Les révélations du Général Aussaresses dans le livre de souvenirs qu’il vient de publier, et dont on s’abstiendra ici de citer le titre, pour se garder de lui faire une publicité imméritée, suscitent un émoi immédiat des deux côtés de la Méditerranée, tant en France qu’en Algérie.
Il n’y a pourtant là rien de surprenant, rien qui n’ait été déjà rapporté et expliqué par les témoins contemporains, par ceux du moins qui avaient le courage de témoigner, Henri Alleg, par exemple, Robert Barrat qui signait dans Témoignage Chrétien, Claude Bourdet, Jérôme Lindon, François Mauriac, Henri-Irénée Marrou, Jean Dresch, ou le Général de la Bollardière… Mais ce qui légitimement heurte et choque l’Algérie, c’est la bonne conscience tranquille de l’assassin, tortionnaire qui ne s’émeut toujours pas qu’une de ses victimes ait pu mourir des sévices infligés. Encore plus quand les victimes ont pour nom Larbi Ben M’Hidi ou Ali Boumendjel. Ou Maurice Audin.
Le plus surprenant tient sans doute à la réaction des milieux militaires français, qui s’inquiètent d’abord, par exemple par la bouche du général de réserve Paul Arnaud de Foïard, de l’image de l’armée : « Les sentiments d’antimilitarisme ne peuvent qu’en être exacerbés… » D’où la réprobation unanime de ses pairs, qui ne supportent pas qu’il parle. On parle aujourd’hui d’une sanction disciplinaire probable… Parce qu’il a parlé.
Les victimes, pourtant, ne réclament pas son silence. Car c’est en parlant qu’il rend soudain criante l’hypocrisie d’une classe politique française, qui, dans ce domaine comme dans d’autres, commence par masquer les réalités, faire l’autruche, nier en bloc, et avancer de grands principes pour camoufler sa lâcheté. Aussaresses conspué ne doit pas être un cache-sexe. Mais un révélateur, l’occasion d’une prise de conscience, d’une révolte. Pour que les mêmes comportements ne se reproduisent pas toujours.
Au moment où le Pape Jean-Paul II demande pardon aux Orthodoxes pour les crimes des catholiques à leur égard, et se recueille dans une mosquée de Damas pour faire sentir au monde entier que la religion est d’abord accueil de l’autre et que les héritages monothéistes doivent converger au lieu de s’opposer… Au moment où les Sénateurs français reconnaissent que l’esclavage fut un crime contre l’humanité… C’est peut-être le moment pour le gouvernement français de s’interroger sur l’attitude qui fut celle de ce pays en Algérie, et de reconnaître officiellement les crimes commis. Loin de faire preuve de faiblesse, on se grandit parfois beaucoup en reconnaissant officiellement les erreurs passées.