Le quotidien des Djiboutiennes s’est considérablement amélioré ces dernières années. Le gouvernement et les associations s’attachent à promouvoir l’image d’une femme forte et indépendante. Les victoires sont nombreuses, même si la guerre n’est pas encore gagnée. Tour d’horizon.
Les Djiboutiennes vivent mieux. Le gouvernement du Président Guelleh multiplie les politiques pour promouvoir leur place au sein de la société. Deux lois fraîchement votées marquent la volonté de se détacher de certaines traditions. Les femmes djiboutiennes pourront désormais avoir la garde des enfants en cas de séparation et stipuler par lettre si elles acceptent que leur mari prenne une seconde épouse. Il y a quatre ans, le chef de l’Etat créait l’événement en instituant le ministère de la Promotion de la Femme, du Bien-être Familial et des Affaires Sociales.
Les Djiboutiennes constituent un pilier de l’économie. Elles travaillent dur pour subvenir aux besoins de leur famille. Une tâche d’autant plus lourde que le nombre de familles monoparentales ne cesse de d’augmenter. L’un des facteurs qui explique ce phénomène est la désertion du foyer par le conjoint. Par manque d’enseignement ou de formation, certaines s’adonnent à des activités informelles. Il s’agit principalement de la confection d’objets ou de vêtements qu’elles revendront ensuite sur le marché. Mais il est une autre activité qui séduit beaucoup : l’agriculture. « Le phénomène a commencé il y a dix ans. Le rendement des cultures est plus conséquent que celui des travaux artisanaux », estime Bourhan Daoud, Secrétaire général de l’Assemblée nationale.
Femmes actives
Pour soutenir leurs activités commerciales, des sociétés de micro-crédits donnent un coup de pouce. Le Fonds social du développement (FSD) a été mis sur pied en 1999. Conditions à remplir pour accéder au prêt : être démunie mais pratiquer une activité commerciale. Après vérification par l’organisme de la situation déclarée, la demandeuse doit trouver quatre ou cinq femmes se portant caution. La somme d’argent est ensuite allouée et sera remboursée sur plusieurs mois avec un taux d’intérêt de 16%. Il n’existe aucune étude pour mesurer l’impact du FSD. Toutefois, « le niveau de vie de nos clientes s’est considérablement amélioré. Cela se ressent sur l’accès aux soins, à l’éducation dont elles bénéficient et la qualité des habitations », assure Houssein Ismail Aden, directeur général du FSD.
En ce qui concerne les femmes éduquées, elles s’imposent à des postes aux profils variés. « Les Djiboutiennes sont avocates, médecins, magistrats ou chefs d’entreprise. Certaines ont de lourdes responsabilités dans les entreprises publiques », énumère Bourhan Daoud. Selon lui, les femmes ne font pas l’objet de discrimination sur leur lieu de travail. Il reconnaît tout de même que les places de Secrétaire général restent l’apanage des hommes.
Défense des droits de la Femme
Les femmes sont aussi sous-représentées en politique. Le droit de vote leur a été accordé en 1947. Bien avant la plupart des pays africain et certains pays européens. En revanche, le droit d’éligibilité n’a été voté qu’en 1986. Une nouvelle donne a poussé les femmes sur le devant de la scène. L’ancienne colonie française a voté l’an dernier un texte qui oblige les partis à introduire un quota de femmes sur leurs listes. Résultat : aux élections législatives de janvier 2003, cinq femmes ont été élues dans la circonscription de Djibouti. Sept siègent au parlement. Un timide début. Mais les politiciens ont compris qu’elles constituaient un atout de poids. Elles le prouvent en s’imposant avec force lors des débats au parlement. Leur principal combat : promouvoir le droit des femmes.
