites au Bénin et au Togo. De même, les usines de fabrication de jus de fruits sont privées des fruits cultivés au Bénin, notamment l’ananas.

Enfin, le gouvernement nigérian oublie que pour stimuler la production locale, la concurrence est une formidable incitation pour que les entreprises, qui permet de rationaliser leurs coûts, améliorer les services offerts, mais aussi innover. Pour rappel, si les produits nigérians sont boudés c’est parce qu’ils sont plus chers et de médiocre qualité. Dès lors, même en les protégeant de la concurrence étrangère, ils seront toujours boudés, ce qui signifie que le gouvernement ne fera que développer le marché noir et la contrebande. L’ensemble de ces effets contre productifs de la fermeture des frontières oblige à recourir à une meilleure thérapie en recherchant les vraies racines des problèmes que le gouvernement nigérian veut résoudre.

Améliorer la compétitivité des produits nigérians

Officiellement première puissance économique africaine par son Produit Intérieur Brut de 384 milliards de Dollars, le Nigéria présente néanmoins une faible compétitivité en raison de plusieurs dysfonctionnements. Sur le plan foncier, par exemple c’est très cher, puisque les exploitants agricoles rencontrent des difficultés de formalisation qui représentent un coût supplémentaire dans la chaîne de production rendant leurs produits plus coûteux. Selon l’indice de transfert de propriété du classement Doing business 2019,il faut débourser 11,1 % de la valeur du bien et une procédure de 105 jours, contre des moyennes respectives de 7,6% et de 53,9 jours dans en Afrique subsaharienne. De même, la nationalisation des terres agricoles ne favorise guère les investissements à long terme car la notion de propriété n’est pas respectée. Cela handicape donc le financement des moyens de production nécessaires pour améliorer les rendements, atteindre un rapport qualité-prix optimal et donc être compétitif sur le marché.

Même si le Nigéria jouit globalement de bonnes conditions d’accès au crédit, cette réalité n’est pas valable dans le monde rural ou les producteurs agricoles ont de sérieux problèmes d’accès au crédit. En effet, le financement de l’agriculture qui n’est accessible que dans les banques, nécessite des démarches de formalisation qui rendent l’accès au crédit trop cher (taux d’intérêt, garanties). Mais cette cherté réside aussi dans le manque de concurrence entre les banques qui parfois proposent des taux incompatibles avec le niveau de revenus des exploitations agricoles.

Lutter contre l’insécurité et la corruption

D’autres coûts, moins évoquées mais à impacts directs sur la production agricole au Nigéria et sur l’économie en général et sur la production de viande en particulier, sont dus à l’insécurité. En effet les conflits entre agriculteurs et éleveurs ont fait en 2018, plus de 1300 morts et plus de 300.000 déplacés selon les chiffres officiels. Ces conflits ont limité dans les Etats du Nord les campagnes de semis, la production de viande et la pêche ; ce qui au final se répercute sur la production nationale qui est insuffisante, chère et peu compétitive. L’aggravation de cette situation a d’ailleurs amené le Fond des Nations Unies pour l’alimentation (FAO) à intervenir au Nord Nigéria pour lutter contre l’insécurité alimentaire.

De même, la corruption est presque endémique et handicape profondément les efforts pour impulser l’économie. Cette corruption est encore plus prononcée au niveau des frontières où les agents de contrôles laissent entrer et sortir des produits de contrebandes tels que l’essence, le riz et bien d’autres contre des pots-de-vin. D’ailleurs, sur l’Indice de Perception de Corruption de Transparency International 2018, le Nigéria est 144ème sur 180 pays pris en compte dans le classement. Cette corruption se manifeste également par le détournement fréquent des subventions agricoles. Une situation qui devrait amener le gouvernement à libéraliser le secteur agricole notamment la livraison des intrants et procéder à un audit des exercices précédents pour punir les responsables de malversations. Enfin, les coûts institutionnels (coût de conformité avec les lois et les réglementations) devraient être revus à la baisse en simplifiant et allégeant les procédures et les règles du jeu, notamment en misant sur la dématérialisation et l’administration électronique.

Au final, si le gouvernement peut imposer la fermeture de frontières, il ne peut pas imposer aux Nigérians d’acheter le riz local. La fermeture des frontières est une mesure protectionniste contre-productive qui ne règle pas les vraies entraves à l’essor de la compétitivité des produits nigérians. Les mesures prises dans ce sens doivent donc améliorer l’accès au foncier, au crédit ainsi que la sécurité, mais aussi réduire les coûts bureaucratiques avec une attention particulière à la lutte contre la corruption.

Par Mauriac Ahouangansi, doctorant-chercheur béninois, le 21 octobre 2019

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