A commencer par le droit à l’éducation. L’enseignement a été déclaré obligatoire jusqu’à 16 ans en l’an 2000. Une mesure plus qu’opportune. Le taux d’illettrisme s’élève à 62% chez les femmes âgées de 15 à 24 ans, contre 38% chez les hommes. Une situation due en grande partie au fait que les parents préfèrent envoyer les garçons en classe. Un problème qui recule dans les villes, mais reste tenace dans les régions plus reculées. Pourtant, la gent féminine a envie d’apprendre. Elle se rend volontiers dans des association proposant des cours d’alphabétisation. Envie d’apprendre, et besoin aussi. « L’analphabétisme est un handicap dans la vie quotidienne, pour des choses aussi importantes que de lire l’ordonnance du médecin », confie Saïda Aboubaker, présidente de l’association Solidarité féminine.
La lutte contre l’excision [[<1> L’excision est essentiellement pratiquée en Afrique sub-saharienne. Elle consiste en l’ablation totale ou partielle du clitoris et d’une partie des petites lèvres]] et l’infibulation [[<2>L’infibulation est la forme la plus extrême de l’excision. Elle est surtout pratiquée dans la corne de l’Afrique. Elle consiste en la suppression du clitoris, des petites et des grandes lèvres. La vulve est pratiquement fermée et laisse une petite ouverture pour l’écoulement des règles et de l’urine]] est aussi sur la bonne voie. Hawa Ahmed Youssouf, ministre-déléguée à la Promotion de la Femme, du Bien-être Familial et des Affaires Sociales, a mis un point d’honneur à faire respecter la loi interdisant la pratique des mutilations génitales féminines (MGF) votée il y a six ans. Une campagne de prévention a été lancée par le gouvernement avec la coopération des leaders religieux et traditionnels. Objectif : protéger les 98% de fillettes et de femmes exposées au danger des MGF. Le message commence à passer. Selon les statistiques des Nations Unies, ce rituel décline légèrement, même chez les Afars, pour qui cette tradition marque la féminité. Ceux qui enfreignent la loi sont sévèrement punis. « Plusieurs personnes ont déjà écopé de peines de prison et d’amendes », certifie le Secrétaire général de l’Assemblée nationale.
La sexualité toujours taboue
Une prise de conscience cruciale car les MGF sont souvent effectuées dans des conditions favorisant la propagation du VIH/sida. Selon l’Unicef, la prostitution, qui touche même des jeunes femmes de 15 ans, propage aussi la maladie. Certaines femmes se tournent vers cette activité, tolérée sur le territoire, pour subvenir à leurs besoins, mais aussi pour pouvoir se ravitailler en khat. Cette plante euphorisante était surtout mâchée par les hommes. Depuis quelques temps, les femmes s’y mettent. « Les Djiboutiennes se réunissent et mâchent ensemble. De cette façon, elles ont un sentiment de partage », explique la présidente de l’association Solidarité féminine. Cette nouvelle habitude leur vaut le surnom peu flatteur de « brouteuses ».
Les mâcheuses de khat ont un sobriquet, preuve que la société les reconnaît, en quelque sorte. Les lesbiennes, elles vivent dans l’ombre. Officiellement, les femmes homosexuelles n’existent pas. Pas plus que des associations les regroupant. « Les femmes ne vivent pas librement leur homosexualité. Djibouti est un petit pays. Si une personne est au courant, tout le monde le saura très vite. Le plus souvent, lorsqu’elles ressentent une attirance pour une femme, elles l’intériorisent, la refoulent. Parfois, elles développent même une homophobie », explique-t-on à la Commission Lesbienne, Gay, Bisexuels et transsexuels de la section France d’Amnesty International. Les lesbiennes djiboutiennes font tout pour cacher leur sexualité. Certaines se marient pour ne pas avoir de problèmes. « Si une femme est étiquetée lesbienne, elle peut être moralement harcelée et rejetée sur son lieu de travail et par son entourage », ajoute la Commission. Quelques femmes assumeraient pourtant leur homosexualité.
Des inégalités subsistent concernant le droit à l’héritage et les violences conjugales. Mais les Djiboutiennes semblent prêtes à relever le défi. Des batailles ont été gagnées. Mais la guerre n’est pas terminée.